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Musique et sape ont fait de Papa Wemba la plus japonaise des étoiles africaines

La rumba congolaise s'est trouvée une place au pays du Soleil Levant grâce, entre autres, à Papa Wemba. La musique et la mode lieront à jamais le Japon à l'une des icônes de la musique africaine, disparue le 24 avril 2016 à Abidjan à la suite d’un malaise sur scène.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le chanteur congolais Papa Wemba le 15 février 2006 au New Morning, à Paris (France).

 (PIERRE VERDY / AFP)

Les paroles sont en lingala (l'une des langues les plus usitées en République Démocratique du Congo) et c'est de la rumba congolaise... Rien de notable jusqu'ici, si ce n'est que les chanteurs sont Japonais. 

Le groupe Yoka Choc Nippon, dont Rio Nakagawa est le leader, est la plus célèbre de ces formations musicales qui témoignent de l'héritage musical de Papa Wemba, le «roi de la rumba congolaise». De son vrai nom Shungu Wembadio Pene Kikumba, celui que l'on surnommait le Rossignol s'est éteint le 24 avril 2016 à Abidjan, la capitale ivoirienne, après avoir fait un malaise sur scène. 


Des disciples au pays des samouraïs
Pour le journaliste congolais Lilo Miango, qui compte parmi les premiers à avoir fait de l'actualité musicale une spécialité en République démocratique du Congo (RDC), cela ne fait aucun doute: «Papa Wemba est l'un de ceux à qui l'on doit l'avènement de ces orchestres japonais qui font de la rumba congolaise». 

Et Lilo Miango de rappeler le message laissé en lingala par Rio Nagakawa sur sa page Facebook en hommage à Papa Wemba, au-dessus d'une photo où il pose avec l'artiste. «Si je ne t’avais pas rencontré, je n’aurai pas fait de la musique… RIP», peut-on lire. 

Post Facebook de Rio Nakagawa (dimanche 24 avril 2016) (DR/Capture d'écran Facebook)

Cet amour entre Papa Wemba et le Japon, le dernier numéro de l’émission Africanités, diffusé sur la chaîne francophone TV5 Monde, s’en est largement fait l’écho. 

«Les Japonais, qui se sont rendus au Congo dans les années 80, et découvert le groupe Zaïko Langa Langa, entre autres, au Vis-à-Vis
(un bar qui s'apparente alors au QG du groupe où les stars et mélomanes de la rumba congolaise se retrouvent), ont adoré leur musique. Puis, Papa Wemba s’est rendu au Japon au milieu des années 80 et il a retrouvé ceux qu’il appelait affectueusement "ses petits". Ils les avait formés à la rumba congolaise en RDC. Ce double mouvement a cristallisé l’enthousiasme que Papa Wemba et sa musique suscitaient chez les Japonais», explique Lise-Laure Etia, rédactrice en chef et co-présentatrice de l’émission Africanités.

Cette dernière est allée, notamment, à la rencontre du bassiste de Yoka Choc Nippon, Daisuke Kamikawa, à Chiba, au Japon. Le musicien a joué dans l’orchestre de Papa Wemba, Viva la Musica. 


Pour l'artiste congolais, la musique n'avait pas de frontière. «Ce que je fais, ce n'est même plus de la musique zaïroise, ce n'est même plus de la musique africaine. Mais c'est de la musique tout court», confiait-il dans un entretien accordé, il y a quelques années, à la Radio internationale allemande Deutsche Welle (DW). «Papa Wemba était un panafricaniste. Sa vision depuis Kinshasa ne se limitait pas au Congo. Dans son acte fondateur, résume Lilo Miango, la rumba congolaise est une musique internationale.» 



Comme Zaïko Langa Langa (dont Papa Wemba est l'un des cofondateurs) avec l'opus Nippon Banzai Zaïko Langa Langa (1986), Papa Wemba va à la rencontre de son public japonais et enregistre également un album (Papa Wemba au Japon1986). Il y retounera à plusieurs reprises après son premier séjour en 1986. 

Visuel de l'album «Papa Wemba au Japon» (1986)  (DR/Capture d'écran)

«La grande sape» japonaise
Outre la musique, un autre art lie Papa Wemba aux Japonais, la mode. «Mon père commandait ses habits à Bruxelles. Et en 1977, quand je suis arrivé en Belgique, c’est là où j’ai découvert la grande sape, la grande couture. Et elle n’était pas européenne, elle était japonaise.» Cette révélation, qu'il fait au micro de la DW, Papa Wemba la doit au couturier nippon Takeo Kikuchi

«Le pape de la SAPE (Société des ambianceurs et des personnes élégantes)», mouvement à qui l'on attribue la parternité à Papa Wemba, voue depuis un attachement particulier aux stylistes nippons. Au partir du milieu des années 80, grâce à ses tournées au pays du Soleil Levant, son carnet d'adresses va s'élargir avec des grands noms comme Yohji Yamamoto, Kenzo ou encore Issey Mikake. 

Le chanteur congolais (RDC) Papa Wemba en concert au Casino de Paris, à Paris (France) le 6 décembre 2007.
 (SADAKA EDMOND/SIPA )

La sape, Papa Wemba y est tombé comme Obélix dans la marmite qui contenait la potion magique. «A Matonge (quartier populaire de Kinshasa), comme dans les autres quartiers d'ailleurs, les gens aimaient bien s’habiller pour aller à l’Eglise, draguer les filles et faire la fête. A l’époque, on utilisait ces fers à repasser qui fonctionnent au charbon. A l'instar de tous les jeunes gens, Papa Wemba repassait ses habits et ensuite les mettait au soleil. Pas pour les faire sécher mais pour ne pas qu'ils se froissent. Le soir venu, ils se mettaient sur leur trente-et-un pour aller draguer les filles», raconte Lilo Miango qui a côtoyé le musicien dès la fin des années 70. 

Papa Wemba est finalement devenu l'ambassadeur d'une conception de l'élégance propre à la société congolaise. La sape trouve ses racines chez les «Belgicains». «C’est ainsi que l’on surnommait les étudiants congolais qui faisaient leurs études en Belgique, explique Lilo Miango. Quand ils revenaient, ils portaient de beaux vêtements. Et le groupe Zaïko Langa Langa évoluait dans un environnement où les jeunes étaient bien mis. Nos aînés n’étaient pas en reste : ils aimaient aussi être élégants.»


Chef coutumier autoproclammé du «village Molokaï» qu'il a créé à Matonge, Papa Wemba va perpétuer cet art de vivre vestimentaire grâce à la musique et à son statut de star. La Sape prend son essor en Europe, au sein de la diaspora congolaise. «Quand je rentrais au pays et que je passais à la télé (…), j’exhibais mes vêtements (…). Ça flashait au sein de la jeunesse», affirmait Papa Wemba sur les ondes de la DW. «J’aime bien m’habiller (…) et je suis un chanteur, je me dois donc de soigner mon look» mais «je ne suis pas esclave des vêtements», poursuivait-il. 

«Après ses démêlés judiciaires
(il sera écroué en 2003 par la justice française pour «aide à l’entrée ou au séjour irrégulier, faux et usage de faux, et association de malfaiteurs»), note Lise-Laure Etia, il m'a semblé qu'il était devenu plus spirituel. Cependant, Papa Wemba a toujours été un homme très avenant, accessible.» «Du plus loin que je me souvienne, je n'ai jamais vu Papa Wemba en colère», affirme pour sa part Lilo Miango. Une zen attitude toute japonaise pour celui qui demeurera à jamais le «roi de la rumba congolaise»

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