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La forêt amazonienne est-elle vraiment le "poumon de la planète" ?

Comparer l'Amazonie à un "poumon" qui produit "20% de l'oxygène" que nous respirons est trompeur et réducteur. Le véritable "poumon de la planète", ce sont plutôt les océans. L'Amazonie est, en revanche, d'une importance capitale pour la biodiversité et la régulation du climat du continent américain.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Vue aérienne de la forêt tropicale amazonienne, dans le nord du Brésil, le 15 juin 2017. (BRAZIL PHOTOS / LIGHTROCKET / GETTY IMAGES)

"Le poumon de la planète est en feu", peut-on lire, partout sur les réseaux sociaux. "L'Amazonie, le poumon de notre planète, produit 20% de notre oxygène", a même tweeté Emmanuel Macron. Des centaines d'incendies grignotent l'Amazonie, depuis plusieurs semaines. Ce drame environnemental est dû en partie à la sécheresse, mais surtout à la déforestation, encouragée par le président brésilien, Jair Bolsonaro. Les feux sont notamment provoqués par les défrichements par brûlis utilisés pour transformer des aires forestières en zones de culture et d'élevage ou pour nettoyer des zones déjà déboisées. 

Partout dans le monde, des militants se mobilisent, et la santé de l'Amazonie, qui a suscité un début de crise diplomatique entre la France et le Brésil, va s'inviter parmi les sujets au menu au sommet du G7 de Biarritz. Mais peut-être faudrait-il trouver une métaphore plus adaptée que "poumon de la planète", pour évoquer cet écosystème complexe, qui produit de l'oxygène, retient des gaz à effets de serre et abrite une biodiversité inégalée.

Le jour, l'Amazonie fait l'inverse d'un poumon

"Inspirez… Expirez…" Lorsque vos poumons fonctionnent correctement, et sans même que vous en ayez conscience, ils trient l'air que vous inspirez pour alimenter votre corps en oxygène et éliminer ce dont il n'a pas besoin : le dioxyde de carbone (CO2). Les plantes aussi "respirent" en continu. Mais le jour, elles font surtout l'exact inverse de nos poumons.

Les végétaux puisent dans le sol de l'eau et des minéraux pour se nourrir. Avec leurs feuilles, ils captent le dioxyde de carbone (ou gaz carbonique) présent dans l'atmosphère. Les plantes utilisent ensuite l'énergie solaire pour oxyder l'eau et réduire le gaz carbonique afin de produire des glucides, et donc de l'énergie, pour vivre et grandir. C'est ce qu'on appelle la photosynthèse. Au passage, les végétaux rejettent dans l'air du dioxygène (O2). Mais cet oxygène sert en majorité à sa propre consommation. Quand la photosynthèse s'arrête, la nuit, les plantes n'émettent plus d'O2, mais elles continuent à respirer.

Elle ne produit pas "20% de notre oxygène"

Près de 6 millions de kilomètres carrés, 16 000 essences d'arbres différentes… C'est la plus grande forêt tropicale du monde, la plus célèbre sans aucun doute. On lit souvent, y compris sur les sites d'ONG environnementales, qu'elle produit "20% de notre oxygène". C'est lui faire porter une bien lourde responsabilité. "La formule est belle, mais elle n'est pas scientifique", estime d'ailleurs Philippe Ciais, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, interrogé par Le Parisien.

La plupart des scientifiques s'accordent pour estimer que l'Amazonie produit entre 5 et 10% de notre oxygène. Pas plus. Sur Twitter, Jonathan Foley, directeur de l'institut de l'environnement de l'université du Minnesota (Etats-Unis) explique que ses calculs lui permettent d'arriver "au maximum à 6%. Probablement moins".

En réalité, au moins la moitié de notre oxygène provient des océans, où vit le phytoplancton, constitué d'organismes végétaux vivant en suspension dans l'eau. Sa biomasse totale est nettement supérieure à celle des forêts. C'est lui le premier producteur d'oxygène et le plus grand piège à CO2 du monde, le "poumon bleu de la planète".

