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Côte d'Ivoire : pourquoi la question d'un report de l'élection présidentielle a émergé

L'opposition demande depuis quelques mois le report de la présidentielle du 31 octobre. Une requête à laquelle le pouvoir ivoirien semble indifférent. 

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Des cartes d'électeurs lors de leur distribution, le 14 octobre 2020 à Abidjan, la capitale ivoirienne, en vue du scrutin présidentiel du 31 octobre. (ISSOUF SANOGO / AFP)

Rien de nouveau sous le soleil ivoirien. L'opposition demande depuis plusieurs années au gouvernement de discuter des modalités de l'élection présidentielle du 31 octobre 2020. A l'approche de la date fatidique, lors de laquelle plus de 7 millions d'Ivoiriens sont appelés à choisir leur nouveau dirigeant, l'opposition, désormais en front uni contre le président Alassane Ouattara, candidat à sa propre succession, a réitéré à maintes reprises son souhait de voir reporter le prochain scrutin. Plusieurs enjeux sont liés à cette requête qui semble de moins en moins à l'ordre du jour.

1Pourquoi le report est-il nécessaire et à quoi servirait ce délai ?

"Non au troisième mandat (d'Alassane Ouattara)", "Non à la CEI (Commission électorale indépendante) inféodée, non au Conseil constitutionnel parjure, non à la liste électorale infestée", a martelé Henri Konan Bédié, candidat à la présidentielle et leader du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI-RDA, principal parti d'opposition ivoirien) lors du grand meeting commun de l'oppostion, le 10 octobre 2020. Un rassemblement destiné à lancer le mouvement de "désobéissance civile" que les opposants promeuvent pour marquer leur résistance aux décisions du pouvoir. Cette diatribe du leader du PDCI résume les principaux griefs des opposants qui estiment que cette troisième candidature du président sortant est anti-constitutionnelle et que la CEI et le Conseil constitutionnel sont aux mains du régime actuel.

"Plusieurs personnalités politiques et civiles ivoiriennes et africaines ainsi que des membres de la communauté internationale estiment, en public ou en privé, qu’un report est nécessaire pour éviter que la logique de confrontation actuelle ne mène à de graves violences", peut-on lire dans la dernière note de l'International Crisis Group sur la Côte d'Ivoire. "Ce report devrait permettre l’organisation d’un large dialogue visant à apurer une partie du contentieux, notamment concernant la composition de la CEI, la révision du fichier électoral, les modalités d’un retour des exilés politiques et le sort de certains de leurs partisans, toujours emprisonnés." 

Pour Gilles Yabi, fondateur et directeur du think tank ouest-africain Wathi"la demande du report renvoie à discuter de l'ensemble du cadre politique de l'élection", y compris de l'avenir politique d'Alassane Ouattara. "Lorsqu'on demande un dialogue politique comme le fait l'opposition et un certain nombre d'acteurs, poursuit-il, c'est que l'on considère que la situation n'est pas normale. Dès lors qu'il y a un dialogue politique, cela veut dire aussi, par exemple, que les acteurs peuvent s'entendre sur une transition ou un maintien du président au pouvoir pendant un certain temps et avoir, en contrepartie, un certain nombre de concessions, y compris le retrait de la course du président Ouattara. On serait hors délai constitutionnel, mais ce ne serait pas la première fois qu'on aurait une situation exceptionnelle dans un contexte de crise politique." 

2Quel scénario en cas de report ? 

"Ce qui est important, c'est ce qu'on fait du report, rappelle Gilles Yabi. S'il y a un dialogue politique, c'est en tout cas la position exprimée par l'opposition, cela ouvre la voie à plusieurs options." Le leader de la branche du Front populaire ivoirien (FPI, le parti de l'ancien président Laurent Gbagbo), légalement reconnue en Côte d'Ivoire, a récemment donné son avis sur la question. "Mais au-delà de tout cela (des principales revendications de l'opposition, NDLR), il y a la situation de notre pays. C'est parce (qu'il) est en crise que nous observons tout cela", a affirmé Pascal Affi N'Guessan lors du meeting du 10 octobre. Le candidat à la présidentielle a indiqué que l'objectif de "la désobéissance civile" prônée par l'ensemble de l'opposition est d'obtenir "une transition politique". 

