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Réélection contestée d'Evo Morales, mutineries dans la police, occupation de médias d'Etat... Que se passe-t-il en Bolivie ?

Trois semaines après le début des manifestations contre la réélection d'Evo Morales, des compagnies de policiers ont rejoint les rangs des manifestants. Un "coup d'Etat" dénoncé par le président.

Article rédigé par franceinfo avec AFP et Reuters
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Des policiers montent sur le toit d'un bâtiment de la police lors d'une manifestation contre le gouvernement à La Paz en Bolivie, le 9 novembre 2019. (CARLOS GARCIA RAWLINS / REUTERS)

La contestation ne faiblit pas en Bolivie. Le président Evo Morales a lancé samedi 9 novembre un appel au dialogue, aussitôt rejeté par l'opposition. Des incidents se sont poursuivis dans la nuit de samedi à dimanche, avec des mutineries d'unités policières et l'occupation de médias d'Etat par des manifestants. L'élection présidentielle du 20 octobre a abouti à la réélection à la présidence d'Evo Morales, au pouvoir depuis 2006, pour un quatrième mandat jusqu'en 2025. Mais l'opposition ne reconnaît pas cette élection, qu'elle estime entachée de fraude et réclame sa démission. La vague de contestation qui a éclaté dès le lendemain du scrutin a fait au moins trois morts et 200 blessés. Explications.

Une candidature problématique dès le départ

Au pouvoir depuis 2006 et réélu en 2009, puis 2014, avec plus de 60% des suffrages dès le premier tour, le président Evo Morales va donc entamer un quatrième mandat d'une durée de cinq ans jusqu'à 2025. Pourtant, sa candidature était contestée avant même le scrutin. Car en 2016, les Boliviens s'étaient prononcés lors d'un référendum à 51,3% contre une modification de la Constitution qui visait à donner la possibilité au fondateur du Mouvement vers le socialisme (MAS) d'être réélu une nouvelle fois alors qu'il ne pouvait prétendre qu'à deux mandats consécutifs.

Estimant que ce résultat était erroné, l'exécutif avait toutefois réussi à faire valider la candidature d'Evo Morales auprès du Tribunal constitutionnel en 2017 au nom de la liberté de chacun à voter et être élu, stipulée dans l'article 23 de la Convention américaine sur les droits de l'homme (CADH), rapporte le site MediapartUne décision perçue comme antidémocratique par de nombreux Boliviens.

Le 16 janvier dernier, jour du troisième anniversaire de ce référendum et année de l'élection présidentielle, des partisans de l'opposition et des citoyens avaient ainsi manifesté pour protester contre la candidature d'Evo Morales, la qualifiant d'"illégale". Selon le politiste Marcelo Silva, professeur de sciences politiques à l'université San Andrés, interrogé par Le Monde, le président s'est mis à dos "les secteurs urbains, les classes moyennes et les intellectuels" qui se sont "sentis trompés".

Un scrutin entaché de soupçons de fraudes

Le dimanche 20 octobre, jour de l'élection présidentielle, des soupçons de fraude émergent à l'annonce des premiers résultats (provisoires). Le Tribunal électoral suprême (TSE) interrompt de manière inattendue les projections des résultats sur son site montrant qu'un second tour entre Evo Morales et Carlos Mesa se profile après 84% des bulletins dépouillés. A la suite de cette interruption, des incidents éclatent dans plusieurs bureaux de vote du pays, des bâtiments sont incendiés. Une grève nationale est déclarée dans tout le pays et des centaines de Boliviens descendent dans les rues pour dénoncer une "fraude".

Lorsque le Tribunal électoral suprême reprend le décompte vingt-quatre heures plus tard et Evo Morales figure désormais largement en tête avec une marge supérieure au seuil des 10 points nécessaires pour être élu au premier tour. Signe du malaise, le vice-président du TSE démissionne mettant en cause le système de décompte. Les observateurs de l'Organisation des Etats américains (OEA) font part de leur "profonde inquiétude et surprise face au changement radical et difficile à justifier" de ces résultats.

Jeudi 24 octobre, Evo Morales affirme que le décompte officiel portant sur un peu plus de 98% des bulletins lui donne la victoire à 46,83% contre 36,7% à Carlos Mesa, son adversaire libéral. Les Etats-Unis, le Brésil, l'Argentine et la Colombie demandent qu'un second tour ait lieu si la mission de l'OEA ne confirme pas les résultats du premier.

Une volonté de changement des Boliviens

Au-delà de ce dépouillement contesté, l'opposition estime que le pays a besoin de changement et que le président Evo Morales n'a pas respecté tous ses engagements. Il y a "une usure naturelle du pouvoir après tant d'années à la tête de l'Etat. Les gens veulent du changement", décrit le politiste Marcelo Silva dans les colonnes du Monde. Cette demande est notamment prégnante chez les jeunes, dont les 18-30 ans représentent environ 35% de l'électorat.

D'autant que son bilan est critiqué. Après treize années au pouvoir, Evo Morales peut se targuer de résultats économiques plutôt positifs, portés par la nationalisation du secteur de l'énergie. La croissance annuelle moyenne est de 5% depuis quinze ans, le PIB a été multiplié par trois et le taux de pauvreté divisé par deux, selon France 24. L'inflation est faible et le chômage est à 4%.

Les plus gros griefs concernent l'environnement. Le président est régulièrement critiqué pour son "double discours" par les militants écologistes et certains mouvements indigènes. Lors des incendies en Amazonie cet été, plus de quatre millions d'hectares de forêts ont été réduits en cendres. L'opposition a accusé l'exécutif d'avoir tardé à réagir et a mis en cause sa politique environnementale basée sur la déforestation, l'extraction des matières premières et l'extension des activités agricoles intensives. Le pouvoir, lui, a rejeté la responsabilité des incendies sur la sécheresse, les vents violents et des déboisements illégaux.

L'opposition durçit le ton

Dans la nuit du 9 au 10 novembre, des incidents ont eu lieu à El Alto, ville collée à La Paz et considérée comme un bastion d'Evo Morales, selon des médias locaux. Les installations d'une chaîne de télévision privée, Unitel, ont été détruites et une foule de manifestants hostiles au président a occupé à La Paz les sièges de deux médias d'Etat, Bolivia TV et Radio Patria Nueva.

Une radio du syndicat paysan CSUTCB à La Paz a également été envahie par des manifestants, selon un autre tweet d'Evo Morales qui a condamné "une attaque lâche et sauvage". "Dans le style des dictatures militaires, les putschistes attaquent des sièges syndicaux", a écrit le président. Evo Morales a aussi rapporté que la maison du gouverneur d'Oruro, membre du parti au pouvoir, le Mouvement vers le socialisme (MAS), avait été incendiée, ainsi que celle de sa sœur.

La veille, au moins trois compagnies de police ont rejoint les rangs des manifestants. "Nous nous sommes mutinés", a déclaré un policier, le visage dissimulé devant les journalistes au quartier général de l'Unité des opérations de police tactique (UTOP) à Cochabamba. "Nous allons être du côté du peuple, pas avec les généraux", a ajouté un de ses collègues. Des images diffusées en direct à la télévision ont montré une vingtaine d'agents grimpant au sommet du bâtiment du quartier général de la police en agitant le drapeau bolivien, tandis que des dizaines de jeunes opposants les encourageaient depuis la rue. Le pouvoir a dénoncé un "coup d'Etat", mais exclu pour le moment d'y envoyer l'armée.

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