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Sur le marché des fleurs, le Kenya file un mauvais coton

Industrie des plus florissantes, le marché des fleurs kényan a le vent en poupe. Son coût écologique suscite pourtant une critique croissante parmi les pays européens, qui se détournent depuis quelques temps de la fleur africaine. Aux dépens des employés, dont la survie dépend de ce marché.

Article rédigé par franceinfo Afrique
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Une employée kényane d'une ferme du Naivasha confectionne un bouquet de roses destiné à être exporté en Europe, le 19 avril 2010. (ROBERTO SCHMIDT / AFP)

En matière florale, la réputation du Kenya n'est plus à faire. Le pays est considéré comme l'un des premiers exportateurs de fleurs au monde et le premier producteur de roses à l'international. Il se peut que vous achetiez régulièrement ses bouquets chez la fleuriste en bas de chez vous à l'occasion de la Saint-Valentin ou dans un supermarché pour la fête des mères.

Derrière ces roses aux mille couleurs se cache pourtant une industrie extrêmement polluante, qui appauvrit les sols, assèche les sources d'eau et pollue notre atmosphère via les exportations quotidiennes. Une réalité qui pousse de plus en plus de pays européens à bouder les importations de fleurs kenyanes. Et de nombreux employés du pays, qui dépendent de ce secteur, s'inquiètent de la menace qui pèse sur leur emploi.

Une fine fleur sur le marché mondial

C'est en 1980 que débute la production de fleurs, dans de grandes fermes, notamment autour du lac Naivasha, à 100 km au nord de Nairobi, la capitale. Le Kenya a pour lui un climat très propice à l'horticulture, tempéré et ensoleillé. Il bénéficie également de bonnes liaisons aériennes avec l'Europe et d'une main-d'œuvre peu chère. Le marché de l'horticulture s'y développe d'année en année, jusqu'à devenir désormais incontournable sur la scène internationale : Nairobi produit actuellement un tiers des bouquets coupés vendus dans le monde et couvre à lui seul 25% du marché des fleurs européen, devançant Israël et la Colombie.

Une employée de l'exploitation Maridadi, dans le Naivasha, au Kenya, le 9 février 2008. L jeune femme récolte des roses destinées à être exportées. (SIMON MAINA / AFP)

L'industrie des fleurs a le vent en poupe dans le pays. D'après le Bureau kényan des statistiques (KNBS), le secteur horticole a généré 900 millions de dollars (800 millions d'euros) début 2018, soit une hausse de 33% par rapport à 2017. L'horticulture kényane est ainsi le sous-secteur agricole qui a connu la croissance la plus rapide. En employant plus de 600 000 personnes en 2018, la culture des fleurs permet de réduire la pauvreté dans les zones rurales du pays. 

Une ombre (verte) au tableau

Mais pas de roses sans épines. Le marché aux fleurs kényan, s'il est prospère, n'en demeure pas moins extrêmement polluant. La cueillette et l'expédition d'un million de fleurs chaque jour a un coût écologique et fait grincer des dents...

Car, sans grande surprise, cette industrie utilise d'énormes quantités de pesticides, d'eau et d'engrais chimiques. Ces derniers empoisonnent l'eau et les sols et contribuent à l'assèchement du lac Naivasha. Mais ce n'est pas tout ! C'est également particulièrement gourmand en énergie. Exportées dans des avions réfrigérés depuis le Kenya vers l'Europe, les fleurs sont ensuite acheminées en camion vers la France, le Royaume-Unis ou l'Allemagne et consomment d'énormes quantités de carburant. Les Pays-Bas ne font pas exception : bien que réputé pour son marché horticole, le pays importe lui aussi du Kenya plus de 22% de ses fleurs.

Une employée de la ferme Oserian triant des roses, dans le Naivasha, au Kenya, le 13 janvier 2006. (SIMON MAINA / AFP)

Une victoire… à la Pyrrhus ?

Plusieurs initiatives ont vu le jour en France et en Europe ces dernières années pour inciter les consommateurs européens à se fournir différemment et préserver leur écosystème. Parmi celles-ci, la production de fleurs bio sans pesticides ou encore le mouvement slow flower, la vente de fleurs de saison en circuit court repérables en France grâce à leur label Fleurs de France, inscrit sur chaque bouquet vendu.

Cette prise de conscience salutaire inquiète cependant les grands groupes industriels du Kenya. Les producteurs de fleurs souffrent aujourd'hui de leur image de pollueurs. C'est le cas de la société Osrian, véritable poumon économique de la Naivasha. Avec 4500 employés, son influence va au-delà des portes de ses usines. Sa prospérité lui a permis d'ouvrir ces dernières années crèches et écoles primaires et secondaires pour ses salariés. 

Paniers de roses destinés à l'exportation pour la Saint-Valentin à Nairobi, au Kenya, le 14 février 2018. (SIMON MAINA / AFP)

Ces marchés (européens) sont essentiels pour nous, nous ne voulons pas les perdre. Nous aimerions que les acheteurs réalisent à quel point ils sont indispensables. Les discussions ne devraient pas tourner qu'autour de l'empreinte carbone

Mary Kinyua, directrice RH à Oserian

France24

Le potentiel économique de l'exploitation horticole pour le pays ne fait aucun doute. Mais la tendance au boycott des fleurs kényanes par les pays européens fait craindre aux acteurs du secteur une baisse des commandes à l'avenir et une fragilisation de l'emploi, lourde de conséquences dans ce pays émergent.

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