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Le chômage des jeunes nourrit la criminalité et le terrorisme dans plusieurs pays africains

Depuis plusieurs décennies, les questions de sécurité et d'emploi des jeunes se trouvent corrélées sur le continent africain. 

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Un groupe d'activistes manifestent contre le chômage, notamment celui des jeunes, à Nairobi, au Kenya, le 9 octobre 2019. (SIMON MAINA / AFP)

Les autorités nigérianes ont annoncé début mars qu'"environ 70%" des effectifs de l'armée étaient engagés dans des actions normalement dévolues à la police sur l'ensemble du territoire. "Ce n'est pas ce que l'armée est censée faire. Mais nous devons le faire pour résoudre nos problèmes de sécurité", a commenté Boss Mustapha, secrétaire du gouvernement de la Fédération qui s'exprimait lors d'une rencontre organisée par la Chambre de commerce et d'industrie de Lagos sur la sécurité (LCCI), rapporte le journal nigérian This Day. Le ministre de l'Information et de la Communication Lai Mohammed avait, en décembre 2021, reconnu tout en remerciant l'armée que l'insécurité, cette fois-ci liée au terrorisme, avait été "le défi majeur" pour le Nigeria sur l'année écoulée. 

Du chômage à l'insécurité

En dehors de l'armée, le gouvernement fédéral devrait aussi inclure l'emploi des jeunes dans son arsenal de lutte contre l'insécurité pour Michael Olawale-Cole, le patron de la Chambre de commerce de Lagos. "Le niveau élevé du chômage et de la pauvreté parmi les Nigérians, en particulier les jeunes, les a constamment attirés vers la criminalité. L'incapacité à relever les défis de la pauvreté, du chômage et de l'échec entrepreneurial est l'un des principaux facteurs d'insécurité dans le pays", a-t-il estimé selon This Day. Le chômage des jeunes n'a cessé de s'accroître sur la dernière décennie au Nigeria. Au dernier trimestre de l'année 2020, le taux de chômage des 15-35 ans était estimé à 42,5% contre 33,3% pour l'ensemble de la population, selon les statistiques nationales.

L'exemple nigérian illustre encore une fois une réalité qui demeure toujours d'actualité alors même que les conséquences du désœuvrement des jeunes Africains évoluent. Manipulations politiques, enrôlement dans des groupes rebelles cèdent aujourd'hui la place à des recrutements par des groupes terroristes prônant le jihad. Selon une étude de l'ONG American Enterprise Institute parue en 2019 (Tackling terrorists’ exploitation of youth) menée par l'universitaire Jessica Trisko Darden sur l'exploitation des jeunes par ces groupes, l'Afrique est le continent qui concentre le plus de recrutements locaux. 

"L'histoire de l'insécurité en Afrique associe le chômage élevé des jeunes aux nombreuses situations d'instabilité sur le continent, précisait déjà en 2014 le chercheur Andrews Atta-Asamoah de l'Institute for Security Studies (ISS). Cela va des conflits (du) début des années 1990 aux massacres de masse dans la région des Grands Lacs et dans d'autres parties de l'Afrique au cours de la même période, en passant par le renouveau jihadiste contemporain qui se manifeste par les activités d'AQMI au Sahel, de Boko Haram dans le nord du Nigeria et des shebabs dans la Corne de l'Afrique. Par conséquent, le fait que les jeunes chômeurs ne soient pas seulement des victimes mais aussi des participants actifs de l'instabilité politique en Afrique n'est pas nouveau." 

Tuer pour un emploi

Une décennie plus tôt encore, une note des Nations unies soulignait que "le chômage des jeunes – et son corollaire, le sous-emploi – est devenu une question centrale de politique-sécurité en Afrique de l'Ouest, en plus d'être une question socio-économique". Et le document de poursuivre : "Les jeunes valides mais non qualifiés, sans emploi et aliénés sont prêts à prendre les armes en échange de petites sommes d'argent ainsi que de la promesse d'une reconnaissance, d'un butin et de 'femmes' et sont plus susceptibles d'être attirés par l'influence de factions en guerre ou de bandes criminelles pour obtenir cette 'émancipation'."

D'après une étude réalisée par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) parue en 2017, Journey to extremism in Africa13% des jeunes interrogés qui avaient volontairement rejoint un groupe extrémiste violent en Afrique ont déclaré l'avoir fait pour des raisons liées à l'emploi. Cette réponse constituant la troisième raison la plus évoquée derrière le sentiment de rejoindre une grande cause et les croyances religieuses. L'enquête constate par ailleurs que dans les régions du continent touchées par cette violence, "des niveaux élevés de chômage et les besoins économiques sont patents".  Ainsi, "par exemple, le chômage des jeunes dans les comtés côtiers et du nord-est du Kenya se situe entre 40 et 50% de plus que la moyenne nationale". Les régions côtières du pays étant les plus touchées par le terrorisme. Des constats similaires ont été réalisés dans le nord du Nigeria où sévit Boko Haram ainsi que dans le bassin du Lac Tchad, au Niger, où les conséquences économiques du réchauffement climatique se font ressentir. 

Le Sahel, où se trouvent le Niger, le Mali et le Burkina Faso, est ainsi devenue l'une des régions du continent où les jihadistes prospèrent désormais. "Bien que les jeunes représentent le plus grand segment de la population dans tous les pays (du Sahel), leur statut social et leurs opportunités économiques sont limités", résumait une communication faite à l'Assemblée parlementaire de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan) en décembre 2020. "Une population âgée de moins de 30 ans manquant d'éducation, de statut social et d'opportunités économiques est donc devenue un élément important de l'instabilité politique dans la région", concluait le rapport.

Selon les conclusions de l'enquête du PNUD, "si un individu étudiait ou travaillait, il est apparu qu'il était moins susceptible de devenir membre d'une organisation extrémiste. L'emploi est le 'besoin immédiat' le plus fréquemment cité au moment de l'adhésion (à l'une de ces organisations). Les personnes qui y ont adhéré mais qui étudiaient ou travaillaient (n'occupaient pas un emploi précaire) au moment (de leur recrutement) ont mis plus de temps à prendre la décision d'adhérer que leurs alter égo dans un emploi précaire ou au chômage." 

L'Organisation internationale du travail a lancé en 2020 une initiative pour l'emploi des 15-24 ans dans le Sahel, notamment au Burkina Faso, où 44% des jeunes vivent sous le seuil de pauvreté et 92% des emplois disponibles pour eux le sont dans le secteur informel.

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