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Nigeria : au Biafra quarante ans après la guerre, le sang coule toujours

Au moins 5 morts sont à dénombrer lors d'une intervention de la police contre un mouvement indépendantiste à Enugu, capitale de la région du Sud-Est. 

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Le drapeau de la république du Biafra reste le symbole de l'indépendance du peuple Igbo, cinquante ans après la guerre civile. (STEFAN HEUNIS / AFP)

Le 23 août, les policiers sont intervenus pour faire cesser un rassemblement du principal mouvement indépendantiste, le Mouvement indépendantiste pour les peuples autochtones du Biafra (IPOB), dans une cité scolaire à Enugu, la ville principale de la région du Sud-est, au cœur du Biafra.

Le bilan de l'opération varie selon les sources. Alors que les autorités nigérianes annoncent la mort de deux policiers, selon d'autres sources trois militants auraient également trouvé la mort.

Pour un Biafra indépendant

Mais le compte serait bien plus élevé selon l'IPOB, qui dans un communiqué annonce la mort de 21 personnes et l'arrestation de 47 de ses membres.

Officiellement, le Biafra n'existe plus, disparu depuis 1970. Depuis ce terrible conflit qui allait ravager cette région du sud-est du Nigeria. La guerre a fait au moins un million de morts et a bouleversé la planète entière par ces images d'enfants squelettiques  mourant de faim.

Au Nigeria, 50 ans plus tard, aucune cérémonie n'a commémoré l'anniversaire de cet épisode tragique de l'histoire du pays. Un silence peu étonnant car les motifs du conflit, à savoir la déclaration d'indépendance de cette région, sont toujours vivaces. Et rappeler cette guerre serait comme souffler sur les braises.

Répression

Aussi, depuis des années, le pouvoir d'Abuja tente de museler les mouvements indépendantistes de la région.

L'IPOB dénonce régulièrement les arrestations de ses membres et parle d'acharnement à l'encontre du peuple Igbo. Fondé en 2013, le mouvement a été classé par le pouvoir nigérian "organisation terroriste" en 2017. 

"Nous sommes pacifiques. Nous ne menons aucune guerre", a déclaré un responsable de l'organisation au Guardian Nigeria.

Un étrange leader

La communication de l'IPOB joue beaucoup de la victimisation. Confondant à dessein son mouvement et le peuple Igbo tout entier, dont il serait l'exclusif représentant. Son leader, Nnamdi Kanu, est un personnage très singulier, comme il ressort de ce portrait publié par Le Point. Un homme aux multiples facettes, gourou mythomane qui n'hésite pas à prêcher la guerre pour libérer un pays où il a peu vécu. Kanu évoque d'hypothétiques ramifications avec le peuple juif, peut-être pour s'identifier à leur tragique histoire.

En fait, au-delà d’IPOB, tous les mouvements politiques du sud-est, y compris les plus modérés, revendiquent une meilleure reconnaissance pour le peuple Igbo, troisième groupe ethnique du Nigeria, qui peuple la région du Biafra. Un mélange de griefs économiques et politiques, anciens et récents.

Il y a bien sûr le souvenir amer de la guerre d'indépendance perdue. Mais, au-delà, les habitants du sud-est se sentent marginalisés au regard du reste du pays fédéral, comme devant expier à jamais cette volonté d'indépendance qui a conduit à la guerre en 1967.

Partage du pouvoir

Pour certains, cette reconnaissance passerait par l'élection d'un président nigérian issu de la région, ce qui n'a jamais été le cas depuis l'indépendance. Car au Nigeria, afin d'apaiser les conflits entre le nord musulman et le sud chrétien, les politiciens appliquent une loi non écrite d'alternance.

Chacun des deux grands partis du pays présentant alternativement un candidat du Nord, puis un du Sud. Un système dont n'a jamais bénéficié le Biafra, toujours privé de présenter un candidat.

Même les plus modérés le réclament. Ainsi, un ancien président du Parti démocratique populaire (PDP), le Dr Okwesilieze Nwodo, a déclaré que "la nation Igbo exigerait la sécession du Nigéria si la zone géopolitique du Sud-est n'était pas autorisée à produire le président en 2023", rapporte Observers Times.

Cela suffira-t-il à calmer la région ? Rien n'est moins sûr. Au delà du politique il reste l'économique et le social. Or le partage des richesses du pays, au nord comme au sud, reste le chantier toujours inaccompli du Nigeria.

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