Soudan: les chrétiens aspirent à la liberté
La chute du président Omar el-Béchir fait espérer aux chrétiens du Soudan une ère de plus grande tolérance religieuse, comme l'explique l'Agence France-Presse.
A Omdourman, ville voisine de Khartoum, la capitale du Soudan, l'église du pasteur luthérien Youssef Zamgila est encore dissimulée dans la cour d'une maison, rapporte l'AFP. Elle n'est composée que de quelques bancs métalliques, d'une chaire et de croix grossièrement peintes sur des piliers qui soutiennent un toit ondulé. L'église "précédente a été détruite parce que nous n'avions pas les papiers requis. (Les autorités) ont toujours refusé (la construction du bâtiment religieux)", explique le pasteur luthérien.
Le Soudan figure dans les dernières places du classement international sur la liberté religieuse dressé par la fondation catholique Aide à l'Eglise en détresse (AED). Celle-ci était pourtant mentionnée dans la Constitution en vigueur sous Omar el-Béchir.
Selon les autorités, les chrétiens ne représentent que 3% des 40 millions de Soudanais, un chiffre contesté par les leaders de la communauté qui l'estiment plus élevé. De fait, selon le site d'AED, cette communauté regrouperait 4,9% de la population (41,17 millions d'habitants), loin derrière les musulmans (91,3%) mais devant les animistes 2,7% et "autres", 1,1%. Elle compte des coptes, des catholiques, des anglicans et d'autres confessions. Nombre de ces minorités ont été poussées à la clandestinité sous la dictature.
Sous le régime précédent, des associations caritatives étrangères qui ont aidé les chrétiens soudanais ont été expulsées. Surtout après la sécession du sud du pays, à majorité chrétienne, en 2011.
"Les autorités pensaient que les églises et les associations chrétiennes soutenaient l'indépendance du Sud", relève Ezekiel Kondo, évêque anglican de Khartoum. "L'Etat a constamment suivi une stratégie d'affaiblissement de l'Eglise", affirme-t-il dans son bureau situé près de la grande église au sein de laquelle il officie, dans le centre de Khartoum. "Nos enfants ne peuvent pas s'instruire sur le christianisme puisque l'environnement dans lequel ils baignent est entièrement façonné pour les musulmans", regrette un enseignant de 28 ans, originaire d'Omdourman.
"Les chrétiens aussi ont participé aux manifestations"
Porté au pouvoir en 1989 par un coup d'Etat soutenu par les islamistes, le président Béchir a été déchu en avril par l'armée sous la pression d'un mouvement de contestation inédit. Après la signature d'un accord entre les les manifestants et les généraux qui ont succédé au dictateur, une instance de transition composée de civils et de militaires a été investie le 21 août 2019. Parmi ses 11 membres figure une chrétienne, Raja Nicolas Abdel Massih.
En outre, la Constitution adoptée pour encadrer la transition, qui doit durer un peu plus de trois ans, ne considère pas l'islam comme une caractéristique définissant l'Etat. Alors que sous Omar el-Béchir, le pays était régi par la charia (loi islamique), instaurée dès 1983.
"Au moins, maintenant, nos dirigeants reconnaissent les chrétiens comme faisant partie de ce pays", se réjouit le pasteur Mata Boutros Komi. "Les chrétiens ont prié pour ce changement pendant des décennies, nous sommes contents car il est arrivé". Une optimisme partagé par son collègue Youssef Zamgila. "Les chrétiens aussi ont participé aux manifestations, ils avaient de bonnes raisons (pour cela). Je pense que les heures les plus sombres sont derrière nous", dit-il.
Au cours du mois d'août, des chrétiens ont manifesté à Khartoum pour réclamer des droits égaux. Une scène difficilement imaginable sous Béchir.
"Optimisme prudent" car "la mentalité islamiste est toujours là"
Mais d'autres appellent à la prudence. "Nous sommes d'un optimisme prudent", dit John Newton, de l'antenne britannique de la fondation AED. "Nous étions inquiets lorsqu'en mai, le Conseil militaire (ayant succédé à Omar el-Béchir) a annoncé que la charia serait maintenue". Dans le même temps, la présence, au sein du nouveau Conseil souverain, de militaires ayant fait carrière sous Béchir a fait craindre que la révolution soudanaise soit de courte durée.
L'évêque Ezekiel Kondo estime que la priorité est d'assurer la paix dans le pays, déchiré par des rébellions et des conflits dans des régions peuplées de minorités non arabes ou non musulmanes."Un document n'apaise pas à lui tout seul la souffrance d'un peuple", prévient-il. "Pour que cette transition fonctionne, il doit y avoir la paix. Ensuite, toutes les autres choses importantes se produiront aisément."
Instillée durant des décennies, la "mentalité islamiste est toujours là", renchérit-il. Pour l'évêque, tout dépendra de la capacité à mettre en œuvre "les principes de la transition". Si tel est le cas, "alors oui, nous aurons du changement."
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