Politique française de développement : trois enjeux qui rendent le débat sur le projet de loi décisif
Pour la société civile, la France doit saisir l'opportunité qui lui est offerte d'atteindre le fameux objectif de 0,7% en matière d'aide et de se doter d'un arsenal juridique permettant de restituer les biens mal acquis aux populations spoliées.
Les députés français continuent d'examiner le 19 février 2021 le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Les ONG, à l'instar d'Oxfam et de Transparency International, espèrent voir les parlementaires révolutionner le dispositif français en matière d'aide au développement, au regard de son niveau, de ses cibles et de la question de la restitution des biens mal acquis confisqués en France.
Atteindre (enfin) l'objectif de 0,7%
Le projet de loi prévoit, conformément aux promesses du président français Emmanuel Macron, de porter le niveau de l'aide au développement à 0,55% du Revenu national brut en 2022. Une première étape "en vue d’atteindre ultérieurement l’engagement pris dans le cadre du G7 d’une aide publique au développement (APD) représentant 0,7% du Revenu national brut". A ce titre, la société civile réclame plus d'ambition.
"Nous demandons que le projet ne s'arrête pas en 2022 mais qu'il aille au moins jusqu'en 2025 en s'assurant que l'objectif de 0,7% soit atteint d'ici-là", confie à franceinfo Afrique Louis-Nicolas Jandeaux, chargé de plaidoyer chez Oxfam France. L'occasion pour Paris de tenir une promesse vieille de cinquante ans et de suivre les traces de son voisin britannique.
Préciser les bénéficiaires, les usages et la forme de l'aide
Autre point qui préoccupe Oxfam France, le "ciblage" de l'APD. En d'autres termes, le projet de loi devrait, selon l'ONG, préciser quelle part de cette aide sera consacrée aux pays les plus pauvres, servira à lutter contre les inégalités hommes-femmes ou encore la proportion de dons qu'elle renfermera. Aujourd'hui, ceux-ci ne représentent que "54%" de l'enveloppe française contre "100% pour le Royaume-Uni, par exemple", indique à franceinfo Afrique Louis-Nicolas Jandeaux. "Avec le Japon et la Corée, la France est l'un des pays au monde qui a le plus recours au prêt. Ce qui n'est pas logique", note-t-il.
Résultat : "Vu que la France favorise les prêts, notre APD est plus à destination des pays à revenu intermédiaire qui présentent moins de risques. Il faut s'assurer que l'aide française aille en majorité vers les pays les plus pauvres de la planète. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Ainsi, Paris qui dispose d'une liste prioritaire de "19 pays africains, à l'exception d'Haïti", devrait "l'élargir à tous les pays les moins avancés".
Rendre les biens mal acquis aux populations spoliées
Les débats suscitent beaucoup d'espoir également parce qu'ils pourraient permettre à la France, à l'instar de la Suisse, de pouvoir restituer les biens mal acquis aux populations lésées. Pour Transparency International, "quatorze ans après le premier dépôt de plainte dans le procès des Biens mal acquis, en 2007, les députés ont l’occasion avec ce texte de porter un coup sévère à la grande corruption internationale, en incorporant dans le droit français un mécanisme de restitution des avoirs illicites".
Ainsi, indique le communiqué de l'ONG, "les biens acquis avec l’argent de la corruption, une fois confisqués par la justice française, ne viendront plus abonder les recettes du budget général, comme c’est le cas actuellement, mais devront être reversés aux populations spoliées dans les pays d’origine". "Nous voulons que la loi soit la plus précise (en prévoyant notamment un mode de suivi spécifique des fonds concernés et en impliquant la société civile locale dans leur gestion, NDLR) et la plus contraignante possible. En l'état, le gouvernement propose d'énoncer le principe de restitution. Nous, nous souhaitons que cela puisse être opposable en droit", insiste-t-on encore à Transparency International.
Pour l'ONG, il est "urgent" de fixer un cadre législatif avant le pourvoi en cassation dans l'affaire des biens mal acquis prévu courant 2021. Teodoro Obiang Jr, le fils du chef de l'Etat et vice-président de Guinée équatoriale, a été condamné le 27 octobre 2017 par le Tribunal correctionnel de Paris à trois ans de prison avec sursis, à une amende de 30 millions d’euros avec sursis et à la confiscation intégrale de ses biens saisis sur le territoire français. La peine de prison et la confiscation d'un patrimoine estimé à plus de 150 millions d'euros ont été confirmés le 10 février 2020 en appel et l'amende de 30 millions a été rendue ferme.
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