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Faut-il interdire la chasse aux trophées d’animaux sauvages en Afrique?

C’est une pratique qui suscite la polémique y compris au sein des organisations de lutte pour la conservation de la nature. La chasse aux trophées est un commerce juteux et une manne financière pour certains pays. Faut-il la bannir pour assurer la préservation des animaux en Afrique? Géopolis a posé la question à Jean Christophe Vié, chargé du programme mondial pour les espèces à l’UICN.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Dans un atelier namibien, un taxidermiste expose la peau tannée d'un lion abattu par un chasseur de trophées.  (Photo AFP/Biophoto/Michel Gunther)

En Namibie, poster des photos de trophées de chasse sur les médias sociaux pourrait vous coûter cher. Dans ce pays, qui compte de nombreuses espèces d’animaux sauvages, un projet de loi sur la gestion des zones protégées prévoit des sanctions contre toute personne convaincue de mauvais traitement sur des animaux. Un avertissement adressé à ceux qui s’adonnent à la chasse de gros gibier à des fins récréatives et qui s’exhibent ensuite avec leurs trophées pour commémorer leurs exploits.

«C’est quelque chose qui peut nuire à l’image de la Namibie. Des touristes peuvent être emmenés à boycotter le pays. Mais je ne pense pas que la Namibie va mettre fin à son programme de chasse qui est relativement bien contrôlé. Ils veulent peut être que cela se fasse de façon un peu plus discrète», croit savoir Jean-Christophe Vié, directeur adjoint du programme mondial pour les espèces à l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Jean-Christophe Vié reconnaît que toutes les chasses aux trophées ne se font pas d’une façon responsable et juge certaines pratiques totalement inacceptables. «Il y a des choses qui ne sont pas éthiques comme la chasse du gibier d’élevage. En gros, vous élevez des animaux en captivité, notamment des lions, puis vous les lâchez devant des gens armés de fusils pour les abattre...Vous allez sur des sites de chasseurs et vous voyez des gens qui posent devant les cadavres. Vous vous demandez à quelle époque on est?»


Les trophées des grands fauves, une affaire de gros sous
La chasse aux trophées a ses partisans et ses opposants. Les débats tournent autour de la question de la moralité de cette pratique récréative et le déclin observé chez les espèces cibles. Jean-Christophe Vié explique à Géopolis Afrique que dans la polémique suscitée par cette activité à travers le monde, il faut s’affranchir de tout ce qui est émotionnel et éviter tout jugement de valeur.

«Parce que dans la conservation de la nature, il y a trois piliers. Il y a la conservation elle-même, il y a l’utilisation durable et le partage des bénéfices. Quand vous touchez à la chasse, notamment à la chasse aux trophées, vous touchez un peu à ces trois parties. Et notamment aux bénéfices», soutient-il.

Il est vrai que la chasse aux trophées en Afrique est une affaire de gros sous. C’est une manne financière pour certains Etats africains. La chasse aux fauves dans les plaines africaines rapporte gros: 32.000 euros pour un lion, 38.000 pour un éléphant, selon une estimation du journal Libération.

Le problème qui se pose, explique Jean-Christophe Vié, c’est que bien souvent, cet argent ne va pas à la conservation de la nature. «Notre ligne directrice est de dire: ok, on fait la chasse aux trophées, mais les bénéfices doivent être répartis. C’est-à-dire que les communautés qui vivent à proximité de ces animaux ou les organismes de gestion des parcs doivent recevoir l’argent. Il ne doit pas disparaître dans les poches de quelqu’un.»

Des têtes de tigres et de léopards saisis par le service américain de la vie sauvage (USFWS). (Photo Reuters/Ryan Moenring/Osfws)

«On ne va pas s'opposer, comme ça, à la chasse aux trophées»
La chasse aux trophées est parfaitement légale dans une vingtaine de pays, notamment en Afrique du Sud et en Namibie. Mais depuis la mort du lion Cecil, abattu illégalement par un chasseur américain au Zimbabwe, plusieurs compagnies aériennes ont décidé d’interdire le fret de trophées de lions, de léopards, d’éléphants, de rhinocéros et de buffles. «Les compagnies aériennes font ce qu’elles veulent. Elles le font juste pour une histoire d’images», croit savoir Jean-Christophe Vié. Pour lui, cela n’empêchera pas la poursuite de la commercialisation des trophées.

«Tous les chargements illégaux de défenses d’éléphant, de bois tropical, ça ne passe pas par des compagnies aériennes. Il y a plein d’autres voies. En règle générale, nous sommes opposés à une réaction allergique qui consiste à tout interdire d’un coup. Avec le risque de tuer des initiatives qui fonctionnent bien. C’est la raison pour laquelle, nous, on ne va pas s’opposer comme ça à la chasse aux trophées.»

«Le monde de la conservation de la nature est impitoyable»
Cette décision des compagnies aériennes avait été applaudie par les défenseurs des animaux qui refusent tout simplement l’idée de la mise à mort. Ils estiment que la chasse aux trophées contribue à détruire, non seulement certaines espèces, mais aussi leur habitat naturel et celui des peuples indigènes.

«S’il est vrai que la chasse est un problème pour certaines espèces, le vrai problème, c’est le bulldozer, ce sont les tronçonneuses», rétorque Jean-Christophe Vié. «Vous avez des gens qui vont raser les forêts pour faire du palmier à huile. C’est cela qui fait disparaître la nature et les peuples autochtones», soutient-il.

Jean-Christophe Vié constate avec regret que le monde de la conservation de la nature est absolument impitoyable, parce qu’il passe son temps à se quereller au lieu de s’en prendre aux vrais responsables de la destruction de l'environnement. Il n’a pas du tout apprécié la récente querelle qui a éclaté entre deux grandes organisations engagées dans la lutte pour la préservation de la nature.

Dans une tribune parue dans la presse en juin 2017, le directeur de Survival International, grand défenseur des droits des peuples autochtones a accusé l’ONG internationale de protection de la nature (WWF) de protéger les chasseurs de trophées en Afrique. C’est une mauvaise cible et un mauvais procès, estime-t-il.

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