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Tanzanie : Kili Paul, le Tiktokeur masaï qui aimait Bollywood

Ses chorégraphies et ses numéros de synchronisation labiale ("lip sync" en anglais), inspirés par Bollywood et postés sur les réseaux sociaux, font sensation en Inde.  

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le Tanzanien Kili Paul et sa sœur Neema sont devenus des stars des réseaux sociaux en Inde grâce à leurs performances inspirées de Bollywood. 


 (Montage FTV/KILI PAUL TikTok/Youtube/Instagram)

Aujourd'hui, ce sont peut-être les Indiens qui parlent le mieux de Kili Paul, talentueux éléveur masaï vivant en Tanzanie. Ils ne tarissent pas d'éloges sur ses synchronisations labiales (technique qui consiste à faire coincider ses mouvements de lèvres avec les paroles de l'interprète originel d'une chanson par exemple) et les numéros de danse, vibrants hommages à Bollywood dont les films musicaux sont la spécialité. Ils sont exécutés dans son village de Mindu Tulieni, dans la région de Pwani (est du pays) en vêtements traditionnels masaï et partagés sur les réseaux sociaux. 

Adoubé en Inde 

Début janvier, l'un des articles qui lui a été consacré dans la presse indienne saluait son talent d'acteur après sa reprise d'une chanson interprétée par le comédien indien Ranbir Kapoor. "Plusieurs de ses numéros de Bollywood sont déjà devenus viraux. La star tanzanienne de TikTok Kili Paul est célèbre pour son amour de la musique hindi et compte de nombreux adeptes (en Inde). Cette fois-ci, la star des réseaux sociaux a mis en avant ses talents d'acteur en (reprenant) la chanson Channa Mereya du film Ae Dil Hai Mushkil (2016)", constatait The Tribune.

De même, l'un de ses derniers numéros, où il est accompagné de sa jeune sœur Neema qu'il a embarquée dans son aventure, en a encore beaucoup impressionné. "Kili Paul et Neema, un duo de frère et sœur tanzaniens, ont gagné les cœurs et font le buzz en Inde depuis que leur vidéo de synchronisation labiale de Raatan Lambiyan (une chanson du film Shershaah) est devenue virale sur Instagram", notait un article de l'Hindustan Times paru début décembre.

Le post a été repris "par les stars (du film) Shershaah (2021), Kiara Advani (et Sidharth Malhotra), ainsi que (le chanteur de playback) Jubin Nautiyal (interprète originel puisque dans le cinéma populaire indien, les comédiens sont vocalement doublés quand ils chantent, NDLR) et le compositeur Tanishk Bagchi", ajoute le journal. Jubin Nautiyal, très à la mode aujourd'hui et dont Kili et Neema Paul sont de grands fans, n'hésite pas à partager les œuvres du duo tanzanien sur ses réseaux sociaux. Une émission d'une radio indienne leur a d'ailleurs permis d'échanger en direct, à la grande surprise des Paul.   

(Traduction : "Notre homme lipsync préféré #KiliPaul et sa sœur #NeemaPaul de #Tanzania s'y mettent avec #MeriZindagiHaiTu ❤ magnifiquement chanté par @JubinNautiyal et @neetimohan18 @manojmuntashir @RochakTweets #jubinnautiyal #WeLoveJubin.") 

Le succès indien de Kili Paul n'était pourtant pas garanti. Le jeune Tanzanien a confié à l'Hindustan Times qu'il ne pensait pas que ses prestations seraient vues en Inde où TikTok est interdit. "Mais je n'ai pas arrêté de faire ces vidéos. Nous aimons Jubin Nautiyal et il y a une page de fans que nous suivons. Ils m'ont suggéré cette chanson (Meri Zindangi Hai Tu). En la faisant, j'ai réalisé qu'il y avait une partie où une fille chante, alors j'ai montré la vidéo à Neema, et elle s'est entraînée encore et encore jusqu'à ce qu'elle maîtrise les paroles. J'ai d'abord enregistré ma partie, et quand j'ai posté la deuxième partie avec elle, boom, c'est devenu viral. Nous avons tagué Jubin et d'autres stars et maintenant c'est partout", a-t-il confié au média indien. Une belle récompense pour les Tanzaniens qui ne parlent aucune langue indienne mais qui passent des heures à s'entraîner pour réaliser leurs vidéos

