Avant la COP25, l'Afrique entend défendre son agriculture
A quelques semaines de la réunion internationale sur le climat (COP25) en Espagne, l'Afrique serre les rangs, dans une coalition pilotée par le Maroc, pour demander plus de fonds de transition dédiés à une agriculture "climato-intelligente". Lequel Maroc s'appuie sur l'expertise d'un producteur de phosphates.
Une partie de l'Afrique est touchée par l'insécurité alimentaire, aggravée par le changement climatique. Dans ce contexte, trois pays, la Somalie, le Tchad et la Tunisie, ont rejoint le 5 novembre 2019 la coalition de 35 pays africains (sur 54), baptisée AAA (Adaptation de l'agriculture africaine), lancée par le Maroc en 2016. Objectif : porter les intérêts de l'Afrique et de son agriculture dans les négociations climat. "Nous voulons surtout faire un pont entre la communauté climat et la communauté agriculture", a expliqué à l'AFP Abir Lemseffer, directrice de la fondation AAA. Celle-ci a piloté des rencontres de ministres africains, de scientifiques et de bailleurs de fonds internationaux à l'université Mohammed VI à Benguérir (ouest du Maroc).
"Climato-intelligent"
Alors que la COP25, initialement prévue au Chili, doit se tenir du 2 au 13 décembre 2019 à Madrid, la réunion AAA devrait avoir lieu "chaque année avant les COP", a précisé Abir Lemseffer. Saluant le travail déjà effectué sur le sujet, notamment par l'Agence française de développement (AFD), la Banque mondiale y a rendu public son engagement à hauteur de 2 milliards de dollars pour financer des projets "climato-intelligents" dans 11 pays d'Afrique. Exemples : les deux premiers pays producteurs de cacao au monde, Ghana et Côte d'Ivoire, se sont associés à des groupes alimentaires (Nestlé...) pour mener une action concertée contre le "déboisement associé à la production cacaoyère"; en Ethiopie, un programme de gestion durable s'efforce de réduire la déforestation et les émissions de gaz à effet de serre dans l'Etat de l'Oromia (centre et sud du pays).
Précision concernant l'expression "climato-intelligent" : "L'agriculture intelligente face au climat (AIC) est une approche qui permet de définir les mesures nécessaires pour transformer et réorienter les systèmes agricoles dans le but de soutenir efficacement le développement de l'agriculture et d'assurer la sécurité alimentaire face au changement climatique", précise le site de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).
Dans ce contexte, la Banque africaine de développement (BAD) vient de procéder à une augmentation de capital géante de "125% de son capital" à 115 milliards de dollars, la plus importante de son histoire. Le but étant de s'en servir pour "soutenir une transformation durable de l'agriculture africaine".
Le Maroc à la manœuvre avec un producteur de phosphates
Dans le même temps, pour aider à la transition, un Fonds vert pour le climat, lancé par l'ONU fin 2011, a prévu deux millions de dollars par pays, souligne Abir Lemseffer. "Mais à ce jour, seuls six pays africains ont pu décaisser cet argent, car ils n'ont pas les capacités de monter les dossiers, alors qu'ils sont parmi les premières victimes du réchauffement", relève-t-elle. Il y a urgence : alors que plus de 200 millions de personnes sont mal nourries en Afrique, les rendements des récoltes agricoles pourraient baisser de 20% d'ici à 2050, avec un réchauffement de 2 degrés. Le tout alors que la population continue d'augmenter.
"La fondation AAA travaille pour permettre à l'Afrique d'accéder" au Fonds vert, ajoute Abir Lemseffer. Et derrière cette fondation, c'est le royaume chérifien qui est à la manœuvre, ce qui peut l'aider à promouvoir... ses propres intérêts. Pour traiter du sujet capital de la dégradation des sols, le Maroc s'appuie notamment sur l'expertise du groupe OCP, principal producteur de phosphates du continent. Lesquels phosphates sont utilisés dans les engrais agricoles chimiques, qui figurent parmi les principaux vecteurs de l'agriculture intensive, fort éloignée des pratiques vertes...
"Il n'y a pas de solution locale duplicable à l'infini"
Au Sahel, secoué par des conflits intercommunautaires, le financement de l'agriculture peut jouer un rôle d'arme de paix, ont estimé les participants aux rencontres de l'AAA. A condition de trouver des moyens souples pour financer des projets d'irrigation, l'achat de semences ou d'intrants de qualité, ou encore l'accès au crédit des petits exploitants. "Avec la sécheresse de plus en plus sévère, le bétail de la région nord-est du pays envahit mon pays. Les petits agriculteurs sont exclus de leur parcelle et ne peuvent plus cultiver. Il serait très important que AAA puisse aussi inclure les aspects d'une transhumance pacifique et intelligente dans ses réflexions", a plaidé le ministre de l'agriculture de Centrafrique.
Derrière la demande de gestion des conflits pastoraux entre éleveurs et agriculteurs autour de ressources naturelles raréfiées, se trouve l'espoir de ralentir les migrations qui alimentent les grands flux vers le nord de l'Europe.
Pour Patrick Caron, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), "il n'y a pas de solution locale duplicable à l'infini pour résoudre tous les problèmes en même temps" en Afrique. Le continent "a à la fois besoin d'innovations locales pour permettre par exemple une meilleure assimilation de l'eau de pluie par les sols dégradés, de transformations structurelles (statut foncier, politique agricole..) et de projets territoriaux imbriqués" a-t-il dit à l'AFP.
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