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Costa Rica : l’Eglise évangélique contre l’éducation sexuelle

Le ministère de l’Education du Costa Rica souhaite mettre en place un programme d’éducation sexuelle obligatoire dans les écoles publiques. Un puissant groupe évangélique s’y oppose farouchement. Interview de deux responsables costariciens qui prédisent l'échec de ce groupe.
Article rédigé par Florencia Valdés Andino
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
En 2008, 20% des femmes qui ont donné naissance à un enfant étaient de jeunes filles de moins de 19 ans. (MAYELA LOPEZ / AFP)

La «Suisse de l’Amérique Centrale» a un véritable problème de santé publique. Le taux de grossesses précoces y est très élevé : 20% des mères sont de jeunes filles de moins de 19 ans, d'après l'association démographique du Costa Rica. La proportion d’enfants nés de mères adolescentes va de 2% en Chine à 18% en Amérique latine et dans les Caraïbes, selon l’OMS.

Les jeunes filles sont nubiles au Costa Rica en moyenne à l’âge de 13 ou 14 ans, alors qu’en France les premiers rapports sexuels commencent à peu près à 16 ans. Le gouvernement a fait donc de la prévention de ces grossesses précoces, ainsi que du VIH et autres maladies sexuellement transmissibles, une priorité.

Le phénomène des grossesses précoces est présent dans toute la région. (YURI CORTEZ / AFP)

Le ministère de l’Education (MEP) propose de mettre en place un programme massif dans tous les établissements publics. Une politique apparemment soutenue par l'opinion publique. Selon une récente enquête du ministère de la Santé, 93% des Costariciens interrogés souhaitent que leurs enfants reçoivent une éducation sexuelle. Mais l’Alliance évangélique, un puissant groupe évangélique, entend l'en empêcher. Pour cette fédération, qui se veut l’organisme officiel représentant les évangélistes dans le pays, l’éducation sexuelle dans les écoles ne fera «qu’empirer le vide moral de la jeunesse et encourager la débauche».

Plus de 7.000 plaintes
Depuis que l'Alliance évangélique est partie en croisade contre le MEP, le Conseil Constitutionnel a reçu jusqu’à 7.000 plaintes venant des parents de famille qui adhèrent à cette Eglise. La première plainte a été déposée le 26 juin, elle est déjà à l’étude.

La IVe chambre, comme on l’appelle au Costa Rica, a pourtant répété à maintes reprises qu’une seule plainte sera examinée — comme le stipule la loi — car elles sont toutes identiques. Malgré cela, l’Eglise évangélique ne cesse de faire des réclamations pour faire pression sur les législateurs. Son acharnement agace les magistrats chargés du dossier.

En se mettant ces magistrats à dos, l’Alliance évangélique ne favorise pas sa cause. C’est en tout cas ce que pense Claudio Monge, député du parti de l’opposition progressiste Parti action citoyenne : «Même si les évangélistes ont deux députés à l’Assemblée, leur emprise sur la population est faible. Le Costa Rica est un pays éduqué, politiquement stable et prospère. Ils ont du succès là où les écarts économiques entre les très riches et les très pauvres se creusent. Le train de vie flamboyant de certains de leurs dirigeants les a discrédités auprès des habitants. De plus, ils se heurtent à une coalition exceptionnelle de tous les partis qui veulent mettre en place ce programme».

Lisbeth Quesada a été désignée médiatrice de la République par le Parlement du Costa Rica en 2002. (PEDRO SANCHEZ / NOTIMEX)
 

« Les évangélistes ne vont pas réussir»
Lisbeth Quesada, défenseure des droits de l’homme et ancienne médiatrice de la République, est du même avis que Claudio Monge : «Ils sont très organisés, certes, et ont une force de frappe redoutable, mais les évangélistes ne résussiront pas à faire blocage. Une fois lancé, ce programme sera une énorme avancée pour le pays, qui est déjà pionnier en matière de prévention en Amérique centrale».

Selon elle, c’est le début d’un long processus de changement des mœurs dans ce petit pays de 4 millions d'habitants. Pour autant, le débat sur l’avortement n'est pas près de commencer. «L’IVG au Costa Rica est uniquement autorisé si la grossesse met en danger de mort la mère. Il nous faudra au moins une vingtaine d’années pour pouvoir en débattre de façon intelligente et mûre», pense Lisbeth Quesada.

Les manuels qui servent comme support aux cours d’éducation sexuelle circulent déjà. Et les enseignants suivent des formations pour s’en servir. Ces manuels ont été rédigés de façon «scientifique», dixit Claudio Monge, sans aucune dimension morale.

L'Eglise catholique se fait discrète
Dans ce contexte, il est étonnant que l'Eglise catholique du Costa Rica soit restée silencieuse pendant le débat. Représentant la religion d'Etat, elle a pu exercer une forte pression pendant des années pour faire échec à toute tentative des gouvernements successifs de fournir des guides sur la sexualité aux écoles publiques.

 

Les prêtres costariciens perçoivent la dîme grâce à des cartes bancaires spéciales. NR6 octobre 2012.

Ce statu quo est en train de changer. Une loi qui ferait du Costa Rica un État laïc est à l’étude au Parlement. D’où la discrétion de la part de l'Eglise catholique ces dernières semaines : pour la première fois, elle ne s’est ni exprimée à ce sujet, ni opposée au projet.

«Ce n’est pas maintenant que les catholiques vont se faire remarquer. Bien que leur pouvoir soit énorme au Costa Rica, ils ne peuvent pas mener deux batailles de front », pense le député Claudio Monge.

«Même si l’Eglise catholique reste discrète, je ne serais pas étonnée d’apprendre qu’elle essaye d’avoir, en catimini, une certaine influence sur le programme d’éducation sexuelle. Elle a toujours fonctionné de cette façon. Elle fait pression à l’abri des regards», raconte Lisbeth Quesada.

Le ministère de l’Education espère généraliser son programme lors de la prochaine rentrée scolaire en février 2013.

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