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Deux sœurs condamnées à être violées en Inde : "Nous voulons une enquête pour engager des poursuites"

Les deux jeunes femmes se sont enfuies de leur village pour échapper à la sentence, et ont demandé la protection des autorités indiennes. Pour mieux comprendre cette affaire, francetv info a interrogé Geneviève Garrigos, la présidente d'Amnesty International France.

Article rédigé par Louis San - Recueilli par
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Des étudiants manifestent à Bangalore (Inde) contre les accusés d'un viol collectif survenu dans un bus de la capitale indienne, New Delhi, le 13 mars 2015. (AIJAZ RAHI / AP / SIPA)

Elles doivent payer pour leur frère. En Inde, dans l'Etat de l'Uttar Pradesh, deux sœurs, âgées de 23 et 15 ans, ont été condamnées, par un conseil de village, à être violées, rapporte Amnesty International, lundi 31 août. Une pétition (en anglais) a été lancée, recueillant en quelques heures près de 200 000 signatures.

La sentence a été prononcée après le départ de leur frère aîné, Ravi, qui s'est enfui avec une jeune femme mariée appartenant à une caste supérieure. Francetv info a interrogé Geneviève Garrigos, la présidente d'Amnesty International France.

Francetv info : Amnesty International a lancé une pétition pour tenter d'aider les deux sœurs condamnées. Cette démarche peut-elle vraiment avoir du poids ?

Geneviève Garrigos : Ce qui a eu le plus de visibilité, c'est effectivement la pétition sur le site d'Amnesty International en Grande-Bretagne. Mais ce n'est pas la seule chose qui a été lancée. Tout est parti de ce que l'on appelle des "actions urgentes". Lorsque ces actions sont lancées, nos membres à travers le monde doivent écrire aux autorités dans des délais assez courts. C'est justement l'une des forces d'Amnesty de pouvoir mobiliser autant de gens en aussi peu de temps. 

Quand on appelle nos membres à écrire aux autorités, on a des demandes concrètes, définies avec les victimes. Là, nous en avons trois : que les jeunes filles et leur famille soient protégées, que la jeune femme de la caste supérieure et sa famille soient également protégées – parce que, d'après les informations que nous avons recueillies, elles aussi sont menacées – et, troisièmement, qu'une enquête soit diligentée sur place pour savoir exactement ce qu'il en est.

L'objectif est de savoir comment a été prise la décision de ce conseil de village : qui était présent ? Comment tout cela s'est-il déroulé ? Est-ce qu'il y a eu des complicités ? Il est indispensable de faire des recherches sur ces conseils, pour savoir qui y participe, et pour que ces personnes soient poursuivies. Leur sentence est plus qu'odieuse. C'est un appel au viol et un appel à la destruction de ces jeunes femmes : c'est un appel à la haine. Il faut déterminer qui a fait cet appel, pour mettre un terme à ces phénomènes.

Est-ce que l'enquête que vous avez réclamée a déjà commencé ?

Quand la peine a été prononcée, fin juillet, les deux sœurs ont fait appel à la Cour suprême de l'Inde. Et la Cour a renvoyé la décision à l'Etat de l'Uttar Pradesh, pour qu'il assure leur protection. Une enquête a été lancée à ce moment-là, mais elle n'est pas allée très loin.

Si la Cour suprême a renvoyé les sœurs devant l'Etat de l'Uttar Pradesh, c'est parce la sentence ne vient pas de l'Etat, mais d'un conseil qui n'est pas élu et n'a pas de reconnaissance juridique. C'est donc l'affaire de la police, et c'est à l'Uttar Pradesh, où résident les protagonistes de l'histoire, de prendre les devants.

Nous, ce que nous demandons, c'est qu'il y ait vraiment une enquête pour engager des poursuites contre ces pratiques scandaleuses. Nous avons des chercheurs investis en Inde, des sections, des membres, comme en France. Ils vont s'assurer que l'enquête est bien menée.

Ces conseils de village ont-ils une légitimité ?

Ils ne sont pas élus et sont illégaux. C'est comme les castes, elles sont interdites aujourd'hui en Inde. Mais tout cela perdure dans des systèmes ruraux traditionnels où les castes et les anciens ont encore un poids énorme sur la société. Or ces conseils de village sont connus pour décréter des sentences extrêmement violentes vis-à-vis des femmes.

Dans les régions rurales, le poids de la tradition est très fort. L'attachement à la communauté est puissant : on ne peut pas vivre en dehors d'elle. Et on ne peut pas vivre en dehors de sa famille parce que la vie elle-même est trop dure. La communauté protège, mais pour cela, on est obligé d'appliquer ses règles.

Comment interpréter cette sentence ?

Quand on combat des pratiques soi-disant culturelles, et qui sont complètement archaïques, on soulève toujours la question de la place de la femme dans la société, de l'arbitraire et de la violence.

Là, c'est une question de déshonneur des familles. Il s'agissait de condamner la famille du frère. Les anciens considèrent qu'un homme d'une caste inférieure séduisant une femme d'une caste supérieure déshonore la famille de la femme. Donc il faut que la famille de l'homme soit déshonorée. Quoi que fasse un homme, il ne peut pas déshonorer sa famille… Donc on se sert des jeunes femmes pour y arriver. 

Est-il possible de mettre fin à ces pratiques ?

Il faut passer par l'éducation pour sensibiliser les jeunes générations. Même si l'on sait à quel point cela peut être difficile en milieu rural.

Il faut aussi lutter contre l'impunité et poursuivre les responsables. Si des gens prennent des décisions pareilles, les appliquent et que personne n'est poursuivi, ces coutumes vont se perpétuer. Il faut bien que les anciens comprennent que c'est interdit.

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