Récit Argentine : course contre la montre pour retrouver le sous-marin disparu depuis huit jours
Le "San Juan", un submersible militaire avec 44 marins à bord, n'a plus donné signe de vie depuis mercredi 15 novembre. Les espoirs de survie s'amenuisent.
"Jeunes courageux de la marine : le cœur en pause jusqu'à votre retour", dit une affichette, accrochée aux fils de fer avec des rubans bleu ciel et blanc, les couleurs du drapeau argentin. Sur les grilles de la base navale de Mar del Plata, en Argentine, des dizaines d'autres messages sont ainsi alignés. Avec des traits enfantins tracés au crayon, un sous-marin a été dessiné. En dessous, on peut lire ce message, comme le rapporte le quotidien La Nacion (article en espagnol) : "Vous pouvez les trouver, nous vous attendons." Voilà huit jours que l'ARA San Juan n'a plus donné signe de vie. A son bord, 44 marins, hommes, femmes, jeunes et moins jeunes, auraient dû rentrer chez eux dimanche 19 ou lundi 20 novembre.
Le sous-marin militaire avait quitté les côtes argentines il y a 35 jours, depuis Mar del Plata, un port et une station balnéaire sur l'Atlantique, à 400 kilomètres au sud de Buenos Aires. Objectif : Ushuaia et la Terre de Feu, à la pointe de la Patagonie. Le San Juan y a passé trois jours avant de reprendre la route. "Mon fils m'a envoyé des photos qui avaient été prises là-bas", raconte Espinoza, le père d'un marin, à La Nacion. "Il m'a dit que tout était normal, sans problème", ajoute-t-il.
Pendant la traversée, les familles communiquent avec leurs proches avec la messagerie WhatsApp. Jusqu'à ce mercredi 15 novembre au matin. Ce jour-là, le submersible remonte à la surface et signale une "avarie" à la base navale de Mar del Plata. "Un problème de batteries, un court-circuit", révèle le chef de la base Gabriel Galeazzi à la presse lundi 20 novembre, après avoir tenu cette information secrète pendant plusieurs jours. Le commandement militaire demande au sous-marin de changer de cap et de faire route vers Mar del Plata. Le San Juan se situe alors à 432 kilomètres des côtes de la Patagonie et de la péninsule de Valdés, sa dernière position connue.
Disparu au large de la Patagonie
Depuis, silence radio. Sa disparition est officiellement signalée vendredi, deux jours plus tard. Les recherches se mettent en place. Mais le temps complique la donne. Les 13 navires qui croisent au large des côtes de Patagonie pour retrouver le bâtiment doivent affronter des vagues de 5 à 7 mètres. Dix avions survolent également une zone de 300 km de diamètre au large des côtes argentines.
La localisation de l'ARA San Juan s'annonce ardue. On ne sait pas si le submersible de 65 mètres est à la surface et s'il est à la dérive, s'il est encore motorisé et simplement privé de moyens de communication. Ou bien encore s'il est en immersion, ou s'il a sombré dans les abysses. Il faut aller vite.
Sans renouvellement de l'air, la survie est de 7 jours.
Enrique Balbi, porte-parole de la marine argentine
La marine argentine reçoit l'appui de plusieurs pays dans cette course contre la montre. De sa base de Pearl Harbor, dans le Pacifique, la marine américaine envoie quatre petits sous-marins sans pilote et une équipe de militaires spécialisés dans leur maniement. La compagnie pétrolière Total, qui exploite des gisements offshore plus au sud, met un navire à la disposition des opérations de recherche.
Le faux espoir
Du côté des familles, c'est l'angoisse et l'incompréhension. Selon le protocole, le San Juan aurait dû remonter à la surface ou activer une balise radio de détresse en constatant la rupture de contact avec sa base. Et puis l'appareil, qui est un des trois sous-marins de la marine argentine, était "totalement opérationnel". Ce modèle TR-1700 à propulsion diesel, construit dans le chantier naval Thyssen Nordseewerke de Edemen, en Allemagne, a été remis en état de 2007 à 2014, pour allonger de trente ans sa durée de vie. Il a effectué plusieurs missions en 2017.
