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L’Erythrée, un pays "hors du temps" que les jeunes fuient en masse

Le pays est engagé aux côtés de l’Ethiopie dans une guerre contre les rebelles du Tigré.

Article rédigé par Michel Lachkar
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Erythréen à bicyclette, devant les traces de plusieurs décennies de guerre d'indépendance. Région d'Asmara, le 22 août 2019. (ERIC LAFFORGUE / HANS LUCAS)

Que sait-on de l’Erythrée ? Presque rien. L’ancienne colonie italienne est un pays fermé depuis plusieurs décennies. Erythrée, un mot grec qui signifie rouge, comme la mer Rouge qui longe ses côtes et le régime marxiste qui a pris le pouvoir en 1961 et qui se maintient depuis l'indépendance du pays en 1993.

Entre Cuba et la Corée du Nord 


Après des décennies de guerre, l’Erythrée compte à peine 4 à 5 millions d’habitants : 20% de la population aurait quitté le pays. Les Erythréens vivent sous un régime autoritaire, avec une éducation politique et sociale - de qualité certes - mais à la "cubaine castriste""Le pays est marqué au fer rouge : la peur de parler, d’être surveillé, d’être écouté. Un régime devenu impopulaire mais qui s’accroche au pouvoir par tous les moyens", explique à franceinfo Afrique un chercheur, grand connaisseur de la région qui a requis l'annoymat.

Beaucoup de jeunes partent, en raison d’une certaine désespérance, de la suspicion généralisée, du manque de liberté, de l’impossibilité de se déplacer librement et d’un service militaire interminable. Il est officiellement limité à dix-huit mois mais Asmara à Asmara estime qu’il doit pouvoir compter sur sa population en cas de conflit. Ainsi le service militaire peut durer "plusieurs décennies" , selon Amnesty. 

Le rêve suédois, le cauchemar égyptien

Pendant leur service militaire, les familles sont séparées. Les appelés sont des garçons et des filles, dont certains ont à peine 16 ans. Ils sont soumis à un service national qui s’apparente souvent à du "travail forcé", indiquait il y a quelques années Michelle Kagari, directrice régionale adjointe d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Est. Beaucoup de conscrits sont affectés à des missions civiles, comme l’agriculture et la construction, avec un salaire de 40 à 50 euros par mois.

La Suède a largement accueilli les Erythréens ces dernières années. Ce qui a provoqué "une aspiration" pour ceux qui veulent éviter de longues années de service militaire insoutenables et qui peuvent sembler éternelles. Les jeunes Erythréens partent par le Soudan et la Libye ou par le Sinaï égyptien où ils sont séquestrés, torturés et rançonnés par les mafias. On les retrouve à Djibouti, au Yémen, en Italie, en Pologne, en France et ailleurs, rêvant d'un monde forcément meilleur. Car en plus du service militaire qui leur est imposé, ils n'ont aucune perspective. 

Un pays à l’arrêt

L’économie érythréenne se réduit presque à une agriculture de subsistance. "Les Italiens ont planté de la vigne, des bananeraies, importé des vaches pour le lait et le fromage, et il en reste quelque chose. En revanche la pêche, hier florissante, n’existe quasiment plus. Les deux ports du pays sont à l’arrêt. On compte quelques rares usines de savon, de sandales... Quelques carrières de pierre pour entretenir les routes et de l’extraction de sable pour les maisons."

Quant au tourisme, il est extrêmement limité : essentiellement des Erythréens de l’étranger ou quelques nostalgiques Italiens et autres passionnés de train à vapeur le font vivre. Les Italiens ont construit, routes, lignes de chemin de fer, ponts aqueducs et les Erythréens, soucieux de cet héritage, en prennent grand soin. "C’est un pays hors du temps, on a l’impression de vivre au XIXe siècle. Il est très calme, avec peu de voitures mais des autobus pour aller au travail, pas de panneaux publicitaires...", décrit notre interlocuteur."L'Erythrée reste un pays attachant au charme unique et désuet. Il y a une vie sociale et culturelle, avec des cafés, des fêtes, des marchés, ce n’est pas la Corée du Nord même si les violations des droits de l’homme sont massives comme le confirme les témoignages des exilés et les rapports des Nations unies", nuance-t-il.

Violations graves des droits de l'homme

Et les faits sont graves. Mike Smith, le chef de la commission onusienne sur les droits de l’homme en Erythrée, dénonçait déjà en 2016 "les violations massives des droits de l’homme (qui) se poursuivent. Elles sont commises souvent à l’abri des regards et continuent d’instiller la peur en Erythrée, mais aussi au sein de la diaspora".

L’enquêteur australien évoquait "des migrants expulsés du Soudan vers l'Erythrée et placés en détention dans des lieux où la torture fait figure de règle établie". La raison de ces "attaques répétées, généralisées et systématiques contre les populations civiles" ? "Permettre au président Isaias Afewerki et à son cercle rapproché de se maintenir au pouvoir", répondait l'émissaire onusien.

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