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Funérailles de «Bébé Doc»: la volte-face du président Martelly

L’ex-dictateur haïtien, Jean-Claude Duvalier, mort d’une crise cardiaque le 4 octobre 2014, devait finalement être enterré lors d’une cérémonie privée. L’annonce de funérailles nationales avait provoqué une levée de boucliers de la part des anti-duvaliéristes. La polémique a éclipsé au passage l’organisation d’élections législatives prévues fin octobre.
Article rédigé par Dominique Cettour-Rose
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des policiers la morgue Pax Villa où repose le corps de l'ex-dictateur haïtien corps Jean-Claude Duvalier, à Port-au-Prince, le 4 Octobre 2014. (HECTOR RETAMAL / AFP)

Cérémonie familiale. Une pétition a été lancée sur Internet pour dénoncer l'intention du gouvernement haïtien d'offrir des funérailles officielles à celui qui était surnommé «Bébé Doc», dont le régime est accusé d'avoir tué, torturé et expulsé des dizaines de milliers d'opposants.

«Au-delà des idéologies ou des affiliations politiques, nous attendons que le chef de l'Etat élu, Michel Joseph Martelly, respecte la mémoire et la dignité du peuple haïtien en s'abstenant de cautionner par des funérailles nationales la dictature, la violence et l'oppression qui ont meurtri Haïti», ont dénoncé les auteurs de la pétition.

Ancien maire de la capitale Port-au-Prince et opposant à Duvalier, Evans Paul, voyait lui aussi d’un très mauvais œil qu'on lui rende un hommage solennel: «Sur le plan moral, il n’a pas droit à des funérailles nationales. C’était un dictateur qui a causé beaucoup de tort au pays». «Mais si la loi veut qu'il ait des funérailles nationales, on doit le faire», a-t-il ajouté.

Embarras du gouvernement

«C'est un ancien président, il a droit à des funérailles nationales», a en revanche souligné le colonel à la retraite Abel Jérôme, un ancien dignitaire du régime Duvalier qui reste une figure influente dans le pays.

Mais le décès de l'ancien dictateur a laissé une partie de la population haïtienne dans une apparente indifférence. «Il semble que la vie était moins difficile économiquement quand il était au pouvoir», témoigne un habitant de Pétionville au chômage.

Dans une première réaction officielle, le 4 octobre 2014, le président Martelly s'était dit «attristé» par le décès de Jean-Claude Duvalier, adressant ses condoléances «à sa famille, à ses proches et à ses partisans à travers le pays». Son porte-parole, Lucien Jura, avait indiqué deux jours plus tard que des funérailles nationales devaient être organisées comme l'exige le protocole pour les anciens chefs d’Etat.

Mais, signe de l'embarras du gouvernement, proche du clan Duvalier, aucune autre déclaration officielle n'a été faite par la suite en ce sens. «Il n'y aura pas de cérémonie officielle», s'est contenté d'indiqué, le 9 octobre 2014, Reynold George, l'avocat de Duvalier. L'ancien dictateur haïtien devait être enterré le 11 octobre 2014 au cours d'une cérémonie familiale à l'école congréganiste Saint-Louis de Gonzague, à Port-au-Prince, fréquentée par Duvalier.

Coup dur pour la justice haïtienne
Le décès soudain de Duvalier fils, à l'âge de 63 ans, est un coup dur pour la justice haïtienne qui ne pourra jamais le juger, malgré les procédures qu'elle avait engagées contre lui. «Cette mort prive les Haïtiens de ce qui aurait pu être le plus important procès pour les droits de l'Homme de l'histoire du pays», a regretté l'organisation Human Rights Watch. 

Jean-Claude Duvalier salue ses partisans, 21 Janvier 2011, à Port-au Prince. (HECTOR RETAMAL / AFP )

Après un exil de 25 ans en France, l’ancien homme fort d'Haïti avait choisi le premier anniversaire du séisme meurtrier pour rentrer au pays. «Je suis venu pour aider», avait-il déclaré à son arrivée à Port-au-Prince, le 16 janvier 2011, après avoir embrassé le sol. Depuis son retour, comme simple citoyen, de nombreuses plaintes avaient été déposées contre lui, pour arrestations illégales, tortures, emprisonnements et exil forcé de ses opposants, mais aussi détournements de fonds lors de ses 15 années à la tête du pays le plus pauvre des Amériques.

A la grande satisfaction des victimes du régime et des organisations de lutte pour le respect des droits de l'Homme, un juge d'instruction avait aussi ouvert une enquête en février 2013, qui aurait pu déboucher sur un procès pour «crime contre l'humanité». Malgré la mort de l'ex-dictateur, l'envoyée spéciale de l'ONU en Haïti, Sandra Honoré, a estimé que les poursuites devraient continuer.
 
«Bébé Doc» avait hérité du pouvoir de son père François Duvalier en 1971, à l'âge de 19 ans. Il s'était alors proclamé «président à vie» avant d'être renversé en 1986 par une révolte populaire soutenue par la communauté internationale.

Comme son père, Jean-Claude Duvalier a dirigé son pays d'une main de fer, muselant l'opposition, arrêtant les dissidents en s'appuyant sur la milice paramilitaire des Tontons Macoutes. On estime à 30.000 le nombre de morts durant le règne des Duvalier père et fils.

Elections compromises?
Quatre ans après le séisme meurtrier du 12 janvier 2010, le pays peine toujours à se relever et les regards sont fixés sur des élections législatives dont le premier tour était prévu le 26 octobre 2014. Ce scrutin doit désigner 20 sénateurs et 112 députés alors que des municipales sont programmées le 28 décembre.

Un calendrier impossible à respecter, étant donné que l'Assemble nationale n'a pas encore voté la loi qui organise ces élections. Sans elles, le président Martelly pourrait alors diriger le pays par décrets, ce qui ne serait pas sans rappeler l'ère Duvalier.

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