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La crise politique en Tunisie vue par la presse des pays voisins

En Algérie, au Maroc et en Egypte, les médias mettent en exergue la paralysie politique qui est à l'origine de la crise et qui explique en partie le soutien populaire dont bénéficie le chef de l'Etat.

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des partisans du président tunisien Kaïs Saïd exhibent une couche de bébé le 26 juillet 2021, alors qu'ils sont rassemblés devant le bâtiment du Parlement tunisien au Bardo, dans la capitale Tunis, pour soutenir le chef de l'Etat après sa décision, entres autres, de geler les travaux de l'Assemblée.  (CHEDLY BEN IBRAHIM / HANS LUCAS)

Les réactions officielles sur la crise politique en Tunisie sont encore rares sur le continent. Dans un communiqué daté du 27 juillet 2021, le président de la Commission de l’Union africaine Moussa Faki Mahamat a indiqué qu'il suivait "avec attention la situation". Il a souligné "l'attachement de la Commission de l'Union africaine au strict respect de la Constitution tunisienne (...) et à la promotion du dialogue politique pour résoudre les problèmes posés et répondre aux aspirations légitimes du peuple tunisien, sa jeunesse notamment".

A l'instar de Moussa Mahamat Faki, qui s'est entretenu par téléphone avec le ministre tunisien des Affaires étrangères, les dirigeants des pays voisins envoient leurs émissaires pour s'enquérir de la situation politique. Mais les éditorialistes sont les plus prolixes pour l'heure quand il s'agit de commenter la crise que traverse la Tunisie depuis le 25 juillet 2021. Le président Kaïs Saïed s'est octroyé le pouvoir exécutif et a, entre autres, gelé les travaux du Parlement présidé par le leader du parti islamiste Ennahda, Rached Ghannouchi. Ce dernier a d'ailleurs dénoncé un "coup d'Etat" là où Kaïs Saïed considère qu'il a agi pour "sauver la Tunisie, l'Etat et le peuple tunisien". 

Nouredine Nesrouche dans les colonnes du journal algérien El Watan estime ainsi que le président tunisien "a jugé que son peuple courait un péril imminent et a tranché dans le vif en renvoyant gouvernement et députés""Fidèle à son nationalisme romantique, poursuit-il, et libre des influences occidentales et/ou des monarchies du Golfe, Saïed a fait ce choix compte tenu des circonstances et des manifestations de rue réclamant la dissolution du Parlement. Cette Assemblée des représentants du peuple (ARP) – dont le parti Ennahda détient le quart des sièges – est paralysée par des querelles de chapelles et entachées par des scandales de corruption."

Les "circonstances" évoquées par El Watan sont explicitées par le journal égyptien Al Ahram. "Les institutions du gouvernement et le fonctionnement normal de l'Etat ont été entravés par la récente crise politique déclenchée par le remaniement ministériel de (Hichem) Mechichi (aujourd'hui démis, NDLR) en janvier et suivie d'un affrontement continu entre le président du Parlement", explique Mohamed Abdel-Razek. 

Le média marocain Tel Quel illustre ainsi le conflit ouvert qui oppose les deux hommes depuis des mois : "A plusieurs reprises, Rached Ghannouchi, président du Parlement et chef historique du parti islamiste, a empiété sur les prérogatives de Kaïs Saïed. Parmi les exemples : une prise de position dans le dossier libyen alors que la diplomatie revient au président et que la stratégie officielle de la Tunisie est la neutralité."

"Le coup de Saïed indispose les légalistes, mais semble satisfaire les Tunisiens"

La paralysie politique dont souffre la Tunisie a eu des conséquences que résume Mohamed Abdel-Razek. "Les tiraillements politiques incessants ont empêché toute avancée dans les réformes économiques tant attendues par les Tunisiens, après des années de difficultés économiques sans fin qui ont contraint les agences de notation internationales à dégrader la note du pays et à émettre des pronostics alarmants", écrit-il. "La situation s'est aggravée au point que Tunis pourrait être incapable de payer ses dettes, ce qui pourrait signifier un rééchelonnement de la dette et la perte de confiance des donateurs internationaux." Et Mohamed Abdel-Razek de lister les chiffres qui éclairent son propos : "un taux d'inflation de plus de 5,3%", "un taux de chômage élevé avec une moyenne nationale de 17%""une baisse de 7% du PIB" et "un déficit budgétaire national de 11,4%, le plus élevé depuis quatre décennies".

La pandémie liée au Covid-19 n'a rien arrangé"La crise sanitaire est conjuguée à une crise économique aiguë", analyse Nouredine Nesrouche dans El Watan qui souligne que "18 000 Tunisiens ont trouvé la mort" à cause du Sars-Cov-2 "sur une population de 12 millions d’habitants, ce qui donne l’un des taux de mortalité les plus élevés au monde depuis l’éclatement de la pandémie. Une véritable hécatombe." Cette dernière explique le soutien populaire dont bénéficie le président tunisien en dépit d'une série de décisions qui menace la jeune démocratie tunisienne et qui inquiète la communauté internationale. 

"Le coup de Saïed indispose les légalistes, mais semble satisfaire les Tunisiens qui ont manifesté leur approbation par des scènes de liesse", note El Watan"Le débat sur la constitutionnalité ou pas de ces décisions peut occuper les plateaux télé, mais la rue tunisienne préfère l’ajourner pour se donner la priorité à la survie face au virus mortel", peut-on encore lire dans le quotidien algérien.

La sortie de crise en Tunisie s'annonce par conséquent complexe. "Compte tenu de l'immense mécontentement populaire à l'égard du gouvernement et du Parlement, les résultats (d'un dialogue national) ne répondraient probablement pas aux besoins et aux aspirations du peuple tunisien, qui n'acceptera probablement pas le retour d'Ennahda à la position dominante qu'il occupe au sein du gouvernement depuis plusieurs années. Ceci est confirmé par les récents sondages d'opinion, qui ont montré une forte baisse de la popularité d'Ennahda", conclut Mohamed Abdel-Razek d'Al Ahram.

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