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Tunisie: Chamseddine Marzoug, l’homme qui donne une sépulture aux migrants noyés

Un ancien pêcheur tunisien, aujourd’hui au chômage, s’est fixé une mission : enterrer «dignement» les migrants morts au large de la Tunisie en tentant de rejoindre l'Europe. Agé de 52 ans, Chamseddine Marzoug dit avoir enterré des centaines de migrants en douze ans.
Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Chamseddine Marzoug (FATHI NASRI / AFP)

Avec une pelle pour seul outil, Chamseddine Marzoug s'est fixé une mission: enterrer «dignement» les migrants morts au large de la Tunisie en tentant de rejoindre l'Europe. Il vient de creuser deux nouvelles tombes à Errouis, près de Zarzis (sud), non loin de la Libye, d'où partent de nombreux bateaux chargés de personnes en quête d'un avenir meilleur.
«Ce n'est pas parce qu'elles ont participé à une traversée illégale, poussées par la misère et l'injustice, qu'elles ne méritent pas d'être enterrées avec respect et dignité», explique à l'AFP Chamseddine Marzoug.
 
Cet ancien pêcheur, aujourd'hui au chômage, qui a aussi travaillé comme chauffeur pour le Croissant-Rouge, dit avoir enterré des centaines de migrants en 12 ans. A Zarzis, les pêcheurs sont en première ligne pour secourir les migrants en détresse ou pour repêcher les dépouilles de ceux dont le rêve d'Europe s'est transformé en tragédie.

Manifestation de pêcheurs tunisiens contre le bateau d'extrême droite C-Star (FATHI NASRI / AFP)


Selon des chiffres officiels, 126 personnes de diverses nationalités ont été secourues au large de Zarzis depuis début 2017, et 44 dépouilles récupérées. Soit une petite fraction des plus de 2.000 personnes qui, d'après l'Organisation internationale pour les migrations, ont péri cette année en tentant la traversée de la Méditerranée depuis la Libye vers l'Italie.

Ce sont généralement les marins qui repèrent les embarcations en difficulté et les signalent aux autorités. Mais souvent, ils leur portent eux-mêmes secours. «Tu sors pour gagner ta vie, tu reviens avec des migrants au lieu des poissons», dit à l'AFP Chamseddine Bourassine, le président de l'association des marins-pêcheurs de Zarzis. Mais «on ne peut pas voir les gens mourir sans intervenir». 

44 dépouilles ont été récupérées depuis début 2017 (FATHI NASRI / AFP)


«Problème de cimetière»
La Garde maritime secourt régulièrement des embarcations en détresse. Mais enterrer les morts n'est pas de son ressort, et les autorités locales disent ne pas en avoir les moyens.
 
«Les unités de la Garde nationale maritime ne sont pas des unités de sauvetage et ne sont pas équipées pour repêcher les cadavres. Avec nos moyens très limités, nos agents font le maximum pour sauver les gens, mais l'enterrement des morts n'entre pas dans nos fonctions», affirme Sami Saleh, chef des opérations maritimes à Zarzis.


 

 
Et dans cette région frontalière d'une Libye en plein chaos, c'est la sécurité qui prime, selon M. Saleh: «Nous devons vérifier si à bord des embarcations de migrants, il n'y a pas de personne suspecte, d'armes ou d'explosifs».
 
D'après le président du bureau régional du Croissant-Rouge, il y a en outre «un problème de cimetière» à Zarzis. Non seulement ce dernier est «plein» mais en plus, «les gens, quelle que soit leur religion, musulmane ou juive, n'acceptent pas d'enterrer des inconnus» dans leurs carrés familiaux, affirme Mongi Slim.

«Cette affaire ne concerne pas que la Tunisie, elle touche toute l'humanité» (FATHI NASRI / AFP)


Décharge
C'est donc loin des maisons et près d'une décharge que Chamseddine Marzoug a obtenu l'accord de la municipalité pour installer un petit cimetière improvisé, un terrain de sable et de pierres parsemé de tombes sans nom ni date.
 
Chamseddine Marzoug, dont le fils a lui-même illégalement émigré en Italie, se souvient de chaque dépouille qu'il a enterrée. Ici, montre-t-il, gisent deux enfants d'environ quatre et cinq ans. Là repose une femme retrouvée sans tête et là-bas un homme sans bras. «Les images des corps, surtout en décomposition, sont gravées dans ma tête. Ce n'est pas facile. Il faut les considérer comme nos enfants, nos frères ou nos sœurs. Cette affaire ne concerne pas que la Tunisie, elle touche toute l'humanité», affirme-t-il.
 
«Un cimetière convenable»
«Je m'adresse au monde pour lui demander de nous fournir un cimetière convenable, qui nous permette d'enterrer les migrants correctement avec une petite chambre pour laver les corps, et un moyen pour les transporter», réclame l’ancien pêcheur.
 
Le Croissant-Rouge, qui est à la recherche d’un terrain à acquérir, lance un appel aux dons pour y enterrer dignement les migrants noyés en Méditerranée.

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