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Mali : "Si la France doit s'appuyer sur des partenaires aussi peu sérieux que l'ancien président IBK, mieux vaut se retirer", affirme le chercheur Serge Michailof

La victoire contre les jihadistes passe par "la reconstruction de l'Etat malien", par une armée "assainie" et un gouvernement "légitime et sérieux", déclare le spécialiste du Sahel dans une interview accordée à franceinfo Afrique.

Article rédigé par Michel Lachkar
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le colonel Assimi Goïta, autoproclamé président du Mali, passe les troupes en revue après avoir prêté serment à Bamako, le 7 juin 2021. (ANNIE RISEMBERG / AFP)

Paris envisage la fermeture de plusieurs bases de l’armée française au Mali. Pour le président français Emmanuel Macron, "ce n’est pas le rôle de la France de se substituer à perpétuité aux Etats de la région". Spécialiste du Mali et du Sahel, le chercheur Serge Michailof analyse pour franceinfo Afrique cette décision.

Franceinfo Afrique : le président Macron veut une réduction importante du dispositif Barkhane. Pourquoi cette annonce aujourd'hui ?

Serge Michailof : je pense que c’est une bonne décision. D’abord, le deuxième coup d’Etat du colonel Goïta au Mali était un coup de trop. Tant le président N'Daw que le Premier ministre Ouane étaient des hommes respectés et expérimentés que l’on voyait très bien gérer cette transition difficile et préparer des élections pour peu qu’on les laisse travailler. Leur limogeage montre bien que les colonels de la junte détiennent la réalité du pouvoir (depuis 2020, NDLR). Or, on n’a pas vu ces colonels profiter de leurs premiers mois au pouvoir pour nettoyer les écuries d’Augias que constituent l’armée malienne (corrompue, NDLR) et les services de sécurité maliens au sens large. Si la France doit s'appuyer sur des partenaires aussi peu sérieux que l'ancien président IBK (Ibrahim Boubacar Keïta), mieux vaut se retirer. La partie est perdue.

Au Mali comme en Centrafrique, la France semble avoir la tentation de se retirer ? 

Pour parler franchement, je suis persuadé que la transformation de Serval en Barkhane (c'est-à-dire la pérénisation de la présence française, NDLR) était une très mauvaise décision, que la durée de la guerre au Mali et au Sahel peut fort bien s’exprimer en décennies. Or, la France ne peut pas maintenir un dispositif aussi lourd pendant des décennies. Divers experts militaires que j’ai lus ou entendus plaidaient depuis plusieurs mois pour un allègement de ce dispositif et sa transformation en une force fondée sur l’aéro-mobilité, les forces spéciales et les drones. On peut sans doute avoir une efficacité équivalente ou supérieure à celle de Barkhane avec beaucoup moins d’hommes sur le terrain, moins de pertes, en appuyant les forces maliennes.

"De toute façon, seule une armée malienne 'assainie' pourra vaincre les jihadistes et seul un gouvernement légitime sérieux pourra reconstruire un Etat malien. Cela peut prendre un certain temps"

Serge Michailof, spécialiste du Mali et du Sahel

à franceinfo Afrique

Le Mali traverse une longue crise politique, économique et sociale. Est-ce dû aux coups de boutoir des jihadistes ou à un lent effondrement interne ?

Le coup de boutoir des jiahdistes en 2012 et le coup d’Etat qui a renversé le président Amadou Toumani Touré à la même période ont sérieusement ébranlé un Etat Malien déjà bien décrépit. Les observateurs extérieurs largement ignorants de ces fragilités avaient fait du Mali un modèle de développement démocratique, sans se rendre compte que l’administration malienne était progressivement devenue une institution prédatrice qui avait perdu le sens du service public et l’estime des citoyens.

En milieu rural tout particulièrement, les services que l’Etat était supposé apporter à la population – santé, éducation primaire, conseil agricole, justice et sécurité  étaient soit absents soit d’une grande inefficacité. Je pense d’ailleurs que l’éducation primaire rurale s’est effondrée lors des programmes d’ajustement structurels des années 90 et dans un contexte de démographie incontrôlée et qu'elle n'a jamais pu être redressée, ce qui est dramatique.

Un effondrement que vous aviez pronostiqué dans votre livre "Africanistan" paru en 2015.  La fragilité du Sahel vous rappelait alors l’Afghanistan ?

J’avais écrit ce livre* et choisi un titre et un sous-titre particulièrement violents pour attirer l’attention et servir de sonnette d’alarme tant pour les responsables sahéliens que français. L’effondrement auquel nous assistons faisait partie des scénarii que j’avais décrits dans le détail. Mais j’espérais encore que ce scénario catastrophe pourrait être évité. Ce que je note, c’est la rapidité de cet effondrement au Mali et au Burkina depuis 2016.

L’effondrement de l’Etat, un syndrôme que l’on retrouve également en Centrafrique, aujourd’hui soumise au pillage des mouvements rebelles et des forces russes du groupe Wagner...

Le groupe Wagner est un faux nez du Kremlin, mais aussi une entreprise privée. Moscou aimerait déstabiliser toute l’Afrique francophone à partir du Mali et le groupe Wagner est certainement intéressé par les mines d’or maliennes. Si les autorités maliennes décident de remplacer l’appui français militaire, politique et économique par un appui russe, je leur souhaite bien du plaisir. Elles découvriront le visage de l’impérialisme russe et surtout elles se découvriront toutes seules lorsqu’il leur faudra discuter avec le FMI, la Banque mondiale et les autorités européennes pour assurer leurs fins de mois. Autrement, le groupe Wagner n’est pas invincible. Il a subi une sévère défaite au Mozambique et une autre en Libye devant Tripoli.

Après avoir demandé l’intervention de la France, certains lui reprochent aujourd'hui sa présence. Comment expliquez-vous la montée des sentiments antifrançais dans la région ?

Je regarde les vidéos antifrançaises sur les réseaux sociaux maliens. Je pense quand même que nos "amis" russes et turcs ne sont pas étrangers à toute cette agitation. Cela dit, il y a un désappointement malien face à une armée française déployant des moyens qui semblent considérables et qui néanmoins n’est pas en mesure de venir à bout des insurrections. Et puis Barkhane est victime du syndrome du "US Go Home", slogan qui couvrait les murs en France moins de dix ans après notre libération par l’armée américaine...

Une poussée des groupes jihadistes n’épargne presque plus aucun pays de la région. Même le puissant Nigeria ne semble pouvoir en venir à bout...

Si le Nigeria était bien géré et si son armée n’était pas aussi corrompue, les groupes jihadistes seraient vite liquidés.

A lire aussi : *Africanistan : l'Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ?, de Serge Michailof, paru en octobre 2015 (Editions Fayard).

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