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Les études génétiques qui n'incluent pas les Africains reflètent "l’égoïsme de nos sociétés", selon un chercheur

Les études génétiques s’intéressent surtout aux Européens et aux Nord-Américains blancs d’ascendance européenne. Elles négligent ainsi les Africains noirs (et les Asiatiques). Comment expliquer cette situation ? Les réponses du généticien Lluis Quintana-Murci.

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Molécule d'ADN (AFP - KTSDESIGN/SCIENCE PHOTO LIBRARY / KTS)

Les populations blanches d’origine européenne (notamment aux Etats-Unis) ne représentent que 16% des habitants de la planète. Mais elles constituent plus de 78% des catégories participant à des études génétiques. Tandis que les Africains noirs (environ 17% de la population mondiale) ne sont impliqués que dans 2% de ces études, comme le rapportait franceinfo Afrique le 19 novembre 2019. Pourquoi cette polarisation de la recherche ? Les réponses de Lluis Quintana-Murci, généticien à l'institut Pasteur et au Collège de France.

Séquençage d'ADN (AFP - KTSDESIGN/SCIENCE PHOTO LIBRARY / KTS)

Comment peut-on expliquer cette différence de traitement ?

Cela montre aujourd’hui ce qu’est la société ! Ces études sont payées par et pour des Européens, qui en réalisent 90%. Il faut voir que d’une manière générale dans les pays occidentaux, beaucoup de recherches sont faites pour des populations d’origine européenne. Ainsi, on travaille moins sur les maladies infectieuses que sur Alzheimer et les maladies neurodégénératives. Vis-à-vis de l’opinion ici, c’est plus simple de parler, de soigner le cancer de la prostate d’un vieux monsieur parisien, que d’évoquer un Ghanéen atteint de malaria. C’est l’égoïsme de nos sociétés ! Même s’il est évidemment indispensable de soigner l’un et l’autre.

On retrouve cette surfocalisation dans les études génétiques. D’où vient l’argent ? Des sociétés européennes principalement. Cela explique l’égoïsme dont je parlais à l’instant. Ce constat scientifique n’est que le reflet d’une situation politique et sociétale plus large.

Le fait de ne pas inclure, dans les études génétiques, les éléments africains ne risque-t-il pas d’en fausser les résultats ?

Non, ces résultats ne sont pas nécessairement faussés, car ils s’appliquent d’abord aux populations européennes. Ils prennent juste en compte une partie de la réalité. Cela n’a donc pas d’effets sur la recherche sur les Européens en Europe. Mais cette attitude a un effet majeur sur les études génétiques et la science en général.

C’est du je-m'en-foutisme, un manque de considération par rapport à la diversité de notre espèce, qui ne se résume pas à l'homme blanc d'origine européenne. A ce niveau, c’est aussi la recherche sociétale qu’il faudrait élargir !

Donc, le fait d’inclure davantage les Africains enrichirait les recherches génétiques…

Absolument ! Cela augmenterait les connaissances, les bases génétiques des maladies  ! Personnellement, cela fait 15 ans que je travaille sur la génétique des populations en Afrique centrale (au Cameroun et au Gabon), ainsi que sur les îles Vanuatu et Salomon dans le Pacifique. J’ai aussi un projet en Polynésie française. Et je constate une prise de conscience de plus en plus grande vis-à-vis de ce que les chercheurs appellent les "neglected populations" (les populations négligées).

Pourquoi trouve-t-on ces informations sur cet aspect de la recherche génétique exclusivement dans la presse anglo-saxonne, et pas dans les médias francophones ?

Parce qu'en France, dès qu’on parle de diversité, on est effrayé. Alors qu’il faudrait faire de cette diversité une allégorie de nos différences !

Molécule d'ADN (AFP - KTSDESIGN/SCIENCE PHOTO LIBRARY / KTS)

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