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Tunisie: le 7e anniversaire de la révolution terni par les manifestations

Il y sept ans, le 14 janvier 2011, survenait la révolution tunisienne qui chassait le dictateur Ben Ali du pouvoir. Aujourd’hui, la Tunisie est la seule rescapée des Printemps arabes. Mais elle reste rongée par la corruption et une grave crise économique et sociale. C’est dans ce contexte que les manifestations se multiplient dans tout le pays depuis début 2018. Un bien triste 7e anniversaire.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min

Jedaida (nord), Siliana (nord-ouest), Kasserine et Sidi Bouzid (centre), Tebourba (30 km de Tunis), Gafsa (sud)… Depuis le début du mois de janvier, de violentes manifestations ont eu lieu dans toute la Tunisie, au cours desquelles des heurts ont opposé jeunes et forces de l’ordre. 


Traditionnellement, depuis la révolution de 2011, le mois de janvier est marqué par une mobilisation sociale. Mais en 2018, la situation est particulièrement tendue à l’approche des premières élections municipales de l’après-révolution, prévues le 6 mai. La première cause de la mobilisation étant la hausse des prix. Ce qui n'est pas sans rappeler les «émeutes du pain» de 1984.

«Cela fait sept ans qu'on attend, sans rien voir venir. On a eu la liberté, c'est vrai, mais nous sommes plus affamés qu'avant», lâche Walid, un chômeur de Tebourba, père de deux enfants, montrant ses poches vides. La mobilisation contre la hausse des prix a été initiée par le mouvement Fech Nestannew («Qu'est-ce qu'on attend?»).
 
«Vandalisme» ou «message politique»?
Ces évènements «ne peuvent être assimilés à des mouvements de protestation, mais plutôt à des actes de pillage et de vandalisme», a commenté le Premier ministre Youssef Chahed. A ses yeux, ces actes de «vandalisme» «servent les intérêts des réseaux de corruption pour affaiblir l’Etat». Il a accusé le Front Populaire, un parti de gauche opposé au budget, qui avait appelé à des manifestations. Mais même si cette formation se dit contre la loi de finances, l'un de ses députés, Ahgmed Seddik, a reconnu le 10 janvier que les parlementaires de son groupe avaient voté en faveur de l'article 39 augmentant de 1% le taux de TVA... 

Quant au ministère de l’Intérieur, il a estimé que des casseurs ont été payés par des meneurs politiques.

«Si le gouvernement vole, évidemment que le peuple va voler», a justifié le député d’opposition et ancien syndicaliste Adnène Hajji. De son côté, le parti islamiste Ennahda, membre de la coalition au pouvoir, a «mis en garde» ceux qui «fournissent une couverture politique justifiant les actes de violence et de vandalisme». Tandis que le puissant syndicat UGTT a condamné «la violence et le pillage», appelant à protester de manière pacifique.
 
«Il y a des actes de pillage et de vol, mais aussi un message politique de la part d'un pan de la population qui n'a plus rien à perdre», estime Selim Kharrat, responsable de l’ONG Al Bawsala. Il souligne que de nombreux symboles de l'Etat, comme des tribunaux ou des bâtiments de la police, ont été pris pour cible.

«Au bord de l'explosion»
Pour un autre observateur, la chercheuse Olfa Lamloum, «la nouvelle loi de finances est la goutte d'eau qui fait déborder le vase». Cette loi s’efforce de réduire le déficit public en le confinant à 4,9% en 2018. Elle a décidé «une progression de la TVA de 1%», «des changements de taux pour certains produits» et des hausses de tarifs douaniers, comme le rappelle Géopolis Afrique.

Ce qui implique, pour la population, en ce début d’année une rafale d’augmentations de prix sur des produits essentiels. Et dans de nombreux domaines: chocolat et biscuits +8%, alcools +28%, parfums et produits de beauté +26%, montres +51%, voitures de +4,3% à +12%... Dans le même temps, l'inflation (+ 6% fin 2017) diminue le pouvoir d'achat.


De son côté, après plusieurs années de marasme économique et d'embauches massives dans la fonction publique, le gouvernement tunisien est confronté à d'importantes difficultés financières. La dette et le déficit commercial atteignent des niveaux inquiétants. En novembre 2017, cette dette s’élevait à 67,256 milliards de dinars (22,733 milliards d’euros), soit 69,5% du PIB. Quant au déficit commercial, il devrait atteindre 15 milliards de dinars (5 milliards d’euros) pour 2017. Pendant ce temps, la devise tunisienne, le dinar, a dévissé face au dollar, perdant environ la moitié de sa valeur en quatre ans.

Conclusion: économiquement, le pays va donc très mal. Il se trouve «au bord de l’explosion», estimait Jeune Afrique fin novembre.

L'influence du FMI
Tunis a obtenu en 2016 une nouvelle ligne de crédits du Fonds monétaire international, d'un montant de 2,4 milliards d'euros sur quatre ans, en échange d'un programme visant à réduire les déficits. Suite à une visite d’experts du FMI en octobre, l’institution a publié une déclaration dans laquelle il ressort «que la nécessité de créer des emplois et contenir la dette publique doivent être au centre de tout effort de réforme économique»«Une meilleure gestion de la masse salariale, qui est parmi les plus élevées au monde et absorbe la moitié des dépenses publiques, sera indispensable», ajoute le document. Il évoque une «réduction du déficit budgétaire grâce à une réforme fiscale globale et à une rationalisation des dépenses inefficaces.» Un avis que le gouvernement s'efforce apparemment de suivre dans sa loi de finances.

Confronté à d’immenses difficultés et défis socio-économiques, au terrorisme, le pays, rongé par la corruption, se trouve ainsi pris entre le marteau (les milieux financiers internationaux) et l’enclume, sa population. Une population, avec un PIB par habitant dix fois moins élevé qu’en France, qui subit les hausses de prix.


Dans ce contexte, «les jeunes sont déçus par rapport à la révolution, surtout à cause de la cherté de la vie», pense Olfa Lamloum. Une catégorie de citoyens qui reste très touchée par le chômage (15,3% en novembre pour l’ensemble de la population). «Dans un pays qui abrite une population jeune relativement bien formée, le chômage reste (…) élevé, en particulier chez les femmes (22%), les jeunes diplômés (31,2%) et chez les jeunes sortis du système scolaire et les autres catégories de jeunes (31,8%)», notait la Banque Mondiale en octobre 2016.

Le 14 janvier 2011, d’immenses manifestations, déclenchées au départ par le suicide, à Sidi Bouzid (centre), d’un jeune marchand de fruits, Mohamed Bouazizi, chassaient le dictateur Ben Ali. Excédés par la corruption et les disparités considérables entre riches et pauvres, les Tunisiens découvraient alors l’ivresse de la liberté. Sept ans après, l’enthousiasme révolutionnaire est bien retombé.

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