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Vidéo COP25 : en Amazonie, "les gardiens de la forêt" ont pris les armes contre la déforestation

Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Article rédigé par Etienne Monin
Radio France

Cinq mois après les incendies monstres de cet été, les derniers chiffres de la déforestation sont en très forte augmentation : 43% par rapport à l’an passé. À certains endroits, des indigènes ont pris les armes pour tenter de défendre leur forêt. 

La carabine est posée à l’arrière du pick-up. C’est une vieille arme de chasse à un coup, dont la sangle a été bricolée avec un vieux tendeur vert de mobylette. Cette arme est le symbole de la lutte des Guajajara et de la tension qui s’est installée dans leur territoire à cause de la déforestation en Amazonie. Certains leaders ne quittent plus leur village, craignant pour leur sécurité. "Ça fait plus ou moins un mois que je ne suis pas sorti du village, confirme Julio Ribeiro Guajajara, un des responsables de la communauté dans le village de Jenipapo. Je ne peux plus mettre les pieds en ville. Je suis le plus menacé parce que je suis le chef du village et le coordinateur des 'gardiens'. Ces menaces viennent des non-indigènes. Ils disent qu’ils peuvent nous attaquer à tout moment."  

Les Guajajara ne surjouent pas l’indigène menacé. Ils sont dans un moment critique. Début novembre, un jeune "gardien de la forêt" a été tué dans une embuscade. Les voleurs de bois sont soupçonnés. Zeze Zapuy Guajajara est le responsable du deuxième plus grand village guajajara : "Il faut que tous les 'gardiens' aient des armes. S’ils n’en n’ont pas, les autres nous attaquent, ils ont l’habitude d’attaquer les villages et de tuer des indiens. Ils veulent reprendre ces terres".  

La forêt des Guajajara, dans l'Etat de Maranhão (Brésil), en novembre 2019 (ETIENNE MONIN / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

"C'est mon droit de défendre ma maison" 

Les Guajajara ont pris les armes en 2009. À l'époque, 12 personnes ont pris part à la création des "gardiens de la forêt". C’était pour répondre à un sentiment grandissant d’insécurité après une attaque de village. C’était aussi un moyen de reprendre leur destinée en main, face à la pression grandissante du vol de bois pratiqué à une échelle presque industrielle dans leur forêt. C’était enfin le moyen de combler le vide institutionnel. Fly Guajajara est activiste et membre des "gardiens de la forêt" : "C’est mon droit de défendre ma maison. Parce que les agences du gouvernement n’ont jamais fait leur travail."    

En 2012 le groupe de résistance a obtenu un statut dans la communauté guajajara. En 2016 il est devenu une institution. L’organisation de défense a produit une organisation administrative. Huit régions ont été créées, chacune avec un groupe de gardiens : 120 au total, recrutés chez les chasseurs. Armés de carabines ou d’arcs, ils mènent des opérations pour brûler le matériel des coupeurs de bois et ils documentent le pillage de la forêt pour les agences gouvernementales. "On a beaucoup avancé dans la lutte contre la déforestation, on le sent, dit Julio Ribeiro Guajajara. Parce que quand il n’y avait rien, il y avait des coupes partout. Quand on a commencé à agir, cela s’est réduit. On a vraiment vu la diminution. Après, on a réduit nos actions, on a vu qu’ils revenaient, donc on a du se remobiliser et ça a débouché sur le meurtre d'un de nos camarades."  

Au Brésil, le crime environnemental paie, il n’y a pas de punition.

Antonio Marcos de Oliveira, ancien policier

à franceinfo

La lutte est inégale. Les gardiens n’ont pas de soutien, pas de moyens de communication. L’escalade de la tension est en leur défaveur. Quatre "gardiens" ont déjà été tués, aucun braconnier n’a été poursuivi. Les voleurs de bois sont couverts par l’impunité. Franciel Souza Guajajara, l’un des fondateurs des "gardiens" : "Dans la ville d’à côté il y a des tueurs d’indigènes. On meurt et il n’y a aucune justice. Les trafiquants de bois continuent à nous envahir. Ils se sentent forts".

Un des camions utilisés par les coupeurs de bois, dans la forêt d'Arariboia, en Amazonie brésilienne, novembre 2019. (M.O.)

À côté de la forêt des Guajajara, les scieries clandestines ont été reconstruites après les actions de démantèlement de la police de l’environnement. La forêt de Arariboia est une proie facile parce qu’elle est au carrefour de plusieurs villes et de bonnes routes pour le transport. Le braconnage en Amazonie est une mafia organisée sur plusieurs niveaux. Les camions sont volés et trafiqués. Le bois est maquillé. Les commanditaires sont protégés. Antonio Marcos de Oliveira, un ancien policier fédéral détaché auprès de la police de l’environnement, le reconnaît : "Au Brésil, le crime environnemental paie. Parce qu’il n’y a pas de punition. Les amendes ne sont pas réglées. Et Il n’y a pas de véritables sanctions pour ce type de crimes." D’après lui, presque tous les bois précieux de la forêt des Guajajara ont été coupés, et les braconniers extraient maintenant des bois de diamètre limité. La forêt amazonienne est aujourd’hui pillée pour fabriquer des piquets qui servent à délimiter les grandes fermes.

La forêt amazonienne en voie de disparition

La forêt des Guajajara est dans un état catastrophique. La déforestation l’a endommagée à 40% ,d’après les indigènes. Il resterait seulement un tiers d’essences anciennes, d’après le policier. Le gros est composé d’une forêt jeune qui a repoussée après les coupes ou les incendies. C’est un bien commun et une ressource locale qui disparaît. Les Guajajara s’appuient encore sur la forêt pour les fruits et la chasse mais ils peuvent s’approvisionner dans les villes. Ce n’est pas le cas des Awa, une tribu isolée, coupée du monde, qui est condamnée à disparaître avec la forêt si la mafia du bois poursuit son avancée.

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