Kili Paul a aujourd'hui plus de 1,8 millions d'abonnés sur le réseau social chinois depuis qu'il a ouvert son compte, il y a un an. C'est avec une chorégraphie sur Jerusalema, le tube sud-africain qui a fait dansé toute la planète en 2020, que sa page a été inaugurée, expliquait-il dans un entretien accordé en décembre dernier au média tanzanien Mbengo TV. Car Kili Paul et sa soeur, qui l'a rejoint plus tard, chantent tout et dansent sur tout. Ce qui a fait leur notoriété sur la toile tanzanienne. 

Leur répertoire musical est tout aussi large quand il s'agit de Bollywood : des chansons les plus actuelles aux moins récentes en passant par les grands succès comme Kuch Kuch Hota Hai, la chanson phare du film éponyme devenu un classique de la comédie romantique en Inde. Les stars Sharukh Kahn et Kajol s'y donnent la réplique sous la direction de Karan Kojar. Kili Paul, qui l'interprète au milieu des vaches, l'a posté le 14 février 2021 pour célébrer la fête des amoureux.

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Une publication partagée par Kili Paul (@kili_paul)

Toujours au milieu de son bétail, le jeune Masaï avait également repris une autre chanson, plus récente, interprétée par le grand Sharukh Kahn.

Bercé par Bollywood

Dans ses nombreuses interviews, interrogé sur son inclination pour Bollywood, Kili Paul a répondu qu'il aimait les chansons indiennes et qu'il avait grandi avec ce cinéma. Ce qui n'a rien d'insolite pour des générations d'Africains qui ont été bercés par les productions du cinéma populaire indien dont l'Afrique de l'Est est historiquement la porte d'entrée. "La plus grande exportation (de cette industrie) est constituée de films commerciaux en hindi-urdu (ce sont les versions d'une même langue mais qui s'écrivent dans des systèmes différents) produits à Bombay (Mumbai, capitale de l'Etat du Maharashtra, NDLR)", explique l'universitaire Nerd Bertz dans une étude consacrée à Bollywood en Afrique.

"Leur circulation s'est faite de manière distincte dans différentes régions d'Afrique, en fonction des liens coloniaux, des réseaux de la diaspora indienne, des liens commerciaux régionaux et des goûts du public. L'Afrique de l'Est a vu arriver pour la première fois des films indiens dans les années 1920, importés par des entrepreneurs indiens de la diaspora qui ont ouvert des salles de cinéma et projeté des films hollywoodiens et britanniques. Les communautés indiennes et africaines ont toutes deux consommé les films de Bombay, qui ont dominé le box-office est-africain pendant des décennies, même si la fréquentation des salles de cinéma a diminué vers la fin du XXe siècle." 

Dans son entrevue avec Mbengo TV, Kili Paul à expliqué qu'il nourrit l'espoir de se rendre "bientôt" en Inde et espère, "pourquoi pas", jouer à Bollywood. Sa sœur Neema et lui y auraient effectivement toute leur place quand on sait que la maîtrise de la synchronisation labiale fait partie de la panoplie du bon comédien dans le cinéma populaire indien. Un internaute soulignait sur Instagram, en félicitant le duo sur sa page, que l'habileté qu'ils avaient développée manquait, selon lui, a une grande actrice indienne qui avait pourtant déjà une longue expérience à Bollywood. 

En attendant, être créateur de contenus pour les réseaux sociaux requiert une certaine logistique pour l'éleveur masaï. Il doit se rendre chaque jour à Lugoba, la ville la plus proche de son village, pour charger son téléphone, a-t-il confié à la BBC. Sa famille avec qui il vit, notamment sa grand-mère avec qui il danse parfois, ne comprend pas toujours son activité sur les réseaux sociaux, mais elle ne manque pas de saluer sa notoriété grandissante.

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