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"Les mères ne peuvent même plus allaiter" : des ONG décrivent la famine qui frappe trois pays d'Afrique et le Yémen

Plus de 20 millions de personnes sont menacées de famine en Somalie, au Soudan du Sud, au Nigeria et au Yémen, selon l'ONU. Franceinfo a contacté des humanitaires qui sont allés récemment sur place afin qu'ils décrivent l'ampleur de la catastrophe.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des enfants souffrant de malnutrition attendent avec leur mère devant un centre d'aide de l'Unicef à Baidoa, en Somalie, le 15 mars 2017. (TONY KARUMBA / AFP)

Des images qu'on aurait aimé ne jamais revoir. Plus de 20 millions de personnes, dont une majorité d'enfants, sont menacées de famine en Somalie, au Soudan du Sud, au Nigeria et au Yémen. Face à l'ampleur du drame, les Nations unies ont lancé un appel aux pays riches pour lever 4,4 milliards de dollars (environ 4 milliards d'euros) d'ici à la fin du mois de mars et ainsi, "éviter une catastrophe" avant l'été.

Depuis des mois, pourtant, les organisations non gouvernementales avertissent qu'une famine est en cours dans ces pays où l'aide humanitaire ne parvient qu'au compte-gouttes, quand elle parvient. Contactés par franceinfo, des chefs de missions humanitaires livrent leurs témoignages sur cette catastrophe inédite depuis plus de trente ans.

"Les déplacés n'ont plus de ressources"

Cela fait deux ans que Thierry Benlahsen, responsable des opérations d'urgence à Solidarités international, tire la sonnette d'alarme sur la situation au nord-est du Nigeria, où il se rend fréquemment. Prises en étau entre les attaques du groupe Boko Haram et la contre-offensive du gouvernement nigérian, plus de 2,5 millions de personnes ont été déplacées. Spectateur impuissant, le responsable humanitaire a vu la crise se nouer. "La population déplacée n'a plus accès à aucune source de revenus depuis qu'on l'a éloignée du lac Tchad, qui est la zone économique importante de la région. Et elle ne peut plus revenir chez elle parce que l'armée l'interdit", analyse-t-il.

Conséquence : "A la fin 2016, le taux de malnutrition aigüe sévère dans l'Etat de Borno, dans le nord-est du Nigeria, dépassait déjà les 10%, alors que l'indicateur de crise est à 5%. On voyait dans les cliniques des dizaines d'enfants qui allaient mourir dans les jours à venir", souffle-t-il à franceinfo. 

Dans le camp de réfugiés de Ngala, la situation était déjà très critique, avec huit points d'eau pour 75 000 personnes. Cela signifie quatre, cinq, six heures d'attente pour un accès à une eau de mauvaise qualité.

Thierry Benlahsen, responsable des opérations d'urgence à Solidarités international

à franceinfo

Le scénario s'avère encore plus apocalyptique au Yémen, où Saara Bouhouche, chef de mission à Solidarités international, a passé quatre semaines en février. Dans ce pays ravagé par une guerre dont on parle peu (et où les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France soutiennent politiquement et militairement la coalition dirigée par l'Arabie saoudite), 2,2 millions d'enfants souffrent de malnutrition sévère, selon l'Unicef.

"La situation est catastrophique avec un gros mouvement de population qui fuit les combats, déplore-t-elle. Les déplacés doivent quitter leur village du jour au lendemain, sans rien. Ils sont incapables de pouvoir payer une nourriture à 90% importée, qui n'entre plus dans le pays et dont les prix ont flambé. D'autant qu'il y a, en plus de tout, une crise du cash : les salaires ne sont plus versés, l'argent ne circule plus."  

Un manque d'eau dramatique

Dans ce pays asphyxié, les deux tiers de la population (soit 18 millions de personnes) a désormais besoin d'assistance, selon l'ONU. Et les cas de dénutrition les plus sévères ne pas toujours pris en charge dans les hôpitaux. Saara Bouhouche se souvient que lorsqu'elle était à Aden, au sud du Yémen, on lui avait rapporté qu'une famille entière avait été retrouvée morte de faim. D'autres vivent sans toit, sans eau, ou dans des maisons totalement détruites.

Je suis allée dans les zones récupérées par la coalition [saoudienne]. J'ai rencontré des familles qui vivent sous des arbres, sans aucun abri contre le vent, sans accès à l'eau. Le puits le plus proche, où il ne reste plus que 2 ou 3 m d'eau, était à une heure et demie à pied.

Saara Bouhouche, chef de mission à Solidarités international

à franceinfo

De l'autre côté de la mer Rouge, dans la Corne de l'Afrique, la sécheresse s'éternise dans des Etats en faillite. "Ils sont plus de 15 millions à avoir besoin d'une aide d'urgence, dont 6 millions en risque en Somalie", souligne Benoît Munsch, coordinateur des urgences en Afrique de l’Est pour l’ONG Care. Les troupeaux meurent de soif. L'eau est devenue très chère : 200 dollars (185 euros) pour une citerne qui suffit à peine pour deux ou trois semaines.

Des familles entières errent désormais à la recherche de points d'eau, explique à franceinfo Benoît Munsch, avec des distances croissantes à parcourir. Si on en trouvait autrefois tous les 2 km, le rayon s'est étendu à 50 km. Et ces puits ne peuvent plus suffire aux villages élargis formés à proximité.

L'attitude des grandes puissances occidentales critiquée

Même sinistre refrain au Soudan du Sud, où près de 5 millions de personnes ont besoin d'aide alimentaire et qui subit un regain des violences depuis 2013. "Ce qui nous a alertés, c'est l'état nutritionnel des mères qui ne peuvent plus allaiter car elles n'ont même plus assez de nourriture", raconte à franceinfo Aurélie Ferial, adjointe au directeur régional des opérations Action contre la Faim dans la Corne de l'Afrique. D'une semaine à l'autre, l'association a vu le chiffre de ses consultations dans ses centres médicaux grimper de 50%.

Qu'ils soient dus à la sécheresse, à la guerre, ou à leurs effets cumulés, partout, absolument partout, la famine était annoncée, et prévisible. Qui s'en soucie  ? "Les gros Etats bailleurs d'aide comme la France conditionnent l'aide humanitaire à des intérêts géopolitiques, constate amèrement Thierry Benlahsen. Ni le Nigeria, ni le Yémen, ni la Somalie ne présentent d'intérêt majeur à leurs yeux, contrairement à l'Irak ou la Syrie..."

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