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Algérie: «Le règne de la terreur» s’installe sur les campus universitaires

La presse algérienne tire la sonnette d’alarme. Elle fait état d’un climat de peur qui règne sur les campus universitaires du pays depuis qu’un professeur a été assassiné par deux de ses élèves à coups de marteau. Le corps enseignant met en garde contre «la mort lente de l’université», si rien n’est fait pour la sauver du déclin.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Couverture du journal algérien «Liberté» paru le 23 juin 2017 (capture d'écran). (Capture d'écran du journal Liberté)

«Halte aux crimes à l’université», ou encore «Non à l’agression des enseignants». Ils étaient nombreux à scander ces slogans ce jeudi 22 juin devant le siège du ministère de l’Enseignement supérieur à Alger. Les enseignants universitaires ne décolèrent pas depuis qu’un des leurs a été tué par deux de ses élèves à coups de marteau. Deux frères jumeaux interpellés et mis en détention préventive.

«Aujourd’hui, l’université va très mal», déplore Louisa Aït Hamadouche, enseignante en sciences politiques à l’université Alger 3. Interrogée par le journal algérien Liberté, elle regrette que «les actes de violence commis à l’encontre des enseignants se succèdent dans l’impunité la plus totale».
 
Le ministre algérien de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Tahar Hadjar, a tenté de minimiser le phénomène: «La violence à l’université n’a pas atteint le degré de virulence colportée un peu partout», a-t-il affirmé devant les cadres du centre universitaire de la ville de Tipassa où le crime a été commis.
 
Puis il a demandé aux recteurs des universités de faire appliquer la loi à l’encontre de tous ceux qui usent de la violence sur les campus universitaires. Ses propos n’ont pas contribué à apaiser les esprits. Loin de là.

 
«Notre université forme des monstres»
Pour l’Union démocratique et sociale, un parti algérien en attente d’agrément, l’université algérienne, censée former l’élite du pays, «a produit des monstres».
L’UDS appelle à la mobilisation contre «la mafia» qui règne au sein de cette institution.
 
«Camarade Karoui, tu as été assassiné… par un système pourri dont l’éducation nationale et l’enseignement supérieur sont les victimes. Tu as été assassiné par le silence et la lâcheté de beaucoup de responsables qui président aux destinées de ce pays», s’indigne le parti de Karim Tabbou dont le communiqué a été publié dans la presse algérienne.
 
«Un grand corps malade»
Le journal El Watan a recueilli les témoignages de figures très respectées de la communauté universitaire algérienne qui dressent un bilan peu flatteur d’une institution qualifiée de «grand corps malade».Tous dénoncent la violence qui gangrène les campus du pays dont souvent les enseignants sont les principales victimes.
 
Pour Redouane Boudjema, spécialiste des médias et professeur à l’université d’Alger, l’université algérienne est à l’image du pouvoir politique. Son organisation, son fonctionnement et son administration ne peuvent que mener vers la catastrophe, constate-t-il.
 
«Les recteurs, les doyens et chefs de département sont cooptés sur la base d’allégeance politique… La compétence, le parcours, la production scientifique ne sont pas les conditions requises. On a nommé des doyens alors qu’ils n’ont pas le baccalauréat», s’indigne-t-il dans les colonnes du journal Liberté.
 

«Un espace à émasculer le cerveau national»
Les enseignants et chercheurs algériens se plaignent d’être marginalisés par un système basé sur une promotion clientéliste qui n’hésite plus à octroyer des diplômes de complaisance. «Un espace à émasculer le cerveau national», résument-t-ils. Certains demandent que l’université algérienne soit arrachée aux organisations estudiantines qui y font régner la loi de la terreur.
 
«Elles ne se soucient guerre des questions de fonds. Leurs préoccupations se résument à négocier par le chantage, les quotas pour les postes de graduation, à se partager les privilèges. Elles ont un comportement de voyous à tel point que les doyens et les chefs de départements leur obéissent», regrette une enseignante dont les propos sont rapportés par le journal algérien Liberté.
 
En 2013, un membre éminent de la communauté universitaire tirait la sonnette d’alarme. Le docteur Farid Cherbal préconisait l’organisation en urgence d’états généraux de l’université pour faire une radioscopie de l’enseignement supérieur en Algérie. Il pointait déjà la dégradation dramatique des conditions pédagogiques et de l’exercice du métier d’enseignant. La violence sur les campus est venue compliquer davantage la situation. Les enseignants réclament une «réforme radicale» de l’arsenal juridique inhérent à la sécurité sur les campus universitaires, la comparution devant les commissions de discipline des auteurs des agressions et la dissolution des organisations estudiantines qui font régner la terreur sur les campus.

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