Reportage Séisme au Maroc : à Azro, les habitants construisent un village de fortune après la destruction de leurs maisons

Article rédigé par Robin Prudent - envoyé spécial à Azro (Maroc)
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Un homme devant le village d'Azro, au Maroc, le 10 septembre 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)
"En quelques secondes, nous sommes devenus des sans-abris", explique un habitant du village. Alors, en l’absence d’aide humanitaire, lui et de nombreux autres hommes se sont lancés dans la construction d’abris afin d'éviter de passer une nouvelle nuit dehors.

Abdelatif plie de jeunes bambous pour s'en servir de piquets de tente. Derrière lui, le village d'Azro n'est plus qu'un amoncellement de terre ocre et de pierres poussiéreuses à flanc de colline. Situé à 40 km au sud de Marrakech, le bourg n'a pas résisté aux secousses du séisme qui a fait plus de 2 000 morts dans le pays, dont deux dans cette commune. Près de quarante-huit heures plus tard, dimanche 10 septembre, aucune aide humanitaire n'avait encore été envoyée dans le village. Alors, les habitants ont pris les devants.

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Le long de la route qui mène vers les montagnes de l'Atlas, ils sont des dizaines à s'atteler à la construction de ce campement de fortune. Partout, des hommes creusent des trous dans la terre à l'aide de longues vis en métal et plantent des bambous récupérés près de la rivière voisine, à sec. Cette petite armée accroche ensuite des tissus, des couvertures ou des bâches de plastique aux structures de bois pour faire de l'ombre et permettre aux familles de s'installer.

Abdelatif, près du village d'Azro, au Maroc, le 10 septembre 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

"Je suis là pour aider les naufragés, explique Abdelatif, qui vit dans un village voisin moins touché, en attachant les tiges entre elles. Avec ces tentes, les enfants pourront au moins se mettre à l'abri." Le résultat est saisissant d'efficacité. En quelques heures, un nouveau village est sorti de terre.

"Cela fait deux jours que l'on attend"

Les bambous et les tissus multicolores viennent pallier l'absence d'aide internationale dans la zone. Ici, pas de grandes tentes aux logos d'une ONG ou de l'armée marocaine comme on peut en observer quelques dizaines de kilomètres plus loin, dans des zones plus reculées. "Cela fait deux jours que l'on attend, s'impatiente Abdelatif. Au moins, avec ces abris, on pourra patienter encore un peu."

Quelques signes semblent montrer que cette aide pourrait tout de même arriver rapidement. Sur la route qui passe devant le village, des camions militaires transportant du matériel et des tractopelles se succèdent. Un groupe de la protection civile italienne est également sur place. "Nous sommes arrivés aujourd'hui et nous évaluons les besoins afin de fournir l'aide nécessaire", explique Giovanni, dans son uniforme bleu nuit.

Le village d'Azro, au Maroc, le 10 septembre 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Le chantier est titanesque. Depuis les frêles abris construits à la hâte par les habitants, la vue est imprenable sur ce qui reste du village d'Azro, à quelques centaines de mètres. Là-bas, les habitants ont l'interdiction de retourner dans leur logement. Le risque est trop important. "Toutes les maisons sont collées, c'est très dangereux. Elles peuvent s'effondrer à tout moment", prévient Abdelatif, sans s'arrêter de travailler malgré le soleil de plomb.

"Nous sommes devenus des sans-abri"

Seuls quelques rares locaux se rendent encore dans les ruelles craquelées du village. Mustapha s'y aventure prudemment, en évitant la crevasse qui serpente dans la chaussée. Il s'arrête brusquement. "Je vais donner les clés de la maison à mon père", prévient ce professeur d'histoire-géographie, avant de lancer le trousseau en direction d'un vieillard en djellaba dorée. "Enfin, s'il y a encore une porte à ouvrir", glisse-t-il dans un sourire.

Contrairement à lui, la plupart de ses voisins n'ont pas la chance d'avoir encore quatre murs debout. Sur les hauteurs du village, des ouvertures dans les maisons laissent entrevoir des toilettes qui coulent encore et une télévision dans un salon. Certaines habitations sont bien plus endommagées et ressemblent désormais à un tas de gravats. Les oliviers, eux, ont été arrachés par les éboulis, les olives vertes encore attachées aux branches.

Mustapha dans le village d'Azro, au Maroc, le 10 septembre 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

"Les gens sont pauvres ici. Ils ont construit des maisons avec des pierres et de la terre", explique Mustapha. Dans ces conditions, la plupart des constructions n'ont pas résisté bien longtemps aux secousses historiques du séisme. "En quelques secondes, nous sommes devenus des sans-abris", lance le trentenaire, avant de se raviser : "Mais c'est tout de même un miracle qu'il n'y ait pas eu plus de morts".

"C'est comme une famille ici"

Non loin du village, Sarah, une jeune femme de 19 ans, a peut-être une explication à ce bilan moins catastrophique que dans d'autres localités. "C'est comme une famille ici. Au moment du séisme, nous étions nombreux à ne pas être encore endormis et toujours dehors, ensemble", se remémore l'habitante. Une proximité qui explique aussi l'exceptionnel élan de solidarité locale qui s'est mis en place en quelques heures.

Sarah dans le village d'Azro, au Maroc, le 10 septembre 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

La jeune femme attend avec impatience que ce nouveau village de fortune soit enfin terminé. Devant elle, certains abris dont la construction a débuté le matin même ont déjà des tapis au sol. De quoi lui redonner espoir. Après le séisme, Sarah avait dû passer la nuit dehors. Puis encore une deuxième nuit sous les étoiles, entre samedi et dimanche. "On ne se sent pas en sécurité ici. On ne sait pas si des cailloux vont tomber. Si des maisons vont s'écrouler", expose-t-elle, dans sa robe noire décorée de quelques strass blancs. Dehors, à près de 1 000 mètres d'altitude, les températures chutent rapidement sous les 15°C une fois la nuit tombée.

Alors, comme la plupart des habitants, Sarah réclame maintenant "de vrais refuges" pour pouvoir passer les prochaines nuits au chaud et en sécurité. "Nous avons aussi besoin d'eau, de nourriture, de couches pour les enfants, de médicaments", liste Mustapha, aux côtés d'autres hommes du village. Avant de partir, il hausse la voix pour la première fois : "On a besoin d'aide !"

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