Cela laisse aux forêts du monde 50% de la production d'oxygène. L'ensemble des forêts tropicales produit, selon Jonathan Foley, 24% de l'oxygène produit sur la terre ferme et 12% de l'oxygène total, "terre et océan inclus". En admettant que l'Amazonie émette à elle seule la moitié de ces 12%, Foley arrive à 6% de la production d'oxygène mondiale. "Il est biologiquement et physiquement impossible pour l'Amazonie de produire 20% de l'oxygène du monde", insiste-t-il.

Elle consomme presque tout l'oxygène produit

Sans oublier que la forêt amazonienne n'est pas toute jeune. Si des arbres en pleine croissance peuvent en effet émettre beaucoup d'O2, d'autres, en vieillissant et en mourant, dégagent surtout du CO2. En 2005, par exemple, une seule tempête a tué 500 millions d'arbres en Amazonie, selon une étude de 2010 financée par la Nasa (en anglais). Et ces millions d'arbres morts ont relâché toute leur réserve de CO2 dans l'air. 

"Pour faire simple, le bilan de la forêt en elle-même est nul quand elle est à son état d'équilibre", résume Pierre Thomas, professeur émérite à l'Ecole normale supérieure de Lyon, au Parisien"Il peut même arriver qu'une forêt émette plus de CO2 qu'elle n'en absorbe", explique Alain Pavé, ancien directeur du programme Amazonie du CNRS, au HuffPost. La déforestation massive pourrait avoir cette conséquence. Surtout, la forêt tropicale est un écosystème complexe, habité par des milliards de consommateurs d'oxygène. Des champignons, des bactéries, des animaux, et quelques millions d'humains. 

L'Amazonie est bien plus qu'un stock d'oxygène

L'Amazonie n'est donc pas tout à fait "le poumon de la Terre", pas seulement en tout cas. Ce serait "réducteur", explique à L'Express Plinio Sist, qui dirige l'unité Forêts et sociétés au sein du Cirad, organisme de recherche agronomique international. "C'est une source de biodiversité inestimable, c'est un réservoir de carbone face au réchauffement, c'est un régulateur du climat sur tout le continent sud-américain", liste-t-il. 

Cette forêt tropicale abrite une biodiversité unique : 40 000 espèces de plantes dont 16 000 essences d'arbres, 2,5 millions d'espèces d'insectes, 3 000 poissons d'eau douce, 1 500 oiseaux, 500 mammifères, 550 reptiles… Et sûrement encore beaucoup à découvrir. Plus de 2 000 nouvelles espèces ont été identifiées et décrites depuis 1999, selon l'organisation WWF (en anglais).

La forêt amazonienne régule aussi tout le climat de l'Amérique du Sud. C'est elle qui maintient l'humidité en produisant de la vapeur d'eau. "Si la déforestation se poursuit au rythme actuel, la région risque de graves problèmes de sécheresse", avertit Plinio Sist. Avec un impact inévitable sur l'agriculture et la production d'énergie du Brésil qui "repose en partie sur des barrages au niveau du bassin amazonien, menacé par un déficit de pluies avec le dérèglement climatique"Mais pas seulement. "La déforestation en Amazonie influence aussi les précipitations du Mexique au Texas", selon une étude menée par la Nasa en 2005 (en anglais). "Cela ne modifie pas la quantité de précipitations, mais leur distribution sur le territoire", explique encore la Nasa.

La déforestation et les incendies ont de lourdes conséquences aussi pour le climat mondial : de piège à CO2, l'Amazonie pourrait se changer en véritable cheminée recrachant des gaz à effets de serre. "Le calcul est simple : une tonne d'arbre qui part en fumée, et ce sont aussitôt presque deux tonnes de CO2 qui s'évaporent", résume Le Parisien. Et ce gaz, la forêt affaiblie est de moins en moins apte à le réabsorber.

"Il y a de nombreuses raisons de s'inquiéter de ces pics de déforestations de l'Amazonie", conclut Jonathan Foley. Le carbone, le climat, l'eau, la biodiversité, les humains… "Mais heureusement, au moins, on n'a pas à s'inquiéter pour l'oxygène."

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