"Le mot d'ordre de désobéissance civile vise à obtenir la transition politique pour la renaissance de la Côte d'Ivoire parce qu'avec (cette) transition, nous n'aurons plus de prisonniers politiques, nous n'aurons plus d'exilés politiques. Nous n'aurons plus la division de la Côte d'Ivoire. Tous les fils de ce pays vont s'asseoir autour de la même table pour panser les blessures de ces trente ans d'affrontements, de conflits, de meurtrissures, de violences", a déclaré Pascal Affi N'Guessan. La réconciliation nationale est un exercice auquel la Côte d'Ivoire s'était livrée en 2001, notamment après le coup d'Etat de 1999. Un exercice vain au regard la crise post-électorale de 2011. 

"L'élection présidentielle du 31 octobre aurait pu être l’occasion pour la Côte d’Ivoire de clore la longue série de crises qui a démarré après la mort, fin 1993, du président Félix Houphouët-Boigny, analyse l'International Crisis Group. Au lieu de cela, le pays se dirige vers une nouvelle confrontation entre les partisans d’Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo, les trois acteurs au cœur de cette crise depuis près de trois décennies (...). Alors que ces antagonismes refont surface, ce scrutin présidentiel risque fort d’ouvrir un nouvel épisode de cette interminable crise ivoirienne."

3 Sinon, faut-il craindre une crise équivalente à celle de 2011 ?

Si les élections sont maintenues, la plus importante inquiétude est de voir le scénario de 2011, où quelque 3 000 personnes ont trouvé la mort, se reproduire. "Les risques de violence en Côte d'Ivoire, à l'occasion de cette élection, sont importants, répond d'emblée Gilles Yabi. On a déjà des morts avant l'élection. Nous avons une crise pré-électorale. Il y a de fortes chances que l'on ait une crise électorale et post-électorale (...)"

Pour autant, ajoute-t-il, "nous ne sommes pas dans le même scénario qu'en 2010-2011. A cette époque, on savait que l'on allait à une élection avec des adversaires politiques qui pouvaient recourir à des forces armées : d'un côté l'armée gouvernementale, de l'autre, une rébellion qui est encore sur place. Ce qu'il s'est passé (en 2011), c'est une confrontation militaire entre des forces organisées. Aujourd'hui, nous ne sommes pas dans ce scénario. Le rapport de force est totalement différent : il y a un président qui a le contrôle de l'appareil d'Etat et des forces de sécurité. Il n'y a pas de rébellion sur le territoire puisqu'elle a été démantelée : un certain nombre de ses chefs militaires sont rentrés dans l'armée de Ouattara. Nous sommes dans un rapport de force très déséquilibré, en faveur du pouvoir en place. Même s'il y a violence, nous ne sommes pas dans le scénario d'une confrontation entre des forces comparables (...). Mais cela ne veut pas dire que ce n'est pas dangereux." 

4Un report est-il encore plausible ?

Pour Gilles Yabi, il est "très peu probable" que le régime ivoirien s'aligne sur l'option d'un report. Le président Ouattara "a eu le choix de ne pas se présenter (...). Le sentiment que l'on a, c'est (que le régime ivoirien) a décidé d'aller à l'élection en étant conscient des risques et en ayant le sentiment qu'il pourra passer ce moment-là, même s'il y a des violences (...). Mais nous sommes en politique, s'il y a des pressions fortes d'acteurs influents internationaux, peut-être que l'on aura un changement au dernier moment. Mais, à nouveau, c'est très peu probable."

La récente déclaration de Henri Konan Bédié laisse deviner un certain pragmatisme chez les opposants ivoiriens qui se focalisent sur la commission électorale, pierre angulaire du dispositif électoral. "Face à la menace d'agressions perceptibles des tenants du pouvoir contre les personnalités de l'opposition et l'incapacité de la CEI d'organiser un scrutin présidentiel juste, crédible et transparent", le chef du PDCI a demandé au Secrétaire général des Nations unies, Antonio Gutteres, "de se saisir du dossier ivoirien pour la mise en place d'un organe électoral véritablement indépendant et crédible" avant la présidentielle. Les représentants des principaux partis ivoiriens se sont déjà retirés de la CEI. Cette dernière a fait savoir que cela n'aura aucun impact sur sa mission.

Les opérations de distribution des cartes d'électeurs ont commencé en Côte d'Ivoire et la campagne présidentielle s'ouvre officiellement le 15 octobre à minuit pour s'achever le 29 octobre, sous le sceau de "la désobéissance civile" pour l'opposition.

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