L'écrivain mauritanien Beyrouk sur la guerre au Mali. Et quelques autres choses
Ancien journaliste, Mbarek Ould Beyrouk a créé en 1988 le premier journal indépendant de son pays. Auteur de plusieurs ouvrages, dont Et le ciel a oublié de pleuvoir (publié en 2006), il signe avec Le Griot de l’émir un beau livre, rugueux et poétique, où le passé et le désert saharien, lieu de haines tenaces et de violentes passions, jouent un rôle essentiel. Un passé qui «habite nos actes d’aujourd’hui, et aussi toutes nos pensées».
L’action de votre livre se passe dans une société traditionnelle. Quel est le lien avec la société d’aujourd’hui ?
L’action du Griot de l’émir se passe à la fin du XIXe siècle. Mais les structures sociales de cette période n’ont pas complètement disparu. On trouve ainsi encore les traces d’une société de «castes», sans que ce terme ait le même sens qu’en Inde, avec les sociétés maraboutiques, qui s’occupaient de religion, les tribus guerrières, les griots… Ceux-ci existent encore et continuent à se revendiquer de leurs ancêtres et de leurs tribus. Il y avait aussi les esclaves. Aujourd’hui, l’esclavage n’existe plus et les associations des droits de l’Homme pourchassent les derniers recoins où il pourrait subsister. Mais on trouve encore des gens qui l’ont subi.
Je veux montrer que nous sommes les héritiers de ces structures anciennes que l’on trouvait partout dans le Sahara occidental. Cette grande région qu’on appelle aussi l’«espace maure», qui va du nord du Mali jusqu’au sud de l’Algérie et du Maroc.
Aujourd’hui, nous vivons dans un monde où il y a des Etats. Mais dans la tête des gens, le découpage colonial n’a rien changé. Le désert reste notre patrie. Nos frontières, ce sont les pâturages de nos ancêtres, ce monde intérieur où l’on avait le droit d’emmener nos troupeaux.
Comme l’illustre notre musique, on y trouve une société très multiculturelle, métissée, syncrétique, que j’appelle arabo-negro-berbère. Avec une langue commune, l’hassania, dérivé de l’arabe et qui tire son nom d’une tribu de conquérants au XIVe siècle, même si l’on trouve évidemment d’autres idiomes comme le touareg.
Que voulez-vous montrer dans votre livre ?
Je veux faire ressortir la force du verbe et de la musique, faire revivre une ambiance. Mon ambition est de faire connaître la culture orale qui imprègne encore les esprits et appartient à notre quotidien, le t’heydinne, inscrit en 2011 par l’UNESCO sur la «Liste du patrimoine immatériel nécessitant une sauvegarde urgente». Cette culture est constituée de chants écrits il y a plusieurs siècles pour glorifier les génies, les batailles, les grands émirs, les chefs de tribus.
Elle est portée par le griot, qui ne contente pas de reprendre ces chants repris dans les fêtes, les mariages. Car ce musicien, qui est également un peu poète et historien, invente et crée à son tour. Dans le passé, il était chargé, avec son verbe et son luth, de donner à chacun sa place dans la société. Il transmettait ainsi l’idéologie du pouvoir.
L’Afrique saharienne et subsaharienne est au centre de l’actualité. On parle bien évidemment de ce qui se passe au Mali, un peu moins au Niger, encore moins en Mauritanie. Quelle est la situation dans votre pays ?
Actuellement, nous avons moins de problèmes avec les groupes jihadistes. Le problème s’est déplacé vers le Mali. Mais les gens ont peur qu’il se repose à nouveau. Ils ont très peur du terrorisme.
Avec la crise dans le nord du Mali, de très nombreux réfugiés sont arrivés en Mauritanie : on parle de plus de 50.000 personnes (pour un pays de 3,5 millions d’habitants, NDLR). Dans ce contexte, le début d’activité touristique s’est effondré.
Les jihadistes ont une forme de foi qui n’est pas celle des Sahariens. Ceux-ci défendent un islam ouvert et tolérant, une culture syncrétique. Personnellement, je me sens aussi éloigné des militaires français intervenant au Mali que des islamistes. Mais ceux-ci sont beaucoup plus dangereux pour moi qu’ils le sont pour les Occidentaux. Ils représentent un problème qui se pose et nuit à tous les musulmans.
Le griot de l’émir, Beyrouk, éditions Elyzad (2013) ; 16,90 euros.
Voir aussi : le site de Beyrouk
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