Mohamed Mosbah : «Un jour je vais faire une connerie»
Dans le 20e arrondissement de Paris, Belleville est un quartier à deux visages pour Mohamed Mosbah : «C'est tranquille et tout d'un coup ça peut partir en sucette grave !»
Mais le jeune homme n'est pas habitué à faire le difficile. Sa copine, sa mère et ses frères habitent là et l'hébergent. Il n'en demande pas plus.
Car il revient de loin.
«C'est en arrivant en France que les choses se sont gâtées», déclare t-il.
Il fête à peine ses 10 ans quand ses parents décident de quitter la Tunisie. D'emblée, la situation de celui qui n'est qu'un jeune garçon insouciant va se compliquer.
L'autorité paternelle reprend l'avion pour la Tunisie et sa mère reste seule avec ses enfants. Ils sont hébergés par un oncle dans un microscopique studio, à sept, dans le 7e et huppé arrondissement de Paris.
A cause de méconnaissance et d'incompréhension des lois françaises, à cause de la longueur de certaines procédures aussi, la mère du jeune Mohamed ne parviendra à inscrire son dernier fils au collège qu'un an après son arrivée. Pour cela, il lui aura fallu montrer patte blanche, réussir un examen de maîtrise de la langue française.
Suivra une longue série de déménagements, elle ne fait que commencer.
Sa famille veut qu'il continue à étudier dans ce collège du 7e qu'il a intégré.
Alors, en venant, seul, chaque matin, du «9-4 ou du 9-3», du 7e ou du 20e, de banlieue ou de Paris, le collégien parviendra à suivre sa scolarité jusqu'en 3e.
Sa professeur principale aimerait le voir suivre la filière générale, ses notes sont bonnes.
Lui veut travailler, entrer en mécanique, son graal depuis toujours.
Il entreprend de suivre une année de 3e «découverte professionnelle».
Il passe en seconde et est inscrit dans un lycée professionnel du 18e. «Si j'avais su, je n'y serais jamais allé. A l'entrée, il y avait des prostituées, du crack, l'impression que les profs ne nous aidaient pas... J'ai commencé à faire n'importe quoi.»
Lorsqu'il évoque ces années, le jeune homme ne se trouble pas. Et pourtant.
Sa mère est repartie au pays, elle aussi, et à 16 ans, la cohabitation avec ses grands frères n'est plus possible.
Mohamed Mosbah se retrouve «à la rue».
Il commence à «perdre son sang froid car qui ne le perdrait pas quand vous dormez dans les bus de nuit, que vous attendez que les boutiques ouvrent pour voler un sandwich et que vous arrivez, mort de fatigue, en cours».
Le jeune homme va devoir quitter le lycée. Trop d'absentéisme.
Son projet de suivre une formation en alternance tombe à l'eau parce qu'il n'a pas de papiers.
Il dit avoir pourtant trouvé un garagiste à Paris prêt à le prendre sous sa coupe. Une gageure. Mais Mohamed découvre ce que sans-papiers veut dire puisqu'il lui en faut pour travailler.
Il l'avait déjà éprouvé, mais pas aussi cruellement : «Lorsqu'on m'arrêtait, et cela arrivait souvent dans le 7e quand j'étais au collège, je disais que je n'avais pas mes papiers sur moi. Je donnais ma date de naissance réelle, mon lieu de naissance réel et une fois que j'annonçais être Français on me laissait repartir. J'aurais pu avoir des gros problèmes.»
Pour obtenir ses papiers et suivre cette formation en alternance de mécanicien, pour gagner les 700 euros qu'il rêve alors de toucher chaque mois – «J'aurais été le roi» –, Mohamed va faire le siège de la préfecture.
Chaque nuit, pendant un mois, il tentera d'être parmi les premiers dans la queue qui s'allonge d'heure en heure devant la préfecture du 17e arrondissement. «Si vous arrivez à 6h du matin, vous ne passez qu'à 15...»
Chaque fois, on lui notifie un refus. «Mon avocat le savait, mais ne nous l'a pas dit. Il fallait payer, encore.»
Un jour, le policier de faction lui interdit l'entrée. Il ne reviendra plus.
Sans-papiers, sans travail hormis quelques heures au noir sur le marché, Mohamed ronge son frein depuis trois ans.
«J'ai envie d'être comme tout le monde, de passer mon permis, d'avoir un appartement. Franchement, si je n'ai pas mes papiers, je vais faire une connerie.» La «connerie» dont il parle, c'est le deal, le trafic, en un mot comme en cent, le «bizness».
«Cela fait trois ans que j'attends de voir ma situation se régulariser. En fait, on te dit d'y aller, on te dit "va", tout est fait pour que tu plonges.»
Il espère ne pas en arriver là, ne pas avoir à dealer pour vivre et compte beaucoup sur ce rendez-vous à la préfecture, dans quelques jours.
Muni de ses nouveaux papiers, après 10 années en France, l'homme se voit reprendre ses études, réaliser son rêve de formation en alternance.
«Le matin même j'irai voir mon patron, avec mes papiers.»
Il pourra aussi réaliser un autre rêve : revoir son pays natal.
Car cela aussi, pour l'instant, lui est interdit.
A moins de prendre un aller simple.
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