Cet article date de plus de six ans.

RDC: Laurent Monsengwo, l'archevêque qui veut «dégager» le «médiocre» Kabila

«Que les médiocres dégagent», écrit le 2 janvier 2018 l’archevêque de Kinshasa, Laurent Monsengwo Pasinya, à propos des dirigeants de la République Démocratique du Congo à la suite de la fusillade qui a fait au moins 5 morts le 31 décembre, lors de manifestations catholiques contre le pouvoir. Portrait d’un prélat qui n’a pas peur de se heurter frontalement au régime de Joseph Kabila.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min

Dans sa déclaration, la figure de proue de la puissante Eglise congolaise (majoritaire dans le pays), rappelle d’abord que les manifestants protestaient contre le non-respect par le pouvoir d’un accord majorité-opposition, conclu sous l’égide de l’Eglise catholique, le 31 décembre 2016. Cet accord prévoyait que le président Joseph Kabila resterait en fonction jusqu’à l’élection d’un successeur, qui devait intervenir avant la fin 2017. Le texte n’a pas été respecté: le chef d’Etat n’a pas démissionné et les élections ont été reportées au 23 décembre 2018.


Puis les mots de la déclaration se font impitoyables vis-à-vis de l’armée et du pouvoir. Comme s’ils exprimaient la profonde colère d’un homme qui se sent floué. «Nous ne pouvons que dénoncer, condamner et stigmatiser les agissements de nos prétendus vaillants hommes en uniforme qui traduisent, malheureusement, et ni plus ni moins, la barbarie», écrit le prélat  âgé de 78 ans, au caractère réservé et considéré comme un piètre orateur. La «barbarie» dans un pays qui ne l’a que trop connue à l’époque de la guerre civile (1998-2002), qui a fait des centaines de milliers de morts…

Il poursuit en expliquant qu’«il est temps que la vérité l’emporte sur le mensonge systémique, que les médiocres dégagent et que règne la paix, la justice en République Démocratique du Congo». «Dégage», comme le mot d’ordre des manifestants tunisiens qui conspuaient le dictateur Ben Ali en 2011… Le 4 janvier, Laurent Monsengwo n’a pas eu peur de réitérer: lors d’une messe à la mémoire des martyrs de l’indépendance (1960, plusieurs centaines de victimes), il les a comparés «aux morts d’aujourd’hui», victimes des «brutalités policières». Une comparaison très forte pour des oreilles congolaises.

Un «putschiste»
Joseph Kabila et son gouvernement n’ont pas apprécié. «Monseigneur Laurent Monsengwo a tenu des propos injurieux à l'endroit des dirigeants du pays ainsi que des forces de l'ordre», a indiqué un compte-rendu du Conseil des ministres le 5 janvier, évoquant implicitement la menace de poursuites. Dans une interview à la radio Top Congo le 7 janvier, le ministre du Développement rural, Justin Bitakwira, allait plus loin: «On doit stopper le cardinal Mosengwo comme on a stoppé Mwanda Nsemi (opposant emprisonné avant de s’évader). Parce que quand vous l'entendez parler, c'est la voix d'un putschiste qui a raté son coup. On ne doit pas tout permettre dans ce pays...»


«Putschiste», le prélat? Ce qui est sûr, c’est qu’il confirme là sa réputation d’opposant numéro un au pouvoir de la RDC.

Issu d’une famille de chefs coutumiers sakatas (selon Jeune Afrique), l’homme est archevêque de Kinshasa depuis 2007. Il s’inscrit dans l’histoire de l’Eglise catholique du Congo, engagée depuis l’indépendance dans les questions de société. Le 12 novembre 2017, il n’hésitait ainsi pas, lors d’une rencontre avec des artistes, à leur expliquer: «Chacun de vous doit bien utiliser son talent au profit de la nation. C’est à partir de vos talents reçus du créateur que chacun va concevoir des œuvres qui forment et transforment l’Homme. La vraie transformation est celle qui respecte la nature», selon des propos rapportés par le site du quotidien La Prospérité.

Prêtre depuis 1963, Laurent Monsengwo a été «le premier Africain à devenir docteur en sciences bibliques» à Rome en 1980, rappelle La Croix. Il est aussi polyglotte: selon ses proches, il parlerait… 14 langues. En 1980, il est nommé évêque de Kisangani (nord-est): il a alors 41 ans, un record dans la fonction. De 1982 à 1994, il dirige la Conférence épiscopale du Zaïre (ancien nom du pays), puis de 2004 à 2008, celle du Congo (qui a retrouvé son nom).

Le «principal opposant» de Joseph Kabila
En tant que tel, il a joué «un rôle politique majeur dans la transition politique qu’a connue son pays à la suite du règne du maréchal Mobutu, destitué en 1997». Mobutu, l’homme à la toque de léopard, mort la même année, qui «a ravagé le Congo» (Les Inrockuptibles). Lequel entretenait des relations ambivalentes avec l’Eglise, entre interdiction des noms chrétiens et accueil du pape Jean Paul II en 1980. Laurent Monsengwo fut alors l’un des rares «à s’élever contre les violations des droits de l’Homme, luttant en faveur de la démocratisation», précise La Croix.

Entre 1991 et 1996, il a pris la tête de la Conférence nationale souveraine, censée précisément démocratiser le pouvoir. Puis du parlement de transition. Avant que le pays, deuxième plus grand d’Afrique (quatre fois la France), l’un des plus peuplés (77 millions d’habitants en 2015) et l’un des plus misérables, ne sombre dans la guerre civile. Au milieu des combats, l’institution catholique reste la seule en place dans un Etat «dépourvu de structures solides et où elle tient près de 70% des écoles et des hôpitaux», dixit La Croix.


L’expérience ne prive pas l’archevêque de son esprit critique. En 2015, il n’hésite pas à s’opposer publiquement «à toute révision constitutionnelle et à toute modification de la loi électorale» permettant à Joseph Kabila de conserver le pouvoir. Ce dernier, «protestant entouré de pasteurs», selon Jeune Afrique, sait d’ailleurs à quoi s’en tenir. Selon un ministre européen de passage cité par le journal, il aurait dit de Laurent Monsengwo Pasinya qu’il était son «principal opposant».

«Desmond Tutu congolais»?
Figure morale reconnue dans tout le continent, l’archevêque de Kinshasa est parfois comparé au Sud-Africain Desmond Tutu. En 2010, il est élevé au rang de cardinal par le pape Benoît XVI. Et en 2013, le successeur de ce dernier, François, lui demande de représenter l’Afrique dans le collège des neuf cardinaux chargés de travailler sur la réforme de la Curie (ensemble d’organismes chargés d’assister le pape dans le gouvernement de l’Eglise catholique). Le Vatican lui a apporté publiquement son soutien dans la crise actuelle.

Lié familialement au président du Congo-Brazzaville, Denis Sassou-Nguesso, Laurent Monsengwo est considéré par l’AFP comme «proche» de ce dirigeant. Un dirigeant au pouvoir depuis plus de trois décennies, réélu en 2016 lors d’un scrutin contesté après avoir agité le spectre de la guerre civile (1993-1999), qui avait opposé ses partisans à ceux de Pascal Lissouba. Mais qui s'est aussi intervenu, en 2015, comme médiateur dans la crise centrafricaine. L’archevêque dit lui-même (dans Jeune Afrique) le rencontrer régulrement. De son côté, il est plus que jamais au centre du jeu dans son propre pays.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.