Propos d'Emmanuel Macron sur le Rwanda : "Ce que dit Emmanuel Macron, c'est très juste", salue l'historien Vincent Duclert

Alors qu'Emmanuel Macron a déclaré que "la France aurait pu arrêter le génocide" au Rwanda, Vincent Duclert, historien et auteur du rapport de la commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi, salue "un pas important" et "une vérité".
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Mémorial du génocide de Gatwaro à Kibuye, dans l'ouest du Rwanda, le 3 décembre 2020. (SIMON WOHLFAHRT / AFP)

"Ce que dit Emmanuel Macron, c'est très juste", salue jeudi 4 avril sur franceinfo Vincent Duclert, historien, auteur du rapport de la commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi.

A l'approche du 30e anniversaire de ce massacre, Emmanuel Macron a déclaré que "la France aurait pu arrêter le génocide". Le chef de l'Etat qui avait déjà reconnu en 2021 les "responsabilités" de la France, s'exprimera dimanche, date-anniversaire du massacre des Tutsi, dans une vidéo qui sera publiée sur ses réseaux sociaux. "C'est un pas important", ajoute Vincent Duclert rappelant que "la place de la France au Rwanda lui aurait permis de mobiliser la communauté internationale, les pays africains dont elle était proche pour agir alors que les militaires français sur le terrain étaient prêts à mener des opérations".

franceinfo : Ce que dit le chef de l'Etat c'est un pas supplémentaire notamment par rapport à ses prédécesseurs ?

Vincent Duclert : C'est un pas important. Déjà le discours de Kigali du 27 mai 2021, deux mois après la remise de notre rapport, Emmanuel macron porte à Kigali les conclusions de notre rapport sur les responsabilités lourdes et accablantes de la France dans le génocide des Tutsi, il a une sorte de réserve en disant que la France avait tout fait pour éviter le génocide. C'était une sorte de concession au narratif de ses prédécesseurs. Aujourd'hui Emmanuel Macron poursuit la reconnaissance de la connaissance. Je pense qu'il faut le relier à sa formation auprès de Paul Ricoeur [philosophe dont Emmanuel Macron fut l'assistant]. C'est très important ce qu'il dit et il faudra vérifier par rapport au texte intégral du message vidéo du président de la République qui sera diffusé le dimanche 7 avril au matin. Je pense que le message sera plus important.

Qu'est-ce que vous comprenez dans ce premier message qui a été diffusé ?

Ce qu'il dit, et c'est la vérité, c'est que la France en particulier avec les alertes de ses agences militaires, avec le travail des missions d'enquête dont celle de la FIDH (Fédération internationale des droits de l'Homme) en 1993, avec le travail des journalistes, avec les renseignements par l'Onu. Il y avait une masse de connaissances sur le processus génocidaire et sur le fait que le 7 avril 1994 quand le président [Juvénal] Habyarimana est tué dans l'attentat de son avion, il était clair qu'un génocide allait se déclencher. Il était possible de le qualifier très vite et c'est ce que va faire Alain Juppé [ministre des Affaires étrangères] de manière un peu seul le 16 mai 1994. Il était possible de le qualifier mais aussi de mobiliser les moyens pour l'arrêter.

Ces moyens existaient et c'était possible de les utiliser ?

Les moyens existaient, je rappelle que le lendemain du 7 avril, la France dépêche plusieurs centaines de forces spéciales pour évacuer les ressortissants, la Belgique aussi envoie des paras belges avec une mobilisation des troupes à Nairobi [Kenya] pouvant intervenir au Rwanda. Il y a des commandos italiens, il y a des marines américains aussi. Il y a 2 500 Casques bleus. Toutes ces forces-là auraient pu être utilisées pour stopper les massacres à Kigali. Ce que dit Emmanuel Macron, c'est très juste. La France était leader au Rwanda et portait à bout de bras ce régime que François Mitterrand croyait légitime et bienfaiteur alors que le Rwanda était avec l'Afrique du Sud, les deux nations en Afrique qui imposaient un apartheid. Les Tutsi étaient victimes d'un apartheid d'Etat.

La France a donc fermé les yeux sur ce qui se passait ?

Il y a une sorte d'aveuglement volontaire systématique sur le régime. La place de la France au Rwanda lui aurait permis de mobiliser la communauté internationale, les pays africains dont elle était proche pour agir alors que les militaires sur le terrain étaient prêts à mener des opérations. Ils ont bien vu qu'il y avait des massacres de civils. Les militaires français de 1994 sont traumatisés par le refus qu'on leur a imposé de ne pas agir. C'est l'échelon politique qui décide de ne pas intervenir parce que la France a tellement soutenu ce régime et donc agir contre le génocide c'est reconnaître la faute majeure de la diplomatie française. Il faut rendre justice à Emmanuel Macron d'avoir refusé ce narratif et ce déni et puis il faut amener les Français et la communauté internationale à regarder la vérité en face. Cette démarche de vérité c'est aussi un respect pour les victimes qui attendent la vérité avant peut-être les excuses.

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