Samedi matin, l'espoir revient. Sept appels satellitaires, d'une durée de 4 à 36 secondes, sont reçus par des bases navales argentines entre 10h52 et 15h42. Le ministère de la Défense argentin y voit des signaux de détresse émis par le sous-marin. "Ils sont dehors ! Grâce à Dieu, nous sommes heureux !", s'exclame sur une chaîne de télévision Claudio Rodríguez, frère de Hernán, machiniste du San Juan. "S'ils ont pu appeler avec un téléphone satellite, cela veut dire qu'ils sont à la surface, et cela nous donne un espoir car nous savions qu'au fond, ils seraient foutus."
Et pour cause. Quand bien même l'équipage dispose à bord de 15 jours supplémentaires de vivres et d'oxygène, "chaque heure compte" pour le localiser, comme l'explique à franceinfo Vincent Groizeleau, rédacteur en chef de la revue en ligne Mer et Marine.
Dépassée une certaine profondeur, le sous-marin est perdu parce que sa coque ne résiste pas à la pression et il implose.
Vincent Groizeleau, rédacteur en chef de la revue en ligne Mer et Marineà franceinfo
"On considère, pour ce type de sous-marins, qu'au-delà de 500 mètres de fond, c'est perdu", ajoute-t-il. L'espoir est douché le lundi : la marine fait savoir que les sept appels reçus n'étaient pas le premier signe de vie tant espéré. "Nous avons reçu le rapport de l'entreprise qui a analysé les signaux, les sept tentatives d'appel de samedi ne correspondent pas au téléphone satellitaire du sous-marin", précise Enrique Balbi.
Les proches accusent le coup. Réunis à la base navale, où ils occupent les chambres des officiers, ils sont soutenus par des psychologues dépêchés sur place. Sur les réseaux sociaux et dans des groupes WhatsApp circulent des chaînes de prière, raconte encore La Nacion. Des groupes de parents se rassemblent aussi physiquement pour prier. Ils ont reçu un message de soutien du pape François en personne. Dans un message écrit, le pontife, lui-même argentin, a dit qu'il priait pour les 44 marins et a assuré de "sa proximité dans ces moments difficiles".
"Nous essayons de positiver, et nous voyons avec beaucoup de fierté les messages d'espoir qui affluent sur les réseaux sociaux. Je suis convaincue que si les 33 mineurs chiliens sont sortis, nos 44 vont aussi revenir", assure Marcela Tagliafeta, belle-soeur du lieutenant Carlos Mendoza.
"Nous prions pour qu’il ne leur soit rien arrivé"
"Nous sommes tous angoissés, mais nous gardons espoir", confie aux journalistes, réunis devant la base Marcela Moyano, l'épouse du machiniste Hernan Rodriguez. "Nous prions pour qu’il ne leur soit rien arrivé", abonde Eduardo Krawczyk, le père d'Eliana Krawczyk. Agée de 35 ans, elle fut, il y a quelques années, la "première femme officier à faire partie de l’équipage d’un sous-marin en Argentine".
En marge des recherches à la surface et des tentatives de géolocalisation, la marine argentine prépare un dispositif de sauvetage de l'équipage dans les profondeurs de l'océan. Il s'agit de modules de secours qui permettent de secourir 16 personnes à la fois jusqu'à plus de 600 mètres de profondeur.
La piste de l'explosion se confirme
Nouvelle lueur d'espoir, lundi : selon CNN, les systèmes sonar de deux navires ont détecté des bruits. Ils évoquent le son d'outils qui cognent la coque d'un sous-marin. Selon un haut responsable de la marine américaine, les marins en détresse tentent peut-être d'alerter les navires de passage pour signaler leur emplacement. La marine argentine réussit à localiser ces bruits et concentre ses recherches dans une zone de 65 km2 carrés, à environ 550 km au large des côtes de l'Argentine.
Nouvelle déception. "L'empreinte acoustique ne correspond pas à celle d'un sous-marin. (...) Cela peut être un bruit biologique", déclare le capitaine Enrique Balbi, porte-parole de la marine argentine.
Mercredi, un nouvel élément est communiqué aux familles et à la presse : un bruit anormal a été enregistré trois heures après la dernière communication du San Juan, à proximité de sa dernière position connue. Jeudi, la marine argentine confirme : cette "anomalie hydro-acoustique" correspond à une "explosion". L'espoir s'amenuise pour les proches des 44 marins.
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