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Cinéma en Afrique : "Le financement des films relève de la décision politique"

Le "premier Laboratoire de développement et de coproduction en Afrique de l’Ouest" a rouvert ses portes pour sa 4e édition. Entretien avec Alex Moussa Sawadogo, le directeur artistique du Ouaga Film Lab. 

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8 min
Affiche de la 4e édition du Ouaga Film Lab qui se tient du 12 au 21 septembre 2019 à Ouagadougou, au Burkina Faso (Ouaga Film Lab)

Alex Moussa Sawadogo a lancé en 2016 le collectif Generation Films. Tout un programme qu'il a décliné et qu'il décline encore à travers ses activités culturelles et surtout cinématographiques tournées entre autres, vers le continent. Ce germano-burkinabè né en Côte d'Ivoire se partage entre ses deux pays. C'est au Burkina Faso que se tient, chaque année depuis 2016, le Laboratoire de développement et de coproduction Ouaga Film Lab dont il est le directeur artistique. En Allemagne, Alex Moussa Sawadogo dirige le Festival des films d'Afrique de Berlin, Afrikamera. Il est également gestionnaire du Fonds Jeune création francophone lancé en 2017.  

Franceinfo Afrique : pour la première fois à Cannes, une réalisatrice issue du continent africain était en lice pour la Palme d’or. La Franco-Sénégalaise Mati Diop est d'ailleurs repartie avec le Grand Prix pour son film "Atlantique". Elle appartient à une vague de jeunes réalisatrices africaines très prometteuses qui ont débarqué ces dernières années, notamment sur la Croisette. C'est de l'ordre de la petite révolution dans le cinéma africain, du tournant ou c'est autre chose ? 

Alex Moussa Sawadogo : ce n’est ni une révolution, ni un tournant. C’est l'expression de l’aboutissement du travail d'une génération de femmes très dynamiques. Ces dernières se laissent tout simplement guider par leurs vocations de cinéastes. A l’instar de leurs collègues masculins, elles font du cinéma, un point c'est tout. On sait qu'il y a sur le continent une nouvelle génération de réalisateurs et de réalisatrices qui passe par tous les canaux disponibles pour que leurs films voient le jour. 

Vous êtes directeur artistique du Ouaga Film Lab, une initiative qui permet de faire grandir les talents du cinéma africain, vous êtes impliqués dans plusieurs activités liées à la création et au Septième art en Afrique. Que se passe-t-il, de positif ou non, dans cette industrie ces dernières années? 

Les constats sont plutôt très positifs. Cette génération, dont je vous parlais, a notamment compris qu'il ne suffit pas d'une idée ou d'un scénario pour faire un film. Elle est consciente qu'elle a besoin d'une expertise en matière d'écriture et de production pour donner corps à ses projets. 

Le Ouaga Film Lab est une plateforme de développement et de coproduction. A travers cet incubateur, de jeunes cinéastes sont épaulés par des mentors qui les aident à concevoir des projets cinématographiques aboutis qui pourront être soumis à des guichets nationaux et internationaux. Ce laboratoire est l’occasion pour ses participants de rencontrer des producteurs et des distributeurs.

C’est une expérience qui leur permet de comprendre que le cinéma est une industrie qui a besoin de professionnels. De même, une œuvre africaine doit pouvoir être distribuée à l'international. Nos films ne sont pas faits pour être vus seulement sur le continent, ils doivent l'être au-delà et sur tous les supports disponibles aujourd’hui. 

Nous évoquions Mati Diop. Le projet de son film a été révélé par le laboratoire du festival de Locarno (Suisse) en 2012. Il lui aura fallu sept ans pour qu'on en voit le résultat.   

Vous évoquiez les guichets nationaux et internationaux. Mais les Africains financent très peu leur cinéma. Dans l’espace francophone, par exemple, il est surtout soutenu par les Européens...

C’est l’un des malheurs de la production audiovisuelle et cinématographique sur le continent. Le financement des films relève de la décision politique. A partir du moment où nos politiques ne veulent pas reconnaître l'importance de la promotion de la culture, nous serons toujours obligés d’aller nous abreuver aux sources financières de l'Europe.

Néanmoins, certains pays africains font des efforts et nous en voyons les résultats, somme toute probants. A l’instar du Sénégal, avec le Fopica (fonds d'aide) qui a permis à des cinéastes sénégalais de produire des films distingués aux dernières éditions du Fespaco (Burkina Faso). Le Maroc dispose également d'une politique de financement qui a rendu la production plus consistante. Idem en Afrique du Sud et en Tunisie. Ce type de fonds ne peut pas être mis en place par des acteurs privés. Leur existence tient de la décision politique. Si les responsables politiques ne la prennent pas, les jeunes cinéastes qui sont ouverts sur le monde n'attendent pas et se tournent vers l’extérieur. Et les résultats obtenus en attestent. 

Alex Moussa Sawadogo, directeur artistique du Ouaga Film Lab (AS)

Financé à l'extérieur et pas vu sur le continent. La distribution est une tare quasi originelle du cinéma africain. Comment peut-on y remédier ?  

