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Réduction de la présence française au Sahel : "Une décision unilatérale", mais "logique", selon un expert militaire

Selon Michel Goya, ancien colonel des Troupes de marine, "Barkhane a rempli sa mission" mais "la stratégie générale" était "défaillante. Il estime qu'il était "illusoire" de penser que "l'un des Etats les plus corrompus au monde, le Mali, avec une des armées les plus faibles au monde, allait se transformer en quelques années".

Article rédigé par franceinfo
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Des soldats français de l'opération Barkhane au Mali, en 2019. (DAPHNE BENOIT / AFP)

L'annonce par le président de la République de la réduction de la présence des forces françaises au Sahel est "une décision unilatérale", mais "logique", selon Michel Goya, ancien colonel des Troupes de marine, historien militaire, spécialiste des conflits et auteur du blog "La voix de l'épée". "On a toujours la possibilité de revenir, d'intervenir très facilement, très rapidement. On a la possibilité de refaire Serval [2013-2014] si les choses se dégradent véritablement", estime-t-il ce vendredi 11 juin sur franceinfo.


franceinfo : Est-ce que vous avez été surpris hier par cette annonce du chef de l'Etat ?

Michel Goya : Surpris, dans le fond non, parce que c'est quelque chose qui était attendu depuis un certain temps. Surpris, oui, étant donné la vitesse à laquelle ça s'est fait. En réalité, on attendait ça plutôt dans le cadre d'un sommet international par exemple, lors du dernier sommet qui a eu lieu à N'djamena, regroupant tous les pays concernés par ce conflit. Donc là, ça fait un peu une décision unilatérale. Donc, c'est un peu surprenant, mais dans le fond, oui, c'est logique.

La France va maintenir des troupes sur place. C'est important que nos troupes restent dans la région ?

Mais on est effectivement dans la région. On a quasiment toujours été là depuis très longtemps. Ce dont il est question, c'est de réduire l'emprise ou la présence au Mali, c'est-à-dire au milieu de la zone la plus difficile, la plus problématique. On va revenir à quelque chose qui ressemble un peu au plan Sahel avant même l'opération Serval. Avant Serval, il y a eu le plan Sahel de Nicolas Sarkozy, qui était un plan de mise en place de forces spéciales et d'aide aux armées locales. Ça devrait permettre malgré tout d'obtenir les mêmes effets finalement stratégiques que Barkhane, c'est-à-dire exercer une pression qu'on estimera suffisante sur les groupes armés jihadistes. Il ne faut pas oublier qu'on a toujours la possibilité de revenir, d'intervenir très facilement, très rapidement. On a la possibilité de refaire Serval si les choses se dégradent véritablement.

Comment analysez-vous la fin de cette opération Barkhane ? C'est un échec, un retour en arrière ?

Barkhane a rempli sa mission. Mais c'est la stratégie générale qui était en réalité défaillante. L'idée générale de dire que nous allons maintenir la pression forte sur les groupes jihadistes en attendant la relève par des forces armées locales, on disait la même chose il y a quasiment sept ans, c'était une illusion. L'idée que l'un des Etats les plus corrompus au monde, le Mali, avec une des armées les plus faibles au monde, allait se transformer en quelques années parce qu'on allait assurer des formations d'un seul coup de baguette en une force capable d'assurer la sécurité des populations, c'était parfaitement illusoire. Je pense que ce qu'on est en train de faire là, on aurait dû le faire dès fin 2013 et la fin de l'opération Serval, qui a été une grande réussite. On aurait dû se retirer, quitte à intervenir plus tard, mais pas rester au milieu des problèmes, où de toute façon, on est condamnés à attendre éternellement cette fameuse relève.

La situation politique du Mali a aussi accéléré les choses ?

Bien sûr, on peut le considérer de deux manières, soit qu'il s'agit là d'un bon prétexte pour accélérer le processus qui était déjà prévu, soit on peut considérer que c'est une manière aussi d'exercer une pression sur le nouveau gouvernement malien. Mais il faudrait ajouter aussi la mort d'Idriss Déby et la constatation d'une instabilité chronique dans cette région. Et effectivement, on a jugé que c'était le bon moment pour un processus qui, il faut le rappeler, sera quand même assez progressif. A priori, il peut être accéléré éventuellement, mais dans l'immédiat, c'est assez progressif. On reviendra en 2023 comme c'est annoncé. On sera en réalité quasiment au même volume des forces qu'au début de Barkhane.

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