A Kabwe (Zambie), la population vit sous la menace du plomb
Kabwe (centre de la Zambie) est devenue l'une des villes les plus dangereuses d’Afrique du point de vue environnemental. Et ce en raison de la pollution au plomb.
Kabwe (centre de la Zambie) est devenue l'une des villes les plus dangereuses d’Afrique au niveau environnemental. Un quart de siècle après la fermeture d'une mine de plomb et de zinc, la population, notamment les enfants, est menacée par des empoisonnements au plomb, constate un rapport de l’ONG Human Rights Watch, publié le 23 août 2019.
Dans cette ville peuplée de plus de 220 000 d’habitants, un tiers d'entre eux vit dans les quartiers contaminés par le plomb. Dans le cadre de son rapport, la chercheuse Joanna Naples-Mitchell et ses collègues ont interrogé plus de 100 habitants de la région de Kabwe, mais aussi des représentants du gouvernement et de la société civile. Intitulée "Comment ne pas être inquiets ? Impact de la pollution au plomb sur les droits des enfants à Kabwe en Zambie", l'étude constate les risques immédiats pour la population ainsi que l’inefficacité des pouvoirs locaux. "Le gouvernement n'a pas accordé de priorité" à ce problème de santé publique, a expliqué l’auteure du rapport à franceinfo Afrique.
Quels sont les dangers du plomb?
La pollution au plomb est invisible. Ses particules se logent dans la terre, dans l’eau et dans l’air. Ce qui, au quotidien, rend la prévention difficile. Dans le même temps, il n’y a presque aucune symptôme physique. Ingéré en grande quantité, le métal peut avoir des conséquences pour le cerveau et le système nerveux central. Il provoque aussi des lésions hépatiques, rénales et stomacales. Il peut entraîner la mort.
Pour les enfants, le plomb entraîne des risques de retard mental et de troubles du comportement. Mais aussi des problèmes de croissance. Selon une étude scientifique publiée en 2018, plus de 95% des enfants examinés à Kabwe présentaient une plombémie (taux de plomb) élevée. Un tiers de la ville, soit 76 000 habitants, est contaminé, explique Joanna Naples-Mitchell.
Ce sont donc surtout les enfants qui sont vulnérables, explique la chercheuse dans un entretien publié sur le site de Human Rights Watch. Notamment parce qu'ils "jouent à même le sol, là où se trouve le plomb." D'une manière générale, les enfants absorbent 4 à 5 fois plus de plomb que les adultes.
Facteur aggravant: la pauvreté augmente les risques liés au plomb, à commencer par la sous-alimentation, dans un pays où 64% de la population vivrait sous le seuil de pauvreté. De plus, le plomb est présent en quantité plus importante dans les habitats insalubres.
Pour lutter efficacement contre cette pollution, il est recommandé de faire pousser de l'herbe et de réduire les quantités de poussière. Cela nécessite de grandes quantités d'eau, qui reste un luxe inaccessible pour une grande partie de la population. "Nous conseillons cette méthode aux habitants, mais ils n'ont pas les moyens de se procurer l'eau" en quantité suffisante, dit Joanna Naples-Mitchell à franceinfo Afrique.
Dans le même temps, la population n’a pas l'argent pour payer le traitement: "Le sirop de vitamines - un produit destiné aux enfants souffrant d’intoxication au plomb - coûte environ 2 dollars à la pharmacie pour les personnes que nous avons interrogées. Pour elles, c’est totalement hors de portée", rapporte l’auteure du rapport.
Les projets de nettoyage
La mine a été en service jusqu'en 1904, à l’époque où la Zambie était encore une colonie britannique. Elle a été exploitée jusqu’en 1970 par des entreprises britanniques, avant d'être nationalisée par le gouvernement zambien et finalement fermée en 1994. Depuis la fermeture, les autorités ont tenté plusieurs fois d’éliminer le plomb dans la région de Kabwe, mais "elles n'ont pas pris le problème à bras le corps", estime l’auteure du rapport de Human Rights Watch.
Les dépotoirs de déchets miniers sont toujours en place, exposant la population aux poussières contaminées. De plus, le site n'a pas été scellé.
Les autorités ont planté de l’herbe et recouvert le sol avec de la terre propre. Pour autant, ce ne sont pas des actions durables, insiste la chercheuse: "Le gouvernement pourrait choisir de systématiser (ses efforts) mais il ne l'a pas fait jusqu'à présent", a-t-elle dit à franceinfo Afrique.
Un projet de nettoyage et de traitement des enfants contaminés, mené par la Banque mondiale de 2003 à 2011 et intitulé "Zambia Copperbelt Environment Project", a coûté 53 millions de dollars. Le programme a obtenu des résultats prometteurs. 5000 enfants ont été examinés. Chez 2822 d'entre eux, la plombémie a baissé. Par contre, les techniques pour réduire la pollution n’ont pas eu beaucoup de succès. Selon la Banque, il y a eu un "manque de volonté politique".
Un autre projet, intitulé "Projet d’assainissement et d’amélioration de l’environnement des sites miniers" et approuvé par la Banque Mondiale en 2016 avec un budget de 65 millions de dollars, a pour but de réduire les risques environnementaux dans quatre zones minières de Zambie, y compris Kabwe et les alentours. Le plan est prévu pour durer jusqu'en 2022.
Selon Joanna Naples-Mitchell, le deuxième projet est un grand progrès par rapport au précédent, dans la mesure où la Banque collabore avec les autorités locales.
Les problèmes de traitement
En dépit des efforts de la Banque mondiale, les institutions médicales locales n’ont toujours pas à ce jour les moyens de contrôler la plombémie chez les habitants. "Le traitement de chélation (qui enlève le plomb du corps, NDLR) figure sur la liste OMS des médicaments essentiels au niveau international. Mais ce traitement ne figure pas sur les listes en vigueur en Zambie", a dit Joanna Naples-Mitchell.
Aujourd'hui, il y a pénurie de médicaments dans la région. Depuis 2011, les institutions médicales locales ont stoppé le traitement de chélation. Et depuis 2016, elles ne disposent plus de kits de dosage du taux de plomb.
Et maintenant?
Certains habitants continuent de travailler dans des petites mines autorisées par les pouvoirs publics, s’exposant ainsi à des taux de plomb encore plus élevés. "(Nous les femmes, NDLR), nous ne sommes pas censées être ici", explique une femme travaillant dans l'une de ces mines et citée par l'étude de Human Rights Watch. "Il n’y a pas d’industrie à Kabwe."
En dépit des efforts menés par les autorités locales et les ONG internationales, la population vivant aux alentours de la mine de Kabwe continue à vivre sous la menace du plomb. Le projet de la Banque mondiale est prometteur. "Kabwe ne sera jamais une zone sans plomb, mais elle peut être moins dangereuse”, conclut Joanna Naples-Mitchell.
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