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Air Zimbabwe licencie, mais le ciel africain n’a pas dit son dernier mot
La compagnie aérienne nationale Air Zimbabwe a licencié le 11 juillet 2017 près de la moitié de ses effectifs. But: réduire ses coûts et tenter d'éviter la faillite dans un pays à l'économie exsangue. Si la situation de ce transporteur aérien est caricaturale, elle n’en reflète pas moins les difficultés du marché aérien africain. Lequel est appelé à se développer dans les années à venir.
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«Welcome to Air Zimbabwe», peut-on lire sur le site de la compagnie (surnommée AirZim) qui se flatte, dans sa devise, de représenter «l’hospitalité zimbabwéenne dans le ciel». Pour autant, le «Bienvenu» en question ne vaut plus pour 200 de ses 424 employés…
«La masse salariale est trop importante», a déclaré le président d'Air Zimbabwe, Chipo Dyanda, dans le quotidien gouvernemental The Herald. Selon ce responsable, un audit «indépendant» aurait révélé, entre autres anomalies au sein du personnel, des problèmes de «sous-qualification» et de «compétences». «Certains n’ont pas les qualifications requises pour leurs postes», a-t-il expliqué. Cela n’empêche pas le site d’AirZim d’évoquer les «talents exceptionnels de ses pilotes».
La compagnie d'Etat a expliqué avoir réduit ses effectifs compte tenu de ses «énormes défis financiers» et «afin de maîtriser les coûts opérationnels». Air Zimbabwe affiche une dette de plus de 300 millions de dollars. Elle assure des liaisons internationales vers l'Afrique du Sud et la Tanzanie ainsi que des vols intérieurs entre Harare, Bulawayo (sud) et les chutes Victoria (ouest). En 2012, l’un de ses Boeing avait été saisi à l’aéroport londonien de Gatwick pour un problème d’impayé, rapporte le site sud-africain news24.com. Ce qui l’avait obligée à interrompre ses vols vers l’Europe.
Liste noire
Depuis mai 2017, Air Zimbabwe figure sur la liste noire des 181 compagnies interdites d'accès à l'espace aérien de l'Union européenne. Pour l’Agence européenne de la sécurité aérienne, la compagnie ne respecte pas les normes de sécurité internationales. Même si le site de cette dernière vante «un bilan de sécurité enviable»…
Pour autant, ces difficultés ne sont pas les seules. D’autres sont très politiques. Le dictateur Robert Mugabe, 93 ans, n’hésite pas à réquisitionner des avions de la compagnie, l'obligeant à annuler ou reporter des vols. Il n’hésite pas non plus à y faire nommer ses proches. En octobre 2016, son gendre, Simba Chikore, est ainsi devenu le «directeur des opérations» (Chief Operations Officer) d’AirZim pour, en principe, redresser l’entreprise.
L’affaire résume à elle seule tous les maux dont souffre le Zimbabwe. Un pays plongé depuis le début des années 2000 dans une profonde crise économique, qui se traduit par un chômage de masse (près de 90% de la population active), l'effondrement de nombreux services publics et la raréfaction des liquidités.
Les difficultés d’Air Zimbabwe sont quasi-caricaturales. Mais elles n’en reflètent pas moins les problèmes de nombreuses compagnies du continent. De fait, la majorité des transporteurs aériens figurant sur la fameuse liste noire de l’UE sont africains. Ils représentent 14 pays: l’Angola, la République Démocratique du Congo, le Congo, Djibouti, l’Erythrée, le Gabon, la Guinée Equatoriale, la Libye, le Nigeria, Sao Tomé, la Sierra Leone, le Soudan, le Zimbabwe.
Taxes et tarifs excessifs
Principal reproche fait aux transporteurs aériens africains: les manquements en matière de sécurité, comme on l’a vu. Mais dans le même temps, les observateurs leur reprochent souvent «leur mauvaise qualité de service et des tarifs jugés excessifs», rapporte l’analyste Lays Moussi sur son site. Des tarifs qui excluent de fait une grande majorité des citoyens, entravant ainsi le développement du trafic.
Les taxes, notamment, pèsent très lourd dans le prix d’un billet: elles sont souvent trois fois plus élevées qu’en Europe ou en Asie! Le kérosène, qui représente environ la moitié des coûts d’exploitation des compagnies, y est aussi plus cher qu’ailleurs. Conséquence: l’activité aérienne du continent est déficitaire. Au total, les pertes cumulées du transport aérien africain depuis 2003 atteindrait 2 milliards de dollars (La Tribune).
Le plus court chemin passe… par l’Europe
Les difficultés sont aussi d’ordre structurel. Notamment en raison du protectionnisme des Etats, qui se réservent leurs espaces aériens. Ce qui limite «le périmètre d’action des compagnies», observe Lays Moussi. Les spécialistes pointent également du doigt la faiblesse du réseau des vols interafricains. Ce qui complique la vie des voyageurs voulant aller d’un point à un autre du continent. Ainsi, quand on veut se rendre d’un pays francophone à un pays lusophone, ou d’une métropole ouest-africaine à une autre, il faut souvent passer… par l’Europe!
Dans ce contexte, le marché aérien africain reste modeste. «Avec près de 111 millions de passagers transportés en 2015, le trafic de l'ensemble du continent équivaut peu ou prou à celui de... Ryanair», constate La Tribune. Il représente un peu plus de 3% du trafic mondial alors que le continent compte 16% de la population de la planète.
Potentialités
Mais les Africains n’ont sans doute pas dit leur dernier mot. Ainsi, plusieurs compagnies africaines figurent déjà parmi les 100 meilleures mondiales, selon un classement de l’agence britannique de notation Skytrax, cité par le site de l’agence Ecofin. South African Airways (qui figure au 41e rang mondial) est la première, suivie d’Air Seychelles, Air Mauritius, Ethiopian Airlines, Kenya Airways, TAAG Angola Airlines, Kulula (low cost sud-africaine), Mango (low cost sud-africaine) ou Royal Air Maroc.
Malgré les entraves à son développement, sans parler des guerres et des problèmes politiques, le continent possède des atouts importants. Parmi ces atouts: sa croissance économique et l’émergence d’une classe moyenne. Un potentiel qui se traduit dans les chiffres. Entre 2003 et 2016, le trafic aérien africain a augmenté de 56%, selon l’Association internationale du transport aérien (Iata). Et selon les prévisions de cet organisme, le nombre de passagers transportés devrait presque tripler d’ici 2035. Pour dépasser les 300 millions de voyageurs.
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