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L’énigme malgache: «Le niveau de vie de la population baisse depuis 1960»

A Madagascar, «le revenu par habitant est actuellement inférieur d’un tiers à ce qu'il était au moment de l'indépendance... Rien ne prédestinait la Grande île à un tel destin», affirment Mireille Razafindrakoto, François Roubaud et Jean-Michel Wachsberger. Ces trois chercheurs de L'IRD tentent de comprendre «l’énigme et le paradoxe malgaches» dans leur ouvrage «Economie politique de Madagascar».
Article rédigé par Michel Lachkar
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Un jeune garçon porte des drapeaux du candidat à la présidentielle, Hery Rajaonarimampianina, lors de son dernier meeting de campagne à Antananarivo, le 23 octobre 2013. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

 
Avec un PIB de moins de 400 dollars par habitant en 2016, Madagascar est l'un des rares pays à s’être appauvri depuis son indépendance (1960), alors qu’il n’a connu aucune guerre ni aucun conflit majeur.

«Peu de pays, y compris en Afrique subsaharienne, peuvent se targuer d’une aussi piètre performance en terme de croissance», expliquent les chercheurs. «Le pouvoir d’achat des Malgaches a perdu un tiers de sa valeur entre 1950 et 2015, alors que celui de l’Afrique subsaharienne triplait.»    

La contre-performance économique malgache apparaît d’autant plus aberrante que le pays est riche en ressources naturelles, en capital humain et raisonnablement doté en terres arables.

Atouts historiques et géographiques
Du point de vue historique, Madagascar avait, à l’indépendance, tous les atouts apparents pour réussir son décollage économique, affirment les trois chercheurs: unité linguistique et homogénéité culturelle, forte identité nationale, bon niveau d’éducation (dans les villes).

Le pays bénéficie d’un climat varié, d’une riche biodiversité. Il jouit surtout de frontières naturelles qui le mettent à l’abri des conflits extérieurs. «Tous ces éléments constituent autant d’avantages structurels que de nombreux pays pauvres (notamment de la zone soudano-sahélienne) ne peuvent que lui envier.»

Avant la période coloniale, l’Etat Mérina présentait de nombreux traits communs avec ceux des pays asiatiques (centralisation étatique, bureaucratie, travaux d’irrigation, fiscalité, etc.) au point que son organisation économique a pu être qualifiée de «mode de production asiatique». A l’aune de la réussite asiatique, cette singularité aurait dû être un atout.

Madagascar, considérée comme l'un des fleurons de l’empire colonial français, comptait dans les années 30 environ 30.000 colons (essentiellement français). Soit autant que l’Afrique occidentale française (AOF) et l’Afrique équatoriale française (AEF) réunies. 

Selon les trois chercheurs de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) qui travaillent sur Madagascar depuis 25 ans, «la désastreuse performance économique de Madagascar ne peut s’expliquer par les seuls choix de politiques économiques». Le pays a exploré successivement la plupart des options économiques disponibles: «socialisme à la malgache» des premiers gouvernements Ratsiraka, une économie administrée ou capitalisme d’Etat. Puis une politique libérale avec le triptyque  économie de marché, ajustement structurel, lutte contre la pauvreté… conforme aux vœux du FMI et de la Banque Mondiale.

Mais selon les auteurs, «la vision des bailleurs de fonds et les choix qu’ils imposent peuvent s’avérer plus destructifs que positifs. (...) Marché et démocratie ne se décrètent pas.»

L’échec économique ne peut s’expliquer par la piètre qualité des institutions du pays et de sa gouvernance. Plutôt meilleure que dans le reste de l’Afrique, malgré son lot de corruptions petites et grandes.

Rôle prédateur des élites
Les auteurs tentent dans ce livre, basé sur de puissantes analyses statistiques alimentées par de nombreuses enquêtes de terrain, d’articuler l’histoire économique et l’histoire politique et sociale du pays. Il s’agit de comprendre, par exemple, comment se jouent les rivalités entre élites côtières et élites Mérina des hauts plateaux. Des élites le plus souvent prédatrices, qui captent les rentes liées au pouvoir (minières, bois de rose...). «Un petit nombre de familles dominent historiquement la sphère politique et économique de la Grande île», précisent-ils.

On assiste aussi à la reproduction sociale de la pauvreté par des interdits de mariage (castes) et par la difficulté, pour les plus pauvres, d’accéder au foncier. «L’inégalité constitutive de la société malgache permet aux dirigeants politiques d’agir sans accorder beaucoup d’importance à leurs administrés.»  Aujourd’hui encore, 78% de la population malgache habitent dans les zones rurales, oubliées du pouvoir central.

Les blocages de la société malgache sont d’abord d’ordre interne. Ils tiennent en bonne partie au maintien dans le temps d’un ordre social profondément inégalitaire dans lequel les statuts et lieux de naissance conditionnent fortement le devenir des individus. «Les ruraux, oubliés voire méprisés par les élites dirigeantes, apparaissent atomisés et peu en mesure de se mobiliser.»
 
Paradoxe malgache
«Si la trajectoire économique de Madagascar est une énigme, c’est aussi un paradoxe... A de nombreuses reprises, le pays a semblé enclencher un cycle de croissance et une ébauche de décollage, ceux-ci se sont finalement terminés par une crise politique majeure qui a remis en cause la dynamique positive amorcée.» Ce fut le cas au début des années 1970, 1990 et 2000.

Sous la présidence de Marc Ravalomanana, le pays a connu un taux de croissance proche de 5% par an. Mais en dépit des succès économiques, ses erreurs politiques (comme la location gratuite de millions d’hectares de terres à un groupe coréen) et son autoritarisme ont contribué à sa chute. Les origines paysannes de cet entrepreneur enrichi n’étaient pas nécessairement bien vues par les élites Mérina et par l’armée.

«Ce qui caractérise l’histoire récente de Madagascar, c’est la concomitance entre périodes d’expansion économique et crises politiques. La non-considération des aspirations des citoyens étant à l’évidence l’un des facteurs de ces crises à répétition.»

Les élections de 2013, qui ont porté Hery Rajaonarimampianina au pouvoir, n’ont, selon les auteurs, rien changé à «la donne structurelle de l’équation malgache. Le déclenchement d’une nouvelle crise peut intervenir à tout moment.»

«La société malgache semble traversée de contradictions, parmi lesquelles figure l’opposition entre l’attachement au respect de l’autorité – avec une sacralité du pouvoir  et l’adhésion aux principes démocratiques.» Une contradiction permanente qui explique en partie les crises politiques répétées de la Grande île, selon les chercheurs. 

Pour autant, l’histoire malgache depuis son indépendance compte peu d’épisodes de réelles violences politiques. Ce qui permettrait au pouvoir de ne pas répondre aux aspirations profondes de la population.

«L’Enigme et le paradoxe. Economie politique de Madagascar» (IRD Editions, 280 p., 32 euros). Un livre basé sur une riche documentation universitaire servie par une écriture d'une grande clarté. 
Mireille Razafindrakoto, François Roubaud et Jean-Michel Wachsberger, sont issus du centre de recherche Développement, institutions et mondialisation (DIAL) et aussi de l’Institut de recherche pour le développement (IRD). 

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