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Swaziland : le mystère de la très, très grande ambassade américaine…

En 2016, les USA ont inauguré une importante ambassade à Ezulwini, à 10 km de Mbabane, capitale du Swaziland, petit Etat de 1,2 millions d’habitants sans débouché sur la mer, enclavé entre l’Afrique du Sud et le Mozambique. Mais à quoi peut donc servir un tel bâtiment, dont la taille est disproportionnée par rapport à celle du pays ?
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Le site de l'ambassade des Etats-Unis au Swaziland (entouré de rouge). Capture d'écran de Google Maps. (DR (capture d'écran de Google Maps))

La nouvelle ambassade est installée en un lieu où l’on pourrait loger «cinq terrains de rugby», selon le journal sud-africain Sunday Times. A tel point que «le bâtiment est plus grand que (la représentation diplomatique des Etats-Unis) en Afrique du Sud», pays qui est, notamment pour les Américains, beaucoup plus important économiquement et diplomatiquement que la monarchie absolue du Swaziland.

Le Swaziland ? «Une Suisse africaine où se prélasse le lion», titrait Le Monde en 2010. Cet ancien protectorat britannique, qui n’a jamais connu la guerre, permettait aux Sud-Africains blancs, à l’époque de l’apartheid, de venir s’encanailler dans les casinos ou les lieux de prostitution du royaume. L’apartheid, connu pour son racisme, l’était moins pour sa tartufferie… Aujourd’hui, au-delà des clichés, le Swaziland, comme le rappelle Géopolis, est surtout connu pour sa «monarchie absolue contestée» et son mépris pour la liberté de la presse. «En 2016, les partis politiques sont restées interdits, comme ils le sont depuis 1973. L’indépendance de la justice (a continué à) être sévèrement compromise», note le rapport 2016 de Human Rights Watch.

Le roi Mswati III entend-il faire jouer un rôle diplomatique important à son pays en accueillant cette gigantesque représentation des Etats-Unis, qu’il est interdit de photographier, comme le précisent des panneaux installés tout autour du bâtiment ? Un bâtiment qui a coûté au contribuable américain la bagatelle de 141 millions de dollars, révélait un communiqué de l’ambassade le 26 juin 2016, au moment de son inauguration.

Le roi du Swaziland, Mswati III à l'ONU le 29 septembre 2015. (REUTERS - Carlo Allegri)

Pourquoi?
Le nouvel édifice est «un symbole important de l’engagement durable des Etats-Unis au Swaziland et des relations suivies entre les deux pays», poursuit le texte. De plus, il «offre aux employés un lieu de travail sûr, sécurisé et moderne». Mais au-delà de la langue de bois, une chose est certaine : l’édifice est situé non loin de l’endroit où réside la famille royale à Ezulwini, un peu à l’extérieur de la capitale. Pour les diplomates américains, l’accès au pouvoir swazi s’en trouve ainsi (accessoirement) facilité…

Pour autant, tout cela n’explique pas la vraie raison de la construction de l’ambassade. Au Swaziland même, certains font remarquer que cette réalisation gigantesque est la troisième plus importante de ces dernières années dans le pays, après la construction du Millenium Projects, vaste palais des congrès et complexe hôtelier construit lui aussi à Ezulwini, et d’une route contournant la capitale. Certains observateurs font remarquer que nombre de missions diplomatiques américaines de la région sont un peu bâties sur le même modèle. Et que Washington entend ainsi se prémunir contre des attentats du type de ceux perpétrés contre ses représentations au Kenya et en Tanzanie en 1998.

«Grandes oreilles»?
En Afrique du Sud, puissant voisin du Swaziland, on se demande si l’ambassade ne serait pas en fait une «base d’espionnage», comme l’explique le Sunday Times. Et les spéculations vont bon train…

Les Américains tenteraient ainsi de renforcer leur influence en Afrique face aux Chinois observe un universitaire de Johannesbourg cité par le journal sud-africain. Et ce depuis le Swaziland, pays qui reste dans l’orbite occidental. Ce n’est un secret pour personne que la présence chinoise dans le continent a considérablement augmenté ces dernières années. D’autres sources, également citées par le Sunday Times, se demandent si les Etats-Unis n’auraient pas l’intention de transférer au Swaziland le siège de l’Africom, le United States Africa Command, créé en 2007, dont le siège est à Stuttgart en Allemagne. Apparemment, aucun Etat africain n’a, jusque là, accepté un tel transfert sur son territoire en raisons des pressions sud-africaines.

On en reste donc réduit à des spéculations sur les raisons expliquant la taille imposante de cette ambassade. Les Etats-Unis entendent-ils renforcer leur présence à la porte de l’Afrique du Sud, pays stratégique d’Afrique australe, dont les dirigeants multiplient les déclarations anti-occidentales ? A commencer par le très contesté président Jakob Zuma qui vient d’échapper à un vote de défiance. Dans le même temps, Pretoria réfléchit à une coopération nucléaire avec la Russie et la Chine

La première puissance mondiale entend-elle également installer des «grandes oreilles» à quelques centaines de kilomètres du Mozambique et de l’océan Indien, «carrefour stratégique au cœur de la mondialisation»? La diplomatie a parfois des raisons que la raison a du mal à cerner au premier abord…

Vue du bâtiment de l'ambassade américaine à Ezulwini (Swaziland). Capture d'écran du site internet de l'ambassade. (DR (capture d'écran du site de l'ambassade américaine au Swaziland))

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