Elections à Taïwan : pourquoi la présidentielle et les législatives sont suivies de très près par la communauté internationale

Article rédigé par Pierre-Louis Caron
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
William Lai, favoris pour la présidentielle à Taïwan, à Kaoshiung le 8 janvier 2024. (ALASTAIR PIKE / AFP)
Le résultat de ces scrutins, organisés samedi, pourrait aggraver la crise entre cet Etat insulaire et la Chine communiste. De quoi menacer la stabilité dans la région ainsi que l'économie mondiale.

Les Taïwanais se préparent à un vote sous tension. Appelés aux urnes samedi 13 janvier, les électeurs de ce pays de près de 24 millions d'habitants doivent désigner leurs parlementaires ainsi que leur président. Mais leur choix pourrait avoir des conséquences qui dépassent de loin les rivages de l'île. A commencer par un assombrissement des relations avec la Chine, qui considère depuis 1949 que Taïwan fait partie intégrante de son territoire.

Pékin voit en effet d'un mauvais œil le favori des sondages pour la présidentielle, l'actuel vice-président William Lai, issu du Parti démocrate et progressiste (DPP). Au pouvoir depuis 2016, le DPP prône l'autonomie et la coopération avec les Etats-Unis notamment. Le politicien de 64 ans est ainsi considéré comme un "grave danger", selon la Chine, qui a multiplié ces dernières années les intimidations envers Taïwan, agitant constamment la menace d'une invasion militaire.

Des touristes sur l'île de Kinmen, avant-poste militaire de Taïwan face à la Chine, le 5 décembre 2023. (SAM YEH / AFP)

Mardi, le lancement mardi d'une fusée transportant un satellite chinois au nord de Taïwan a provoqué la confusion sur l'île, après l'envoi d'une alerte au missile sur tous les téléphones portables du réseau national. Vendredi, l'armée chinoise a également annoncé qu'elle "écraserait" tout projet d'"indépendance" de l'île. La veille, Pékin avait officiellement appelé les Etats-Unis à ne "pas se mêler" du scrutin.

Dans ce climat de fébrilité, les Américains, principaux alliés militaires de Taïwan, surveillent attentivement les élections de samedi et exhortent aussi la Chine à respecter leurs résultats. Une responsable américaine a ainsi annoncé l'envoi d'une "délégation informelle" sur place. Car un embrasement dans le détroit de Taïwan poserait un sérieux défi à Washington et représenterait un risque majeur pour l'économie mondiale.

Une campagne centrée sur la Chine

Samedi, trois grands partis sont en lice pour les élections. Le Kuomintang (KMT), le plus ancien, espère reprendre le pouvoir perdu en 2016. Le DPP cherche lui à le conserver, pour quatre années supplémentaires. Plus récent, le Parti populaire de Taïwan (TPP) a connu une belle ascension dans les sondages et veut s'imposer comme la troisième force politique du pays, en gagnant de l'influence au Parlement.

"Durant la campagne, les discussions ont notamment porté sur l'énergie, le logement et la natalité, des thèmes chers aux Taïwanais", explique Marc Julienne, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri) et spécialiste de la région. "Mais la Chine reste quand même au centre du jeu électoral et représente la principale opposition entre les lignes des candidats", rappelle-t-il. Et le docteur en sciences politiques de mettre en garde : ces dissensions sont "plus complexes qu'il n'y paraît".

L'île principale de Taïwan n'est distante que de 130 km de la Chine communiste voisine. (FRANCEINFO)

Après des décennies de querelles entre les soutiens de l'unification avec la Chine et les partisans de l'indépendance, "les clivages politiques traditionnels se sont effacés", souligne Marc Julienne. Le DPP a laissé tomber son projet de déclaration d'indépendance, "car le parti considère que Taïwan a tous les attributs d'un Etat indépendant", explique-t-il. De l'autre côté de l'échiquier, le Kuomintang ne milite plus pour l'unification, "car ce serait un suicide électoral face à une identité taïwanaise qui s'est renforcée", détaille le chercheur. A Taïwan, on s'oppose désormais sur l'attitude à adopter vis-à-vis de la Chine. Par crainte d'une guerre, faut-il rouvrir les canaux de discussion et collaborer économiquement avec Pékin, comme le proposent Hou Yu-ih et Ko Wen-je, respectivement candidats du KMT et du TPP ? Ou refuser "la fausse paix" et ignorer ce voisin tant qu'il se montre menaçant, comme le réclame William Lai ?

Des enjeux militaires et énergétiques

En toile de fond de ces débats, les manœuvres de la Chine sont incessantes. Ces dernières années, Pékin a effectué un nombre considérable de patrouilles maritimes, de simulations d'invasion et d'incursions dans la zone d'identification et de défense aérienne (Adiz) de l'île, un périmètre commençant à 200 km des côtes. A une semaine des élections, quatre ballons lancés par Pékin et une dizaine d'avions militaires ont été repérés par l'armée taïwanaise, alors que des ONG locales dénoncent des campagnes chinoises de désinformation par SMS et sur les réseaux sociaux, comme le rapporte France 24.

