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Soudan : des armes explosives blessent la population et détruisent les hôpitaux, alerte Human Rights Watch

En dépit du droit international, ces armes sont utilisées au milieu des villes et à côté d'infrastructures essentielles pour les civils, dénonce l'ONG dans un rapport.
Article rédigé par franceinfo
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Une rue de Khartoum lors des combats entre l'armée et des paramilitaires au Soudan, le 30 avril 2023. (OMER ERDEM / ANADOLU AGENCY / AFP)

Après vingt jours de guerre, les combats acharnés se poursuivent au Soudan. L'armée et les paramilitaires qui se disputent le pouvoir font usage d'armes explosives meurtrières, alerte l'ONG Human Rights Watch dans un rapport (en anglais) publié vendredi 4 mai. "Des roquettes, des bombes lâchées depuis des avions et d'autres types d'armes explosives tuent et blessent des civils", résume Mohamed Osman, auteur du rapport, à franceinfo.

Selon Human Rights Watch, ces armes sont autorisées par le droit international, mais la façon dont elles sont utilisées par les belligérants soudanais est interdite. Un principe fondamental du droit de la guerre est que les parties "doivent à tout moment faire la distinction entre les combattants et civils", rappelle l'ONG dans son rapport. Or les habitants comme les bâtiments civils subissent des frappes sans distinction, note-t-elle.

Entre le 15 et le 30 avril, lors des quinze premiers jours du conflit, Human Rights Watch a ainsi collecté par téléphone les témoignages de 23 habitants, à Khartoum, Nyala (dans la région du Darfour) ou encore El Obeid. 

"Nous avons analysé des vidéos, des images satellites, des restes de projectiles, qui nous ont permis d'identifier la nature des armes et leur impact."

Mohamed Osman, enquêteur à Human Rights Watch

à franceinfo

L'ONG a également analysé 10 vidéos mises en ligne sur les réseaux sociaux montrant l'armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo utiliser des armes explosives dans des zones densément peuplées de la capitale soudanaise.

Des civils victimes et témoins des frappes

Une vidéo mise en ligne le 15 avril montre par exemple un avion de chasse SAF MiG-29 lancer un missile près de l'aéroport international. Sur d'autres images, un SAF MiG-29 largue deux bombes au nord d'Omdurman. Un document datant du 21 avril montre aussi un hélicoptère tirer plusieurs roquettes sur la façade d'un immeuble de quatre étages à Omdurman. Dans une autre vidéo, des combattants des Forces armées soudanaises (SAF) dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan tirent avec des lance-roquettes dans une rue centrale de Khartoum. D'autres vidéos vérifiées par l'ONG montrent des chars tirant directement dans les rues habitées de la capitale.

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Les populations civiles sont les témoins et victimes directes de ces frappes. A Nyala, au Darfour, les combats ont fait des centaines de blessés par balle, rapporte Human Rights Watch. Une habitante de Khartoum a déclaré que des soldats des FSR étaient déployés devant sa maison, qui se trouve à 5 à 10 minutes en voiture de l'aéroport international. Elle décrit des combats "incessants". "Il y avait un [canon antiaérien] juste à l'extérieur de mon immeuble. (...) Chaque fois qu'il y avait un avion, ils tiraient", relate-t-elle.

Un habitant d'un quartier d'Omdourman a également déclaré à l'ONG que sa maison avait été touchée à trois reprises par "des bombes lourdes et des tirs d'armes légères". 

"Il y a des bombardements entre l'armée et les FSR car le poste militaire n'est pas loin. Les deux tirent. Les bombes lourdes proviennent de l'armée. Ce sont les seuls à en avoir. Les FSR utilisent des armes plus petites."

Un habitant d'Omdourman

à Human Rights Watch

A Khartoum, une femme a déclaré qu'une munition avait touché la maison de sa famille dans le quartier Burri et qu'elle avait tué sa nièce de 2 ans. Le projectile "a traversé le bâtiment et a pénétré dans les murs", a-t-elle décrit. "Les murs et le toit se sont effondrés sur tout le monde. (...) Ma nièce a été emmenée à l'hôpital, où elle est décédée." "J'ai entendu quelque chose comme un sifflement puis un 'boum'. (...) Personne n'a été blessé, sauf un de mes chiens. C'est un objet énorme qui a frappé le bâtiment et a traversé le béton", dépeint un homme résidant dans le quartier El-Riyad de Khartoum.

Seize hôpitaux visés par des bombardements

Selon les Nations unies, au 2 mai, au moins 528 personnes ont été tuées et 4 599 autres ont été blessées. Mais ces chiffres officiels sont largement sous-évalués car "les hôpitaux n'enregistrent que ceux qui meurent dans les hôpitaux ou dont les corps sont amenés", remarquent des médecins interrogés par Human Rights Watch.

Selon l'ONG, des attaques ont également été menées contre le réseau d'eau à Khartoum, privant des pans entiers de la ville de cette ressource essentielle. Les responsables des infrastructures ont déclaré que les combattants les empêchaient d'accéder à l'usine pour des raisons de sécurité, empêchant toute réparation. Selon l'Union des médecins soudanais, citée dans le rapport, 16 hôpitaux ont été touchés par des frappes, 57 ne fonctionnent pas en raison du manque de fournitures médicales, d'électricité et de personnel, et 19 ont été contraints d'évacuer.

"Chaque fois que nous avons de l'eau ou de l'électricité, nous devons décider rapidement comment les utiliser, car on ne sait jamais quand ça va être coupé à nouveau."

Une habitante de Khartoum

à Human Rights Watch

Et de poursuivre : "Vous pouvez entendre les enfants pleurer, [mais je ne sais pas si c'est] à cause du bruit des coups de feu ou des explosions, ou parce qu'ils ont faim et soif."

Un appel à respecter le droit international

Le 18 avril, deux bombes ont touché l'un des plus grands hôpitaux publics de Khartoum, l'hôpital El Shaab. "Cet hôpital a dû évacuer tous ses patients. Les Soudanais viennent de tout le pays pour consulter. Il y a des services très importants, comme la cardiologie", précise Mohamed Osman. La frappe a été diffusée en direct à la télévision. Sur la base des images et des images satellites, l'ONG estime qu'elle a été provoquée par le largage de bombes depuis un avion

Face à cette situation, Human Rights Watch appelle l'ONU et les organisations internationales à prendre des mesures significatives pour empêcher ces "violations" du droit international. L'ONG demande aux Nations unies d'exhorter les belligérants à mettre fin aux attaques illégales contre les civils et les infrastructures. Elle appelle les pays à respecter l'embargo sur les armes au Darfour et à imposer un embargo sur les armes livrées à l'armée soudanaise et aux rebelles des FSR.

Human Rights Watch appelle aussi le Conseil des droits de l'homme de l'ONU à tenir une session extraordinaire d'urgence sur le Soudan et à mettre en place un mécanisme pour collecter et conserver les preuves de "crimes de droit international".

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