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Protections des espèces menacées: le rhinocéros en danger

Le rhinocéros est le grand perdant du palmarès 2013 établi par le WWF sur l’évolution des espèces protégées menacées. Au cours des 12 derniers mois, 919 rhinocéros, soit 50% de plus qu'en 2012, ont été braconnés rien qu'en Afrique du Sud.
Article rédigé par Dominique Cettour-Rose
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Deux rhinocéros blancs à Limpopo (Afrique du Sud) en mars 2012. (AFP- ALEXANDER JOE )
«Au niveau mondial, le braconnage de rhinocéros échappe à tout contrôle», déplore l’Organisation mondiale de la protection de la nature en Suisse (WWF), dans son dernier rapport. Et pour cause, la corne se négocie à plus de 16.300 euros le kilo, prisée surtout par les pays asiatiques en raison de ses prétendues vertus aphrodisiaques et médicinales.

Grand consommateur, le Vietnam est dans le collimateur de la communauté internationale qui l'accuse de ne pas lutter suffisamment contre un trafic qui conduit à une intensification du braconnage en Afrique du Sud. Comme les éléphants pour leur ivoire, les rhinocéros y sont victimes, depuis cinq ans, d'un braconnage sans précédent pour leurs cornes. 

Les 178 pays membres de la Convention sur le commerce international des espèces menacées (CITES) réunis à Bangkok, en mars 2013, avaient appelé à lutter davantage contre ce trafic, notamment en poursuivant plus efficacement les criminels et en essayant de réduire la demande en Asie.

Quatre ans de prison
Accusée par de nombreuses organisations internationales d'être une plaque tournante pour le trafic d'espèces menacées, la Thaïlande procède régulièrement à des saisies de cornes illégales sur son territoire. En janvier 2013, un Vietnamien qui transitait par l'aéroport international de Bangkok a été arrêté en possession de cornes de rhinocéros d'une valeur estimée, selon les autorités thaïlandaises, à quelque 450 000 euros. Le suspect, 56 ans, a dit avoir transporté les cornes en voiture du Mozambique jusqu'en Ethiopie, avant de prendre un avion pour Bangkok. Il a été interpellé avant d'embarquer sur un vol pour la capitale vietnamienne, Hanoï. Il risque quatre ans de prison. 


Saisie de cornes de rhinocéros le 7 janvier 2013 à l'aéroport international de Bangkok.  (AFP/FREELAND FOUNDATION)

Ce commerce illégal implique des groupes très organisés, mobiles et bien financés en Afrique. Ces réseaux recrutent des pseudo-chasseurs, dont des citoyens vietnamiens, et des chasseurs de République Tchèque et de Pologne pour obtenir des cornes de rhinocéros en Afrique du Sud.

La communauté internationale a surtout réclamé des efforts de la part du Vietnam ainsi qu'au Mozambique, pays d'origine de certains braconniers opérant en Afrique du Sud voisine et d'où proviennent un certain nombre de cornes expédiées au Vietnam. «Les rhinocéros sont tués pour leurs cornes, qui sont considérées comme ayant une grande valeur dans certaines région d'Asie, notamment au Vietnam mais aussi de plus en plus en Chine», souligne l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). 

La chasse aux trophées légale
Hanoï a notamment été sommée de développer une base de données des cornes-trophées acquises légalement, sous forme de trophées de chasse, afin de lutter contre l’infiltration, par ce biais, de cornes illégales. La Cites a en effet constaté «une augmentation du nombre de chasses menées par des ressortissants de pays qui ne pratiquent pas, traditionnellement, la chasse aux trophées, en particulier des ressortissants vietnamiens». 

Ce pays communiste devra aussi mettre en place des «stratégies de réduction de la demande». Pour l'organisation WWF, les cornes de rhinocéros provenant d'Afrique du Sud sont destinées à la médecine traditionnelle vietnamienne. Dans un rapport datant de 2011, l'UINC précisait qu'elles n'étaient plus seulement utilisées à des fins traditionnelles mais aussi «pour des remèdes contre la gueule de bois ou des cures pour détoxifier son corps, notamment au Vietnam». 

