En Tanzanie, les disparitions de détracteurs du président John Magufuli se multiplient
Le régime, qui "ne supporte aucune critique", restreint les libertés publiques et les droits de l'opposition.
Certains réapparaissent, blessés ou morts, tandis que le sort d'autres reste inconnu. Les disparitions de détracteurs du président John Magufuli et de son gouvernement se multiplient en Tanzanie depuis 2016, déplorent les activistes des droits de l'Homme.
Ben Saanane, l'assistant du chef de file de l'opposition Freeman Mbowe, est porté disparu depuis trois ans. En février 2018, l'opposant Daniel John avait été enlevé en pleine campagne électorale à Dar es Salaam (est), l'ancienne capitale, avant d'être retrouvé mort, le corps marqué de coups de machette. En mai, un autre opposant, Mdude Nyagali, virulent critique du président Magufuli, entré en fonction fin 2015, avait été retrouvé grièvement blessé au bord d'une route du sud du pays, quelques jours après sa disparition.
"Je ne ne me rappelle pas d'une vague de kidnappings de cette ampleur avant 2016", affirme Aidan Eyakuze, membre de la société civile tanzanienne. "Les enlèvements se sont multipliés, visant surtout les personnes qui critiquent ouvertement le régime, en particulier les opposants politiques", assure pour sa part Fatma Karume, ancienne bâtonnière de l'ordre des avocats tanzaniens.
La Coalition tanzanienne des défenseurs des droits de l'Homme (THRDC) a compté 17 kidnappings depuis 2016 : des défenseurs des droits de l'Homme, des journalistes, des hommes d'affaires, des hommes politiques et des artistes.
Ces disparitions touchent même le parti au pouvoir. Le 2 juillet 2019, l'ancien chef de la Diplomatie tanzanienne Bernard Membe, soupçonné par la direction de cette formation d'être opposé à la candidature de John Magufuli à un nouveau mandat, avait dénoncé la "culture nouvelle" des enlèvements dans le pays. Quatre jours plus tard, son assistant personnel Allan Kiluvya était enlevé par des hommes armés à Dar es Salaam, puis retrouvé sain et sauf 48 heures après.
La faute aux réseaux sociaux, dit le pouvoir
"Ce sont des méthodes d'un régime qui ne supporte aucune critique", dénonce dans un entretien avec l'AFP la députée Halima Mdee, leader de la branche féminine du principal parti d'opposition, le Chadema.
Les opposants et militants des droits de l'Homme rappellent que depuis l'entrée en fonction du président, des meetings de partis d'opposition ont été interdits, des opposants arrêtés, des journaux fermés, des journalistes et artistes arrêtés, molestés ou menacés de mort pour avoir critiqué l'administration.
L'ancien député Tundu Lissu, pressenti pour être candidat de l'opposition à la présidentielle de 2020, avait été grièvement blessé par balles en septembre 2017. Il accuse le gouvernement d'avoir voulu l'assassiner, ce que le pouvoir dément. L'opposant Mdude Nyagali a, lui, publiquement accusé les forces de sécurité de l'avoir enlevé, dénonçant "des mobiles politiques". L'opposition et les groupes défendant les droits de l'Homme assurent que si des enquêtes ont été ouvertes sur ces enlèvements, elles n'ont jamais mené à des poursuites judiciaires.
Les autorités rejettent ces accusations. "Il y a sur les réseaux sociaux des gens qui fabriquent des enlèvements et des disparitions. Cela peut diviser la nation et semer la panique au sein de la population", a réagi le ministre de l'Intérieur, Kangi Lugola, lors d'un rassemblement public le 14 juillet. Il a ordonné à la police de "rechercher et arrêter tous ceux qui propagent ces mensonges dans le but de dresser la population contre le gouvernement". Un leader syndical étudiant, Abdul Nondo, a ainsi été accusé d'avoir cherché la notoriété en prétendant, selon la police, avoir été kidnappé. Jugé, il a finalement été acquitté début novembre 2018.
"Personne ne semble à l'abri"
"Les gens vous disent qu'ils ont peur parce que personne ne semble être à l'abri. Dans les transports publics et les bars, les gens ne parlent plus politique. Ils ont peur des personnes assises à côté d'eux", témoigne un chauffeur de bus d'Arusha, grande ville du nord-est, sous couvert d'anonymat. "Même dans nos rangs, au sein du CCM (parti au pouvoir), on a peur. Aucun député du parti n'ose lever le doigt par peur d'être visé à son tour ou de voir son nom rayé de la liste des candidats du parti aux prochaines élections", confie à l'AFP un parlementaire du CCM.
Constat de Human Rights Watch : depuis l'élection de John Magufuli à la présidence en 2015, "on peut observer en Tanzanie un déclin marqué de la liberté d'expression, d'association et de réunion. Les attaques verbales contre les droits s'accompagnent de plus en plus de la mise en œuvre de lois répressives ainsi que du harcèlement et de l'arrestation de journalistes, de membres de l'opposition et de personnes critiques" à l'égard du régime.
La THRDC a appelé le 1er juillet à la tenue d'une "conférence nationale" et à l'adoption d'une "résolution" sur la question des enlèvements. Une requête pour l'heure restée sans suite. Dans son homélie du 14 juillet à Dar es Salaam, Mgr William Mwamalanga, de l'Eglise évangélique pentecôtiste, s'est insurgé contre cette série d'enlèvements. Sans toutefois identifier de responsables.
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