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Argentine: une grève générale révélatrice du malaise social
Les principaux syndicats argentins ont lancé, pour le 6 avril 2017, un appel à la grève générale dans tout le pays. Ce qui renforce la pression sur le président Mauricio Macri, arrivé au pouvoir en décembre 2015. Malgré une reprise timide, l’austérité frappe durement la population, avec une inflation qui a dépassé 40% en 2016. Pour autant, les milieux financiers sont très optimistes.
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«Mauricio Macri subit le premier coup d’arrêt» de sa présidence, analyse le quotidien argentin Clarín sur son site internet. Le président argentin avait promis de redresser un pays en pleine récession. Mais ses choix économiques, de plus en plus contestés ces derniers mois, ont poussé à la multiplication des manifestations, notamment contre l'austérité prônée par son gouvernement libéral.
Les défilés sont presque quotidiens dans le centre de la capitale. Le 19 mars, des dizaines de milliers d’enseignants ont ainsi défilé pour demander une augmentation de 35% de leurs salaires. «Dans la province de Buenos Aires, la rentrée des classes prévue le 6 mars n’a toujours pas eu lieu», rapportait Le Monde le 20 mars.
Seuil de pauvreté
Selon les chiffres officiels, un tiers des 44 millions d’Argentins vit en dessous du seuil de pauvreté. Alors que l'inflation annuelle atteint 40% et que les augmentations de salaires n'ont pas suivi, provoquant une perte de pouvoir d'achat. Autre mesure qui a durement affecté le porte-monnaie de la population: le gouvernement a remis en cause la politique de fortes subventions dans les domaines du gaz, de l’électricité et de l’eau. «La récession se fait sentir. Les gens laissent la voiture pour circuler en autobus, on sort moins, on réduit le train de vie», observe Camilo Ríos, un fonctionnaire de 43 ans.
Pourtant, l’agriculture, tournée notamment vers la culture du soja et la production de viande, produit suffisamment d’aliments pour «nourrir 400 millions» de personnes. Mais globalement, l’économie de l’Argentine, pays miné par la corruption et le narcotrafic, n’est pas au mieux de sa forme : le PIB a reculé de 2,3% en 2016 malgré une légère reprise en fin d’année (-0,2% au 3e trimestre, +0,5% au 4e). 200.000 emplois ont disparu en un an. Le taux de chômage s’élève à 10%. «Seuls les secteurs minier et agroalimentaire tirent leur épingle du jeu. Ils ont vu leurs exportations bondir après la levée des fortes taxes mises en place sous le gouvernement précédent», écrit La Croix.
Dans ce contexte, les trois principaux syndicats ont lancé un appel à la grève générale. Ce qui a provoqué la colère du président. Lequel a mis de l’huile sur le feu en parlant de «comportements mafieux» qui «n’aident pas les travailleurs» et cherchent à «déstabiliser le gouvernement». Selon lui, le mouvement devrait coûter 15 milliards de pesos (plus de 900 millions d’euros).
Homme d’affaires, ex-président du club de foot Boca Juniors et héritier d’une immense fortune familiale, Mauricio Macri a vu sa cote de popularité, qui dépassait 60%, chuter de 20 points. Le fait qu’il soit éclaboussé par l’affaire des Panama Papers n’a rien arrangé.
«Deux Argentine»
Le mouvement coïncide avec le début du Forum économique mondial sur l’Amérique latine. Lequel va attirer à Buenos Aires de nombreux leaders du monde des affaires et de la politique qui boudaient depuis 2001 un pays étranglé par sa dette. Preuve que l’impact du mouvement pourrait être important: les organisateurs du Forum ont demandé aux participants d’arriver la veille en raison de l’annulation de tous les vols le 6 avril…
Vont ainsi cohabiter pendant quelques jours «les deux Argentine» évoquées par le journal espagnol El País. Deux Argentine antagonistes. Dans le complexe où se déroule le Forum, «tout est modernité, sourires et calme», raconte le quotidien. Il est situé «dans l’un des quartiers les plus luxueux de la cité, Puerto Madero, au niveau des grandes capitales internationales. Mais à l’extérieur, un détail essentiel rappelle que l’on se trouve là dans un pays (…) où la protestation sociale est quotidienne. Pour arriver (au bâtiment), il faut traverser d’énormes barrières métalliques destinées à empêcher les manifestants» d’y accéder. Tout un symbole…
L’optimisme des milieux financiers
Il y a d’un côté une Argentine dont le pouvoir d’achat est rongé par l’inflation. Et de l’autre, le monde des affaires qui voit l’avenir en rose avec le retour du pays dans les circuits financiers internationaux et la fin de l’ère Kirchner. «La bourse argentine bat des records chaque semaine», constate El País. Et le secteur financier affiche une santé éblouissante.
Dans ce contexte, les marchés internationaux se montrent très optimistes. L'agence de notation américaine Standard and Poor's a ainsi relevé le 4 avril 2017 la note de l'Argentine de B- à B. Elle table sur une croissance de 3% en 2017 pour la 3e économie d'Amérique latine.
«L'Argentine fait des progrès dans la résolution de divers déséquilibres macroéconomiques tout en reconstruisant la crédibilité du pays», dit le communiqué de l'agence de notation, qui prévoit un net ralentissement de l'inflation en 2017. «Nous prévoyons qu’(elle) va baisser à 20% en 2017 et va progressivement décliner et que l'économie va croître à nouveau de 3% (au cours des) trois prochaines années», ajoute Standard and Poor's.
Un optimisme qui n’a pas encore eu d’effet sur le pouvoir d’achat des Argentins. «Il suffit aux participants (au Forum) de se promener un peu pour voir ces deux réalités politiques et économiques qui cohabitent dans un pays plein de contradictions», conclut El País.
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