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Pérou: le Machu Picchu menacé par le tourisme de masse?
Le Machu Picchu, c’est un nom mythique : celui du célébrissime et magnifique site inca installé sur le versant oriental des Andes, à 2430 m d’altitude, dans le sud du Pérou. Un site exceptionnel, classé au Patrimoine mondial de l’Unesco. Mais menacé par une intense exploitation touristique.
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A l’entrée du site du Machu Picchu, le visiteur découvre deux plaques d’hommage. L’une donne le nom de l’historien américain Haram Bingham à qui l’on doit la «redécouverte scientifique» (et non «découverte») du site. Et l’autre évoque trois paysans ,«Melchor Artaga, Richarte et Alvarez, qui vivaient à Machu Picchu avant Haram Bingham». Histoire de montrer que les Péruviens n’ont pas eu besoin des étrangers pour connaître l’existence du monument.
Cet apparent détail patriotique a son importance. Car pour les Péruviens, ledit monument, classé depuis 1983 au Patrimoine mondial, est un symbole national que l’on voit représenté partout dans le pays. A tel point qu’en 2011, lors des célébrations organisées pour le centenaire de la «redécouverte scientifique», le président péruvien d’alors, Alan Garcia, n’hésitait pas à expliquer que le site «es la sintesis de la peruanidad», mot-à-mot «la synthèse de ce qui constitue l’identité péruvienne».
Surfréquentation
L’ensemble a été construit par les Incas au XVe siècle, à l’apogée de leur civilisation, et abandonné un siècle plus tard, après la conquête espagnole (1532) sans que l’on sache pourquoi. Il regroupe une ville entière avec son observatoire astronomique, ses temples, son palais royal, ses centres artisanaux, ses quartiers d’habitation, sa zone militaire, ses terrasses agricoles…
C’est aujourd’hui le site le plus fréquenté du Pérou. Selon L’Echo Touristique, on y comptait, à la fin des années 80, moins de 70.000 visiteurs par an. Une fréquentation qui a grimpé au fil des ans. En avril 2012, des représentants de l’Unesco ont ainsi calculé que le nombre moyen de visiteurs quotidiens s’établissait autour de 3000 personnes, soit plus du million par an. Et que la fréquentation avait progressé de 10 à 15 % par an au cours des trois années précédentes.
Ces chiffres dépassent la limite fixée par l’organisation elle-même pour protéger le Machu Picchu «des risques d’érosion et de glissements de terrain» : 2500 personnes par jour, soit un peu plus de 900.000 par an. Une mesure renforcée par le fait que les touristes ne peuvent accéder au site qu’à pied ou par un petit train (puis ensuite par bus qui emprunte une très sinueuse piste).
Aujourd’hui, ces limitations ne sont donc visiblement pas suffisantes pour endiguer le flux touristique. Il suffisait de se rendre sur le site le matin du 11 août 2015 pour constater de visu que le quota de 2500 visiteurs semblait un bien lointain souvenir. A certains moments, malgré la pluie battante, on faisait la queue pour avancer au milieu des ruines majestueuses…
On peut donc parler de surfréquentation humaine pour un site d’altitude fragile, installé à la limite de la forêt amazonienne, où la végétation luxuriante est arrosée par des pluies fréquentes. Des pluies à l’origine de (mortels) glissements de terrain. En 2010, près de 4000 touristes se sont ainsi retrouvés bloqués sur place et ont dû être héliportés.
Manne financière
Il faut dire qu’au-delà de l’aspect symbolique, Machu Pichu représente, pour le Pérou, une énorme source de revenus, estimé à 5 milliards de dollars par an. Résultat : sur place, tout est fait pour que le touriste sorte son porte-monnaie. L’entrée du monument coûte 126 soles péruviennes, soit environ 35 euros. Mais à cela s’ajoute le prix du transport : 103 dollars en train aller et retour depuis Agua Calientes, la localité la plus proche. Sans parler du bus navette pour emprunter la piste en terre entre Agua Calientes et l’entrée du site : 24 dollars aller et retour. Et on ne parle pas du prix de l’hébergement et de la nourriture…
Sur place, on ne trouve qu’un seul hôtel-restaurant, le Sanctuary Hotel, avec des chambres à partir de… 850 dollars la nuit. Lequel Sanctuary Hotel est géré par l’opérateur Belmond Orient-Express, qui «possède toutes les concessions» in situ, dixit le Guide du Routard. Ce qui expliquerait qu’il n’y ait pas de toilettes sur le site et qu’il faille donc aller à l’extérieur pour en trouver des payantes ! Cerise sur le gâteau : à l’intérieur, on ne trouve aucun panneau d’explication afin de pousser les touristes individuels «à utiliser les services d’un guide», toujours selon Le Routard. Bref, pour visiter le Macchu Picchu, mieux vaut être riche et bien portant que pauvre et malade…
Certes, l’argent généré est visiblement, au moins en partie, reversé au monument, fort bien entretenu. Mais le Machu Picchu est une machine à cash que les autorités péruviennes semblent vouloir exploiter au maximum…
Ces dernières ont ainsi décidé de construire, à l’horizon 2018, un nouvel aéroport entre la grande ville de Cusco et le monument, distants d’environ 110 km. Le nouvel équipement «pourra accueillir les vols internationaux, ce qui évitera aux touristes de passer par Lima, la capitale», puis de se rendre à Cusco, selon L’Echo Touristique. «Les autorités visent plus de cinq millions de passagers par an, contre deux millions dans l’aéroport actuel (de Cusco). Or plus de 70 % des voyageurs qui se rendent dans la région viennent pour visiter le Machu Picchu», poursuit la même source. Dans le même temps, la réalisation de ce projet risque d’entraîner la construction de routes, d’hôtels…
Fermeture du Machu Picchu
Ces enjeux économiques sont en flagrante contradiction avec la conservation d’un patrimoine exceptionnel, «témoignage unique sur la civilisation des Incas», selon l’Unesco. Depuis des années, celle-ci tire la sonnette d’alarme sur les risques engendrés par la surfréquentation touristique. Depuis 1999, son Centre du patrimoine mondial a ainsi exprimé ses «préoccupations quant aux conditions qui constituent une menace pour la valeur universelle exceptionnelle du bien et qui, au cours des 14 dernières années, n’ont pas été traitées pour l’essentiel, avec de nombreux projets d’actions toujours au stade de la planification ou mis en œuvre seulement de façon partielle», rapportait ainsi l’Unesco dans un rapport de 2013.Un document qui a le mérite de la franchise.
Dans ce contexte, les menaces demeurent. A commencer par «des problèmes urgents de déforestation, un risque de glissements de terrain, de développement urbain incontrôlé et d'accès illégal au sanctuaire». La fragilité du site est telle que ces dernières semaines, au Pérou, on évoquait une possible fermeture pour le protéger. Comme cela a été fait pour la fameuse grotte de Lascaux en France…
On n’en est pas là. Le problème, pour l’instant, c’est que l’Unesco n’a pas de pouvoir de contrainte. Et ne peut donc que suggérer… Il se dit qu’elle pourrait inscrire Machu Picchu sur la liste des sites en péril. Une liste «conçue pour informer la communauté internationale des conditions menaçant les caractéristiques mêmes qui ont permis l’inscription d’un bien sur la liste du patrimoine mondial». Cela sera-t-il suffisant pour sauver le monument inca ? Petite précision : les autorités péruviennes, interrogées, n’ont pas répondu à nos questions.
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