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Mauritanie: le procès controversé d'un blogueur mauritanien accusé d'apostasie

Le blogueur mauritanien Mohamed Cheikh Ould Mohamed a fait irruption dans l’actualité en 2014 après sa condamnation à mort pour apostasie. Le verdict avait été cassé par la Cour suprême qui a renvoyé le dossier devant une cour d'appel autrement composée. Pour le leader anti-esclavagiste Biram Dah Abeid, ce jeune musulman de 30 ans dont le procès reprend ce mercredi 8 novembre est un martyr.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Condamné à mort pour apostasie par un tribunal de Nouadhibou, sa peine a été commuée en novembre 2017. Mohamed Ould Mkhaïtir devait être libéré aussitôt. Il est toujours détenu au secret. (photo de son comité de soutien sur Facebook).  (DR)

Il avait publié un billet de blog jugé blasphématoire envers le prophète. Dans son article, le jeune Mohamed Cheikh Ould Mohamed (dit Ould Mkheitir) affirmait que certaines personnes en Mauritanie se servaient de la religion pour justifier des discriminations raciales ou de castes, citant des exemples inspirés de la vie du prophète pour condamner cette pratique.
 
«Avant d’être une affaire d’apostasie, l’affaire Mohamed Cheikh Ould Mohamed est émaillée de discrimination raciale profonde, de pratiques discriminatoires et de domination qui gangrènent l’appareil de l’Etat, l’appareil judiciaire, mais aussi la société mauritanienne. Parce qu’il n’aurait pas été jeté en prison et traîné sur le banc des accusés s’il était membre des castes supérieures d’arabo-berbères. C’est parce qu’il est forgeron, parce qu’il est d’une caste frappée d’infamie dans la société» qu’il subit ce sort, dénonce le leader anti-esclavagiste mauritanien Biram Dah Abeid qui suit l’évolution de ce dossier.
 
«Une nébuleuse d’associations islamistes» à l’œuvre
Alors que la cour suprême mauritanienne planchait sur son cas le 31 janvier 2017 à Nouakchott, des milliers de Mauritaniens se sont rassemblés sur une grande place de la capitale pour réclamer la confirmation de la sentence et l’exécution du prévenu. Une manifestation ponctuée par des discours hostiles prononcés par des religieux et des militants répondant à l’appel d’un «forum des oulémas et imams pour la défense du prophète» de l’islam. Rien de bien spontané, selon Biram Dah Abeid.
 
«Non, ces mouvements ne sont pas du tout spontanés. C’est une nébuleuse de mouvements et d’associations islamistes qui ignorent la loi et qui réclament une justice de la rue. Tout est organisé au grand jour. Ces rassemblements sont financés par des personnalités religieuses acquises totalement au pouvoir et à la personne du chef de l’Etat Mohamed Abdel Aziz. Dès le début, il a utilisé cette affaire pour en tirer des gains politiques.»

Le leader du mouvement anti-esclavagiste mauritanien Biram Dah Abeid a été incarcéré le 13 aout 2018 à la prison centrale de Nouakchott. (Photo AFP/Seyllou Diallo)

Le blogueur mauritanien avait exprimé son repentir, en vain
Les avocats du condamné à mort avaient demandé à la Cour suprême que sa repentance soit prise en compte. Selon les termes du code pénal mauritanien, la Cour suprême est habilitée à annuler ou à commuer une condamnation pour apostasie si la personne condamnée se repent. Il n’en a rien été. Pour le leader esclavagiste Biram Dah Obeid, le jeune blogueur a peu de chance d' échapper à la peine capitale.
 
«Le tribunal de première instance de Nouadhibou l’avait condamné à la peine de mort sans possibilité de repentir. La Cour d’appel de Nouadhibou a requalifié les faits en mécréance ouvrant la porte du repentir et donc d’une possible relaxe. Maintenant, la Cour suprême a fermé cette porte. Il n’y a plus possibilité de repentir. Le blogueur n’aura qu’une alternative, l’accusation d’apostasie. Donc maintenant l’affaire s’est compliquée. Devant lui, il y a que la peine de mort.»
 
Le jeune blogueur mauritanien avait exprimé son repentir, affirmant qu’il n’avait pas l’intention de critiquer le prophète Mahomet. Mais il continue de dénoncer la société des castes qui prévaut toujours en Mauritanie. Un combat dans lequel le leader anti-esclavagiste Biram Abeid lui apporte son total soutien.
 
«Je suis totalement en phase avec le blogueur en ce sens qu’il a exprimé qu’il ne vise ni le prophète, ni la religion, Il vise surtout les castes d’oppresseurs en Mauritanie qui instrumentalisent la religion pour perpétrer les pratiques iniques de l’esclavage et du système de castes.»
 
«Déconstruire le socle de légitimation de l’esclavage»
Biram Dah Abeid a lui-même été accusé d’apostasie et jeté en prison en 2012 pour avoir brûlé symboliquement et incinéré ce que ses détracteurs ont appelé un livre islamique. Ce qu'il dément formellement.
 
«Ce n’est pas un livre islamique. C’est un code noir, un code d’esclavage qui est instrumentalisé par les esclavagistes mauritaniens et qui veulent le couvrir d’un voile islamique pour pouvoir légitimer, sacraliser leurs pratiques anti-islamiques. C’est un code d’esclavage comme le code noir qui a été aboli en Europe en 1848.
 
Il voulait, précise-t-il, déconstruire le socle de légitimation de l’esclavage en Mauritanie.  
 
«Ces livres sont considérés par les érudits religieux mauritaniens comme la seule interprétation valable de la parole de Dieu, donc du Coran, du livre sacré. C’est pourquoi, à travers cette légitimation, à travers ces enseignements, tous les opprimés en Mauritanie sont soumis de manière quasi-systématique à ces pratiques iniques. Ils doivent se soumettre, sinon Dieu va les sanctionner, sinon ils vont aller en enfer. C’est contre cette grande arnaque, cette supercherie historique que moi je me suis érigé. Et j’ai porté un coup à ce socle pour déconstruire, libérer les opprimés, libérer les esclaves de ces chaînes religieuses, invisibles, ces chaînes idéologiques.»
 
«Le crime d’apostasie, une arme politique»
Que pense Biram Dah  Abeid du crime d’apostasie? Le leader du mouvement anti-esclavagiste mauritanien se réfère à des érudits notoires et notamment mauritaniens qui ont expliqué de manière très claire que le prophète n’a jamais utilisé ce précepte pour condamner les gens à mort. Il cite certains érudits qui considèrent l’apostasie comme «une arme politique qui a été inventée par des gouvernements musulmans  et certains sultans après la mort du prophète pour liquider leurs opposants».

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