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Soupçons de chantage contre le roi du Maroc : l'éditeur renonce à publier le livre des deux journalistes

Eric Laurent et Catherine Graciet ont été mis en examen pour "chantage" et "extorsion de fonds". Les deux journalistes ont livré, lundi, leurs versions des faits dans les médias. 

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des titres de la presse marocaine évoquant l'affaire de chantage présumé contre le roi Mohammed VI, le 29 août 2015 à Rabat (Maroc).  (FADEL SENNA / AFP)

L'ouvrage ne paraîtra pas. Les éditions du Seuil ont renoncé, lundi 31 août, à publier le livre sur le roi du Maroc d'Eric Laurent et de Catherine Graciet. "La relation de confiance" entre l'éditeur et les auteurs est "de facto dissoute", a fait savoir Le Seuil dans un communiqué. 

Les deux journalistes français, soupçonnés d'avoir demandé trois millions d'euros en échange de la non-publication d'un livre à charge contre Mohammed VI, ont été mis en examen samedi pour tentative de chantage.

Francetv info fait le point sur cette affaire en cinq questions.

Qui sont les deux journalistes mis en examen ?

Eric Laurent, qui travaille notamment pour France Culture, et la journaliste indépendante Catherine Graciet, sont soupçonnés de chantage contre le roi du Maroc, Mohammed VI. Les deux enquêteurs travaillaient sur un livre, intitulé Le Roi prédateur, main basse sur le Maroc, censé paraître aux éditions du Seuil au premier semestre 2016.

Eric Laurent est l'auteur de nombreux ouvrages d'enquête : La Face cachée des banques (Plon), Bush, l'Iran et la bombe (Plon), ainsi qu'un livre d'entretiens hagiographique avec l'ancien roi du Maroc, Hassan II. Catherine Graciet, qui a travaillé au sein d'un hebdomadaire marocain d'opposition a, pour sa part, publié en 2013 Sarkozy-Kadhafi, histoire secrète d'une trahison.

Que leur reproche-t-on ?

Les deux journalistes sont poursuivis pour "chantage" et "extorsion de fonds" sur Mohammed VI. Ils sont soupçonnés d'avoir demandé trois millions d'euros en échange de la non-publication de leur livre sur le roi du Maroc. Ils ont été remis en liberté sous contrôle judiciaire.

L'affaire a été révélée peu après l'arrestation des deux journalistes, qui venaient de se faire remettre 40 000 euros chacun en coupures de 100 euros, lors d'un rendez-vous organisé à Paris avec Hicham Naciri, l'avocat du roi du Maroc. Le JDD a pu écouter les enregistrements captés lors du rendez-vous, où l'on entend Eric Laurent demander "trois millions d'euros".

Les journalistes se sont fait interpeller avec une lettre manuscrite scellant un accord "pour ne plus rien écrire sur le royaume du Maroc", en "contrepartie de la somme de deux millions d'euros", rapporte le Journal du dimanche. "Le Palais a alors décidé de porter plainte auprès du parquet de Paris. Les policiers ont décidé d'organiser un flagrant délit", a assuré Me Eric Dupond-Moretti, l'avocat de Mohammed VI, en charge de l'affaire.

Quel devait être le contenu du livre ?

En 2012, les deux journalistes avaient déjà signé un premier livre d'enquête sur Mohammed VI, intitulé Le Roi prédateur (Le Seuil). Ce nouveau livre au cœur de l'affaire devait être une suite. Il ne sera finalement pas publié. Selon Catherine Graciet, son contenu était "apocalyptique" pour le roi du Maroc.

"Nous avions décidé de travailler sur la famille royale, ses querelles, son train de vie, explique la journaliste au Parisien. Nous avions réussi à réunir des documents, trouvé des dizaines de témoins, découvert des affaires très lourdes, y compris sur le plan pénal." Ces informations auraient-elles pu faire tomber la monarchie ? "Tomber, non. Ebranler, oui", explique Eric Laurent au Monde.

Comment se défendent les deux journalistes ?

Les deux journalistes incriminés affirment que l'argent leur a été proposé par le royaume du Maroc et démentent avoir été à l'origine de la demande, même si les enregistrements affirment qu'il y a eu négociations. "A aucun moment il n’y a dans ces enregistrements une volonté de ma part de faire chanter le roi du Maroc à travers un de ses avocats", se défend Eric Laurent dans le Monde.

Le journaliste d'investigation évoque "une tentation, pas du chantage". "J’ai exercé ce métier pendant trente ans et j’avoue que, là, j’en ai un peu assez (...). Donc je me dis : après tout, on n’a pas envie, quelles que soient les réserves que l’on peut avoir sur la monarchie, que s’instaure une république islamique. S’il propose une transaction, pourquoi pas."

De son côté, Catherine Graciet avoue aussi s'être "laissé tenter". "J'ai eu un accès de faiblesse, affirme-t-elle dans les pages du Parisien. C'est humain non ? Chacun se demande ce qu'il ferait de sa vie avec deux millions d'euros. Je suis tombée dans un piège. Quand la police nous a interpellés dans le hall (...), j'ai compris la manipulation : la police en embuscade, les écoutes, le traquenard."

Que risquent-ils ?

En France, selon le Code pénal, l'extorsion est punie de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende, note le Huffington Post Maghreb. Le chantage est, quant à lui, puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Eric Moutet, l'avocat de Catherine Graciet, a contesté l'obtention des écoutes des journalistes, qu'il qualifie de "traquenard". Selon Le Parisien, il se réserve "la possibilité de déposer toute requête en nullité de la procédure relative à ces écoutes sauvages".

Le fait que les enregistrements aient été réalisés dans le but de les piéger, selon lui, par l'avocat du roi du Maroc, et non par les policiers, alors que l'enquête était lancée, est contestable, assure l'avocat. Il s'agirait d'un contournement de la procédure au regard de la loi de 2010 sur la protection des sources des journalistes, observe Le Parisien. 

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