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Etudiants disparus au Mexique : la danse macabre du maire et de sa femme

Alors que les recherches des 43 jeunes se poursuivent, le maire d'Iguala et son épouse, accusés d'être à l'origine de leur disparition, sont en fuite.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
María de los Ángeles Pineda de Abarca, aux côtés de son mari, José Luis Abarca, le maire d'Iguala, participent à une rencontre avec des responsables gouvernementaux, à Chilpancingo (Mexique), le 8 mai 2014. (ALEJANDRINO GONZALEZ/AP/SIPA)

Ce soir-là, ils ont fait la fête. Pendant que des dizaines d'étudiants étaient attaqués et enlevés après une manifestation, le 26 septembre, à Iguala (Mexique), le maire,  José Luis Abarca, et sa femme, María, dansaient, sous les étoiles, au son de la musique "ranchera". Après avoir dîné, ils sont allés se coucher, "laissant les victimes à la merci des forces de sécurité", dénonce le procureur de l'Etat du Guerrero.

Près d'un mois plus tard, alors que le scandale des 43 étudiants disparus prend de l'ampleur, le couple est en fuite. Les autorités mexicaines ont lancé, mercredi 22 octobre, des mandats d'arrêt contre le maire, son épouse, et le responsable municipal de la sécurité publique. José Luis Abarca est soupçonné par le ministre de la Justice d'être "l'instigateur des faits" survenus dans la ville de 50 000 habitants. Voici l'histoire du "couple qui dansait au milieu des cadavres", tel que l'a surnommé le quotidien madrilène El Pais (en espagnol).

Sombreros, chemisettes et narcotrafiquants

José Luis Abarca est devenu riche "du jour au lendemain", raconte le site mexicain Sin Embargo (en espagnol). Élevé dans une famille pauvre, il grandit en vendant des sombreros sur les marchés, avec ses quatre frères. Après avoir réussi dans le commerce de l'or, il se lance dans les affaires et l'immobilier (la presse mexicaine lui attribue 17 propriétés dans la région d'Iguala). En 2012, c'est le grand saut dans la politique : il se fait élire maire d'Iguala avec le soutien d'un ancien sénateur.

José Luis Abarca a grandi dans une maison de la rue Zaragoza, à Iguala (Mexique). (GOOGLE STREET VIEW)

L'élu est accompagné, depuis "tout jeunot", par sa femme María, rencontrée alors qu'elle livrait, chez les parents Abarca, des robes confectionnées par sa mère. Exubérante, hautaine et toujours tirée à quatre épingles, elle fait carrière dans la joaillerie, avant de s'associer à son mari et de rejoindre, comme lui, le Parti de la révolution démocratique (gauche). Deux des frères de María, membres d'un cartel, ont été assassinés en 2009, après avoir tenté de fuir leur groupe. Un troisième, considéré comme l'un des chefs d'un autre cartel, les Guerreros Unidos, a été récemment arrêté.

Dominant la vie politique et économique d'Iguala, à 200 km au sud de Mexico, le couple s'est installé dans une "forteresse électrifiée et protégée par des patrouilles", sans fenêtre côté rue, avec gymnase, piscine et cinq voitures de luxe, rapporte Sin Embargo. Des voisins soulignent le goût du "petit" José Luis (1,52 mètre) pour les chemisettes près du corps mettant en avant ses biceps.

"Donnez-leur une leçon"

Le jour de l'enlèvement des 43 étudiants est un grand jour pour María de los Ángeles Pineda de Abarca. Depuis plus de deux semaines, elle annonce, sur sa page Facebook, sa grande réunion publique, organisée pour rendre compte de son action à la tête d'une institution d'aide sociale de la ville. Surtout, le rendez-vous est perçu comme le lancement officieux de sa campagne pour les municipales 2015, où elle espère succéder à son époux.

 

Rien ne doit gâcher la fête. Surtout pas une manifestation d'étudiants. Alors qu'un groupe de 80 jeunes opposants à son mari s'approche de la ville, la "première dame" ordonne au responsable de la sécurité de leur "donner une leçon", selon un rapport policier évoqué par le quotidien britannique The Telegraph (en anglais)

Par crainte que les étudiants sabotent l'événement de sa femme, le maire donne "l'ordre d'affronter" les étudiants, a affirmé, mercredi, le ministre de la Justice. Selon les autorités, après des violences qui font cinq morts, des policiers municipaux d'Iguala et du bourg voisin de Cocula remettent 43 étudiants, embarqués à bord de camions poubelles, à des membres des Guerreros Unidos, en les leur présentant comme des membres d'un groupe criminel rival.

"Je vais avoir le plaisir de te tuer"

Un mois plus tard, dans ce pays où 22 000 Mexicains sont actuellement portés disparus, le sort des étudiants reste un mystère. Et les casseroles du "couple impérial" ressurgissent. José Luis Abarca a été accusé, en 2013, d'avoir tué un leader paysan qui avait osé questionner ses liens avec les narcotrafiquants. "Vu la douleur que tu m'as causée, je vais avoir le plaisir de te tuer", aurait dit l'élu, avant de passer à l'acte, selon un homme qui a affirmé à la police avoir assisté à la scène, rapporte The Telegraph.

Une affiche vante les réalisations du maire José Luis Abarca, aux côtés de sa femme María de los Ángeles Pineda de Abarca, le 7 octobre 2014, à Iguala (Mexique). (EDUARDO VERDUGO/AP/SIPA)

Quant à María de los Ángeles Pineda de Abarca, des membres des Guerreros Unidos interrogés en prison présentent cette femme au teint clair et aux cheveux châtain non seulement comme une alliée, mais comme "la principale protagoniste des activités criminelles" depuis la mairie d'Iguala.

Elle est, pour beaucoup, l'élément dominant dans le couple. Surnommée "Lady Iguala", elle est connue pour son caractère sévère et son implication dans les affaires de la ville. "C'est elle qui commandait à la mairie, le maire faisait tout ce qu'elle voulait", raconte un membre de son parti, cité par CNN México (en espagnol). Tous les un à deux mois, les Guerreros Unidos envoyaient de 2 à 3 millions de pesos (120 à 180 000 euros) à la mairie, en guise de pots-de-vin, notamment pour les policiers municipaux corrompus, selon un chef du cartel arrêté et interrogé par la police.

Alors que les recherches du couple et des étudiants disparus se poursuivent, la colère monte dans le pays. A Iguala, des manifestants ont incendié la mairie, mercredi, pour protester contre l'incapacité des autorités à retrouver les disparus. Des rassemblements ont eu lieu dans plusieurs autres villes, tandis que plusieurs universités ont lancé une nouvelle grève de 48 heures.

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