Les solutions existent et elles ont déjà été proposées en marge du Fespaco, des Journées cinématographiques de Carthage (Tunisie), du Festival de Durban (Afrique du Sud) ou même à Cannes. En tant que curateur et directeur artistique, c’est un constat que je fais au quotidien : les films africains sont effectivement plus vus en Europe que sur le continent. Une fois de plus, les responsables politiques doivent créer les conditions pour faciliter la distribution des œuvres cinématographiques sur le continent. Les acteurs privés peuvent s'impliquer, à condition qu'ils trouvent un cadre favorable.

Juste après les indépendances, il y avait des accords entre Etats qui ont bien fonctionné et qui ont permis aux Africains de voir leurs films. Des films disponibles au Burkina devraient pouvoir être projetés dans les pays voisins comme le Bénin, le Togo, le Mali, la Côte d’Ivoire ou encore le Sénégal. Dans tous ces pays, des structures dédiées au cinéma sont amenées à collaborer avec des distributeurs privés, qui ne peuvent rien faire si les conditions idoines ne sont pas réunies, pour faciliter la sortie de ces œuvres sur ces territoires. 

Sur le continent africain, nous avons des organisations politiques qui fonctionnent comme l’Union africaine, la Cédéao (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest)... Pourquoi ne pas utiliser ces formats de regroupement pour développer des réseaux de distribution, faciliter des coproductions entre différents pays ? Car la coproduction permettrait une diffusion plus large. Je n’aime pas les comparaisons avec l’Europe mais c’est ce qui se fait. 

C'est toute la politique cinématographique, de la création à la distribution, qui doit être revue de fond en comble dans les pays africains. Il est temps d’appliquer les solutions suggérées. Sinon, on prend le risque de faire disparaître toute une génération de cinéastes.

Comment expliquez-vous l’attentisme des responsables politiques, alors que les idées et les solutions sont là 

Ils pratiquent tout simplement la politique de l’autruche. Nous n’avons pas encore la chance d’avoir des décideurs qui croient en la création artistique, notamment en la production audiovisuelle et cinématographqiue. Une nouvelle génération de responsables africains nous a fait espérer mais on attend encore qu’ils prennent leurs engagements. Et c'est bien dommage 

Ce qui me rend néanmoins optimiste, c’est le dynamisme que j’évoquais tout à l’heure. Nous n’attendons pas que les politiques fassent le job à notre place. Mais c’est regrettable pour nos économies locales. Simplice Ganou du Burkina Faso, son compatriote Pierre Zongo, Alassane Sy, Mamadou Dia et Angèle Diabang du Sénégal, l'Ivoirien Philippe Lacôte... tous ces jeunes cinéastes que je cite à la volée restent très investis et continuent de développer leurs projets en cherchant des financements à l’extérieur. Ils font des films, mais on pourrait mieux faire parce que financer la production cinématographique fait tourner l’économie d’un pays. 

Michel Zongo, Philippe Lacôte, Aïcha Macky ou Alassane Sy quand ils reçoivent de l’argent de l’Europe s’engagent contractuellement à inclure des techniciens européens dans la fabrication de leurs films. Les revenus de ces derniers seront dépensés en Europe. Rien ne sert de créer des écoles de cinéma, faciliter la création de boîtes de production sans donner du grain à moudre à toutes ces personnes. Des techniciens ont été formés, mais ils ont surtout besoin de travailler et c’est ce qui manque cruellement. Nos pays et nos économies locales sont finalement les grandes perdantes.

L’avenir du cinéma africain passerait par une prise de conscience politique et, évidemment, beaucoup d'investissements dans la production...

Partout sur le continent, il y a des festivals de cinéma. Mais comment voulez-vous voir de très bons films si vous ne mettez pas de l’argent dans la production ? C’est paradoxal ! La Berlinale en Allemagne, Locarno en Suisse, où l’aventure du film Atlantique a commencé, Cannes en France, Toronto au Canada… tous ces grands festivals ont créé des laboratoires, des incubateurs qui permettent le développement de très bons films qui reviendront plus ou moins dans ces festivals. Le projet de Mati Diop a été accepté en 2012 à Locarno et Cannes a reçu le produit fini.

Aujourd’hui, un festival comme le Fespaco n’a pas d’incubateur. Nous n’avons pas attendu et nous avons créé le Ouaga Film Lab. Si les festivals en Afrique n’ont pas d’incubateur, comment voulez-vous que les jeunes porteurs de projets puissent être accompagnés dans leur processus créatif : développer leur idée, avoir des producteurs et des distributeurs afin que leurs œuvres soient finalement vues ? Si les pays africains tardent à mettre en place des fonds pour la production, les cinéastes se tourneront vers le Nord. Ce qui est tout à fait compréhensible.

Le Fonds Jeune création francophone, qui a été mis en place par un collectif d’institutions francophones, est très sollicité depuis sa création. Nous recevons chaque année des centaines de projets. Si des partenaires francophones du Nord arrivent à s’organiser, pourquoi n’est ce pas possible en Afrique ? De quoi avons-nous besoin pour que cela le soit ? D’autant que le Fonds Jeune création francophone, initié par le CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée, France), est géré par un collectif africain, à savoir Générations films. Chaque Etat ne pourrait-il pas contribuer, à l'aune de ses ressources, à un fonds destiné à financer la production cinématographique ? Combien de forums entre chefs d’Etat, ministres africains ou autres faut-il encore organiser pour lancer ce type de structure ? 

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