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RDC : un proche de l’ancien président Joseph Kabila retrouvé mort

Le chef d’état-major adjoint chargé du renseignement militaire en RDC, Delphin Kahimbi, 50 ans, a été retrouvé mort à son domicile le 28 février 2020. La veille, il venait d’être suspendu de ses fonctions. La disparition de ce proche de l’ex-président congolais Joseph Kabila soulève de nombreuses interrogations.

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Delphin Kahimbi, alors colonel, à 65 km de la ville de Goma (nord-est de la RDC), le 14 octobre 2008 (WALTER ASTRADA / AFP)

Les versions sur la disparition de Delphin Kahimbi, qui "avait en main les services de renseignements militaires" (Deutsche Welle), décédé brutalement il y a peu, sont contradictoires. Il est mort par "pendaison", selon des "éléments" de l'enquête cités par le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi. Pour autant, son épouse a déclaré à la presse qu’il avait succombé à une "crise cardiaque". L’affaire pourrait s’inscrire dans une lutte pour le pouvoir entre l’actuel chef de l’Etat et son prédécesseur, Joseph Kabila.

"Soulager la famille éplorée"

"Le président de la République a informé les membres du Conseil des ministres qu'il avait décidé de diligenter une enquête indépendante à l'initiative de la Monusco" (Mission des Nations unies au Congo), lit-on dans le compte-rendu du Conseil des ministres diffusé le 7 mars 2020. "Cependant, d'après les éléments en sa possession, il s'avère qu'il s'agit d'une pendaison", ajoute le compte-rendu. Le président souhaite "que toutes ces enquêtes se terminent rapidement afin de soulager la famille éplorée". Vu les informations contradictoires qui circulent sur cette disparition, des organisations des droits de l’Homme demandent une enquête indépendante.

Nommé à l'époque de l'ancien président Joseph Kabila, Delphin Kahimbi était le chef d’état-major adjoint des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et se trouvait à la tête du renseignement militaire. Il était l'un des 12 officiels congolais toujours sous sanctions européennes et américaines pour atteintes aux droits de l'Homme dans les dernières années de l'ancien régime (2015-2018).

Dans la semaine précédant sa mort, il avait été suspendu de ses fonctions et entendu par le Conseil national de sécurité (CNS), selon des sources concordantes. Resté en place après l'investiture du nouveau président le 24 janvier 2019, il était accusé d'avoir mis en place "un système d'écoute des autorités", a déclaré une source militaire à l'AFP. Selon la Deutsche Welle (DW), il était également soupçonné de "déstabilisation"...

"Il y a des gens qui avaient intérêt à ce qu’il disparaisse" 

Le nouveau chef de l'Etat congolais, Félix Tshisekedi, reçoit la ceinture présidentielle des mains de son prédécesseur, Joseph Kabila, le 24 janvier 2019 à Kinshasa, capitale de la RDC. (JEROME DELAY/AP/SIPA / AP)

De leur côté, les associations des droits de l’Homme demandent une enquête indépendante pour connaître l’origine du décès. "C’est en connaissant les vraies causes de sa mort qu’on saura s’il y a des gens qui voulaient sa disparition. Mais avec le rôle qu’il a joué dans la répression des manifestations pacifiques à Kinshasa et le rôle qu’il a joué dans l’est du pays, nous estimons qu’il y a des gens qui avaient intérêt à ce qu’il disparaisse", a expliqué Jean-Claude Katende, président de l'Association africaine des droits de l'Homme (ASADHO), cité par la DW.

Un avis partagé par les membres du Front commun pour le Congo (FCC), le parti de l’ancien chef de l’Etat Joseph Kabila, à qui Félix Tshisekedi a succédé à la tête du pays. Ancienne figure de l'opposition, ce dernier gouverne la RDC en coalition avec son prédécesseur Kabila, dont les partisans sont majoritaires au Parlement et dans les autres institutions du pays. Aujourd’hui, les relations entre les deux hommes sont apparemment assez tendues. "Le président congolais (…) poursuit son bras de fer avec le FCC (…), à qui il attribue le blocage de plusieurs de ses initiatives", rapporte Jeune Afrique.

Pour La Libre Belgique, le général Delphin Kahimbi était l’"un des symboles du pouvoir qu’exerce toujours le clan Kabila". Dans un premier temps, il "était demeuré en place malgré le changement de pouvoir et malgré les sanctions" internationales qui le frappaient.

La satisfaction des Etats-Unis

Juste avant sa mort, les Etats-Unis en RDC, soutien affiché de Félix Tshisekedi, avaient publiquement salué la destitution du responsable militaire par un tweet de leur nouvel ambassadeur dans le pays, Mike Hammer.

("Comme nous l'avons toujours dit : ceux qui sont corrompus, commettent des violations des droits de l'Homme ou perturbent le processus démocratique, devraient rendre des comptes.")

Pour bien faire comprendre son propos, l’ambassadeur avait retweeté un message émanant de la directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch (HRW),  Ida Sawyer.

Deplhin Kahimbi "a une longue histoire d’implication présumée dans de graves violations (des droits de l’Homme), dont des détentions arbitraires, (des actes de) torture et de mauvais traitements. Une grande opportunité pour la justice !"

Ida Sawyer, Human Rights Watch

Tshisekedi sous pression

Les Etats-Unis "avaient expliqué récemment qu’ils ne pouvaient s’engager militairement dans l’est aux côtés de la RDC tant que le ménage n’avait pas été fait dans les rangs de l’armée", rapporte La Libre Belgique. Washington met ainsi le président congolais sous pression. Ce dernier se trouve dans une situation délicate car "les caisses de l’Etat sont vides".

Une situation d’autant plus délicate que l’épidémie de coronavirus "est, économiquement, une catastrophe majeure" pour son pays. "En effet, le cours des matières premières chute chaque jour et la consommation de ces matières premières ne cesse de décroître. Avec, en corollaire, une baisse encore plus significative des rentrées en RDC". Le nouveau président tenterait d’obtenir une aide financière du FMI pour laquelle il a besoin des Occidentaux. Il lui faut donc leur donner des gages.

Dans ce contexte, il lui faudrait s’attaquer à l’influence de son prédécesseur. La mise à l’écart du chef des renseignements militaires aurait ainsi été "un signal envoyé par le pouvoir de Tshisekedi" aux partisans de Joseph Kabila, selon La Libre Belgique. Autre signe : "Le 12 février dernier, c’était le tout-puissant Kalev Mutond, ancien patron des renseignements (ANR) et proche parmi les proches de Kabila qui était appréhendé", rapporte le site du journal belge. Comme pour Delphin Kahimbi, on évoque des tentatives de "déstabilisation". La hache de guerre entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi est peut-être bien déterrée…

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