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Afrique du Sud: Cyril Ramaphosa en porte-à-faux face aux réalités du pays

Les manifestations se succèdent à Mahikeng, chef-lieu de la province du Nord-Ouest, où la situation est très tendue. A tel point que le nouveau président Cyril Ramaphosa s’y est rendu le 20 avril 2018 après avoir quitté précipitamment le sommet du Commonwealth à Londres. Cela «montre la gravité du problème», selon un proche. «Problème» lié à la corruption et à des services publics défaillants.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Camion incendié lors de manifestations à Mahikeng, chef-lieu de la province du Nord-Ouest en Afrique du Sud, le 20 avril 2018. (STRINGER / AFP)

Les manifestations ont débuté le 17 avril après la mort de deux personnes qui s’étaient vu refuser des soins dans une clinique à cause d’une grève. D’une manière générale, les habitants en colère protestent contre le manque de services publics et accusent de corruption le Premier ministre de la province, Supra Mahumapelo. Lequel appartient à l’African National Congress (ANC), parti du président Ramaphosa.

La situation est si sérieuse qu’en raison des violences dans le Nord-Ouest, les autorités du Botswana voisin ont décidé de fermer leur poste-frontière avec l'Afrique du Sud près de Mahikeng.

Le 20 avril, les écoles, magasins et services publics de Mahikeng sont restés fermés. De la fumée noire s'échappait d'un township, ont constaté des journalistes de l'AFP.

Policiers à Mahikeng, chef-lieu de la province sud-africaine du Nord-Ouest, le 20 avril 2018.  (Stringer - AFP)

«Beaucoup de magasins ont été pillés, des boutiques appartenant à des étrangers ont été saccagées dans notre quartier. Malheureusement il n'y avait pas assez de policiers» pour empêcher ces débordements, témoigne un pasteur de 43 ans, Leveticus Molosankwe, père de deux enfants. «Il n'y a pas assez de logements, les routes sont en mauvais état», ajoute-t-il.

«Nous sommes une communauté dans le besoin. Regardez autour de vous et regardez nos conditions de vie. Cela fait 24 ans que nous avons un gouvernement démocratiquement élu. Mais rien n’a changé pour nous», précise un responsable communautaire de Danville, localité limitrophe de Mahikeng cité par le site du journal Mail & Guardian. Pourtant, selon ce responsable, la majorité des habitants sont des partisans de l’ANC. «Nous ne sommes pas des gens violents. Nous demandons juste une vie meilleure», explique-t-il.

Corruption
«Le système de santé est en lambeaux. Les proches du Premier ministre régional bénéficient des appels d'offres dans la province. C'est de la corruption pure et simple», accuse de son côté Thapelo Galeboe, un responsable local du Parti communiste, allié de l'ANC. De fait, rapporte Mail & Guardian, le gouvernement de Supra Mahumapelo est accusé d’avoir dépensé 180 millions de rands (12,13 millions d’euros) pour un contrat avec Mediosa, entreprise de technologie médicale liée à l’empire Gupta, très proche du précédent président Jacob Zuma. Lequel avait dû démissionner pour des affaires de corruption. Le contrat n’a jamais été honoré, selon le journal.

Résultat : le système de santé se retrouve en plein chaos.

La grève des personnels hospitaliers, qui demandent la rupture de ce contrat et des augmentations de salaires, a entraîné des fermetures de cliniques. Dans le même temps, des manifestations et des violences ont empêché des agents d’entrer dans l’hôpital régional à Mahikeng. Résultat : le 17 avril, ce dernier a même dû refuser les cas d’urgence.

Le président sud-africain, Cyril  Ramaphosa, s'adressant aux médias le 20 avril 2018 à Mahikeng, chef-lieu de la province du Nord-Ouest. (MUJAHID SAFODIEN / AFP )

Ramaphosa choisit d’attendre
Pour le président Ramaphosa, confronté l’un de ses premiers défis de taille, la situation est complexe. Il a en effet fait de la lutte contre la corruption l’une de ses priorités. Mais il doit aussi ménager les susceptibilités au sein de son parti, l’ANC. Tout en tenant compte de ses alliés communistes au niveau local, qui demandent le départ de Supra Mahumapelo. Ce dernier «se comporte comme un empereur dans la province. Tous les pauvres sont ses sujets. Il doit partir !», observe Thapelo Galeboe.

De son côté, le Premier ministre du Nord-Ouest estime que les protestations sont un complot politique ourdi par ses détracteurs au sein de l’ANC et par le parti EFF, du leader extrémiste Julius Malema, qui ont présenté une motion de censure contre lui.

Pour l’instant, Cyril Ramaphosa s’est contenté d’appeler au calme, «pendant que nous nous employons à résoudre cette question», a-t-il déclaré lors d'une allocution télévisée. Il a souligné qu'il avait compris que les manifestants exigeaient la démission du Premier ministre régional ainsi que des mesures contre la corruption. «Il s'agit de sujets sérieux», qui méritent une consultation en profondeur, au sein du parti et du gouvernement, a promis le président sud-africain. «Nous allons agir aussi vite que possible pour apporter une réponse à tous les problèmes qui ont été évoqués», a-t-il ajouté.

L’Afrique du Sud en plein tourment
Les brusques flambées de violence urbaine, désignées sous le nom d'«émeutes pour l'amélioration des services publics», sont quotidiennes ou presque en Afrique du Sud. Mais le déplacement d'un président pour ce genre d'incidents reste exceptionnel.
Ces manifestations soulignent les failles de la «nation arc-en-ciel», 24 ans après l'avènement de la démocratie et l'élection du premier président sud-africain noir Nelson Mandela. Dans de nombreuses villes du pays, l'accès à l'eau et l'électricité restent rares, les logements précaires et les ordures s'entassent.

Pourtant, l'Afrique du Sud est la première puissance industrielle du continent. Mais depuis plusieurs années, elle se débat avec un taux de chômage record à 27,7% et une croissance au ralenti.

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