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Afrique du Sud : la persistance des tensions raciales

Deux fermiers blancs sud-africains ont été reconnus coupables le 25 août 2017 d'avoir tenté d'enfermer vivant un Noir dans un cercueil. Une scène que les deux accusés avaient filmée puis diffusée sur les réseaux sociaux. L’affaire illustre la persistance des tensions raciales en Afrique du Sud 23 ans après la fin du régime raciste de l'apartheid.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Les deux fermiers, Willem Oosthuizen (à gauche) et Theo Martins Jackson (à droite), arrivent au tribunal de Middleburg le 16 novembre 2016. (AFP - MUJAHID SAFODIEN)

Les faits remontent à 2016. Willem Oosthuizen et Theo Martins Jackson, âgés d'une vingtaine d'années, avaient alors menacé de jeter de l'essence et un serpent dans le cercueil dans lequel se débattait leur victime noire, Victor Mlotshwa.

L’affaire n'avait éclaté au grand jour que plusieurs mois après, à la suite de la diffusion sur internet d'une première vidéo montrant le calvaire infligé à Victor Mlotshwa.


Ce clip de 20 secondes parle par lui-même. On y voit le jeune Noir de 27 ans, paniqué, allongé dans un cercueil. L'un des fermiers tente de fermer le cercueil en disant «bye bye !» Tandis que la victime gémit et tente de l'en empêcher.

Une seconde vidéo, toute aussi accablante, a été révélée pendant le procès. «S’il vous plaît, ne me tuez pas !», supplie le jeune homme. «Vous tuez nos fermes !», lui rétorque l'un des agresseurs.

Les fermiers ont plaidé non coupable
«Je prononce les deux accusés coupables de tentative de meurtre», a déclaré la juge Segopotje Mphahlele. Elle a aussi reconnu Willem Oosthuizen et Theo Martins Jackson coupables d'enlèvement, agression et intimidation. L'énoncé du jugement a été salué avec des chants dans la salle d'audience bondée du tribunal de Middelburg, dans la province sud-africaine agricole du Mpumalanga (nord-est).

Les deux fermiers avaient plaidé non coupable et comparaissaient libres après avoir versé une caution en juillet. Le 18 août 2017, la juge a prolongé leur liberté conditionnelle jusqu'au prononcé de leur peine, le 23 octobre.

Victor Mlotshwa assure qu'il se rendait simplement à Middelburg en coupant à travers champ pour aller faire des courses pour sa mère lorsqu'il a été agressé. Les deux fermiers affirment avoir seulement voulu effrayer la victime qu'ils avaient, selon eux, surprise en train de voler des câbles de cuivre.
«La justice a prévalu. Il n'y a pas de place pour les racistes en Afrique du Sud», a réagi le principal parti d'opposition, l'Alliance démocratique

Les familles des fermiers ont, elles, confié à la presse locale être choquées par le jugement.

Des jeunes du Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir, ont défilé devant le tribunal de Middelburg avec des cercueils de fortune surmontés d'une croix. «La vie des Noirs compte», pouvait-on aussi lire sur des panneaux brandis par des manifestants venus soutenir Victor Mlotshwa, présent au tribunal.

«Apartheid économique et social»
«Cette affaire odieuse met en évidence les discriminations encore profondément ancrées dans la société sud-africaine», a réagi Amnesty International. «Le fait que cet épisode monstrueux ait été filmé et que la vidéo ait été postée sur les réseaux sociaux, laisse penser que les agresseurs croyaient pouvoir échapper à la justice», a ajouté l'organisation de défense des droits de l'Homme.

Près d'un quart de siècle après la fin officielle du régime d’apartheid en Afrique du Sud, les attaques racistes continuent d'empoisonner les relations entre la majorité noire et la communauté blanche, en particulier dans les zones rurales.

En avril-mai, de violentes échauffourées avaient éclaté dans la bourgade de Coligny (nord-ouest), après la libération sous caution de deux Blancs soupçonnés d'avoir joué un rôle dans la mort d'un adolescent noir. Début 2016, deux commis de ferme noirs avaient été battus à mort par des fermiers blancs, à Parys, dans le centre du pays.

La persistance des inégalités économiques entre Noirs et Blancs rend parfois amère une liberté chèrement acquise dans la toute jeune démocratie de la «nation arc-en-ciel» (selon l’expression de l’archevêque Desmond Tutu, prix Nobel de la paix). «L’apartheid politique a disparu mais l’apartheid économique et sociale subsiste très largement. Dans un restaurant, par exemple, le personnel est souvent noir. Et les patrons blancs», observe un Français de retour d’Afrique du Sud

Selon les statistiques officielles, 30,1% de la majorité noire est au chômage, contre 6,6% des Blancs. Et le salaire mensuel médian des Noirs est de 2800 rands (180 euros), contre 10.000 rands (642 euros) pour les Blancs.

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