Concernant les enjeux de défense, les différents partis sont à peu près d'accord sur de nombreux points, comme l'allongement de la durée du service militaire à 12 mois ou encore le renforcement des capacités de son armée. Un sujet essentiel pour Taïwan, qui compte douze fois moins de troupes que Pékin, rappelle le magazine Time. Là où les candidats s'opposent, c'est au sujet de l'autonomie énergétique, alors que l'île compte encore énormément sur l'extérieur pour s'approvisionner en gaz et en pétrole. Ajoutée à un réseau vieillissant, cette dépendance "révèle une faiblesse importante dans la défense de Taïwan", explique le chercheur Anthony Ho-fai Li dans une note pour l'université de Nottingham.

Un marin de la marine taïwanaise surveille un navire de guerre de la marine chinoise au large de Taïwan, le 19 août 2023. (MINISTERE DE LA DEFENSE NATIONALE DE TAIWAN / AFP)

Si les partis ont le "même objectif", à savoir atteindre le tout renouvelable, "leurs instruments sont différents", rappelle-t-il. Le recours au nucléaire divise notamment le DPP, partisan d'une sortie totale d'ici 2025, et les partis d'opposition, qui veulent rouvrir tout ou partie des quatre centrales du pays. "Le nucléaire est une question de souveraineté énergétique, mais aussi de sécurité nationale", détaille Marc Julienne.

"Dans les scénarios de blocus mis en place par la Chine, voire d'invasion, la très faible autonomie énergétique de Taïwan est un enjeu important."

Marc Julienne, spécialiste de la Chine

à franceinfo

Très engagés aux côtés de Taïwan ces dernières années, les Etats-Unis continuent leur politique "d'ambiguïté stratégique" lancée au début des années 1980. En clair, Washington ne soutient pas l'idée d'une indépendance formelle de Taïwan, mais a toujours prévenu que le pays ne tolérerait pas une réunification par la force. C'est d'ailleurs ce qu'a répété le président américain, Joe Biden, à son homologue chinois, Xi Jinping, lors de leur rencontre mi-novembre.

Une situation toujours plus tendue

Mais si chaque camp dit vouloir éviter la guerre, les tensions autour de Taïwan n'ont fait que s'accroître à l'approche des élections. Les Etats-Unis ont en effet créé la stupeur en annonçant, fin août 2023, une aide militaire directe à Taïwan une première dans les relations entre les deux pays. "L'aide et les ventes militaires américaines (...) nuisent à la sécurité et au bien-être des compatriotes taïwanais", avait alors dénoncé le ministère chinois de la Défense.

Les présidents chinois et américain, Xi Jinping et Joe Biden, lors d'une rencontre en Californie (Etats-Unis), le 15 novembre 2023. (XIE HUANCHI / XINHUA / AFP)

Plus récemment, les dernières déclarations du président chinois ont eu de quoi inquiéter la Maison Blanche. Lors de ses vœux pour 2024, Xi Jinping a en effet assuré que "la Chine sera inévitablement réunifiée" et que "tous les Chinois, de chaque côté du détroit de Taïwan", doivent partager un objectif commun : "la gloire de la nation chinoise".

Face aux projets de Pékin, les Etats-Unis n'ont pas changé leur volonté affichée : "S'opposer à tout changement de statu quo, par chacune des parties", comme le déclarait le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, en juin dernier.

"Les querelles entre Taïwan et la Chine étaient fréquentes mais ne duraient que quelques semaines ou quelques mois. Depuis 2020, la crise est devenue permanente."

Marc Julienne, spécialiste de la Chine

à franceinfo

Il faut dire que Washington, comme le reste du monde, a tout intérêt à éviter l'embrasement autour de Taïwan. "Le Japon, la Corée du Sud et les Philippines ne cachent pas leurs préoccupations, tout comme l'Union européenne", explique le chercheur, qui évoque un conflit dont les effets seraient plus larges que la guerre en Ukraine ou celle qui oppose Israël au Hamas.

La crainte d'un nouveau conflit

"Tout le monde est lié avec Taïwan, souligne Marc Julienne. Le détroit est une route commerciale internationale extrêmement importante, le moindre incident ou même accident dans cette région du monde aura des conséquences très fortes." Principal fabricant de semi-conducteurs de moyenne et haut de gamme, Taïwan alimente par ailleurs de nombreuses industries essentielles, comme l'automobile ou l'informatique. Le pays est bien conscient de l'importance de son savoir-faire, qu'il utilise comme un bouclier et pour continuer à exister aux yeux du monde.

"Tous les acteurs scrutent ces élections, car le risque d'escalade est très élevé."

Marc Julienne, spécialiste de la Chine

à franceinfo

"Il est question d'une crise économique, mais avant tout d'une possible guerre avec plusieurs nations impliquées, voire d'une guerre mondiale", poursuit le chercheur.

Avant de rejoindre les bureaux de vote, les habitants de l'île ont d'ailleurs été de plus en plus nombreux ces derniers mois à se tourner vers des formations au maniement des armes, comme l'a observé la chaîne australienne ABC News. Un symptôme parmi d'autres de l'anxiété toujours plus forte qui frappe la région.

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