Aucune preuve sur un effet médicinal
Pourtant, des études citées par le National Geographic, en juillet 2010, démystifient les propriétés de la corne du pachyderme : «L’étude (du WWF) ne trouve aucune preuve selon laquelle la corne de rhinocéros aurait un quelconque effet médical comme antipyrétique pour diminuer la fièvre, un usage très répandu en Asie. La corne est comme les ongles, en ce sens qu’il s’agit de cheveux agglutinés, et n’a pas de propriétés analgésiques, anti-inflammatoires ou anti-spasmolytiques.» Selon le Dr. Raj Amin, de la Société zoologique de Londres, consommer de la corne de rhinocéros «reviendrait d’un point de vue médical à manger ses propres ongles».

Les autorités vietnamiennes devront également détailler dans un rapport à la Cites, d'ici à fin janvier 2014, les efforts accomplis: le nombre d'arrestations, de saisies et de condamnations. Des actions jugées jusque-là «limitées», selon la Convention. Hanoï a promis de «faire de son mieux» pour mettre en oeuvre ces recommandations, mais a réclamé un «soutien technique et financier». Quant au Mozambique, il devra apporter une attention particulière à «la promulgation et l'application de lois avec des sanctions dissuasives pour combattre avec efficacité les crimes contre la vie sauvage».

Déclin prévu vers 2016
«Les gouvernements ont fait un choix clair à la Cites d'offrir plus de protection aux rhinocéros en se mettant d'accord sur un calendrier qui va aider deux des pires contrevenants dans le commerce de cornes de rhinocéros, le Vietnam et le Mozambique» à améliorer leurs actions, s'est réjoui Carlos Drews de WWF. «C'est une étape importante pour la protection des rhinocéros, un animal préhistorique massacré pour sa corne à un rythme alarmant, pour satisfaire la demande essentiellement au Vietnam», a-t-il ajouté, craignant que 2013 ne signe un nouveau triste record dans l'abattage des rhinos d'Afrique du Sud.



La population de rhinocéros d'Afrique du Sud commencera à décliner vers 2016 si le rythme actuel du braconnage se poursuit, ont prévenu, le 8 mars 2013, les autorités de Pretoria. La sonnette d'alarme a été tirée par la ministre de l'Environnement, Edna Molewa, en marge de la réunion de la Convention sur le Cites. «Le nombre de rhinocéros braconnés en Afrique du Sud depuis le début de l'année atteint 146», avait-t-elle alors déclaré lors d'une conférence de presse, précisant qu'une cinquantaine de braconniers présumés avaient été arrêtés sur cette période.

Un total de 668 rhinocéros ont été abattus en Afrique du Sud en 2012. Un record dépassé en 2013, selon le décompte de WWF. «Nous pensons que nous allons commencer à avoir des problèmes vers 2016», avait ajouté la ministre.

Plus cher que l'or 
Face à cette situation d'urgence, trois scientifiques Frank Courchamp du CNRS, Duan Biggs et Hugh Possingham, de l'Université de Queensland en Australie suggèrent de légaliser la vente de cornes de rhinocéros afin d'en contrôler le commerce et sauver ainsi l'espèce de l'extinction. Faisant le constat que l'interdiction mondiale de ce commerce - en 1975 - a échoué, ces «environnementalistes engagés» ont souligné dans la revue américaine Science, datée du 1er mars 2013, que «les cornes de rhinocéros valent désormais plus que l'or». Le prix au détail des cornes de rhinocéros atteint aujourd'hui 65 000 dollars le kilo, un prix qui a plus que décuplé en vingt ans.

Afin de casser l’attractivité de ce marché noir extrêmement lucratif, les chercheurs proposent de satisfaire la demande mondiale dans le cadre d'un commerce encadré, alimenté par la découpe des cornes de rhinocéros vivants, «sans aucun traumatisme», et la récupération des cornes sur les animaux morts de cause naturelle. Cette démarche, selon eux, permettrait de faire baisser le prix du marché et assurer une traçabilité du produit. Pour appuyer leurs propositions, les scientifiques rappellent notamment que la légalisation du commerce de peaux de crocodiles a permis de sauver l'espèce.

Le rhinocéros noir d'Afrique de l'Ouest a été déclaré éteint en 2011 et le rhinocéros blanc d'Afrique centrale classé comme «peut-être éteint à l'état sauvage» par l'UICN. Le réseau mondial de conservation de la nature estime que la disparition des rhinocéros aurait pû être évitée, si les avertissements des associations avaient été suivis d'actes. Il ne resterait plus que 5 000 rhinocéros noirs et 20 000 rhinocéros blancs dont la vaste majorité se trouve en Afrique du Sud et en Namibie.


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