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Financement des économies subsahariennes : pourquoi la dette focalise l'attention

En se portant au chevet des pays africains, Paris et ses partenaires veulent s'assurer d'une sortie de crise pour tous.

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des billets de banque chinois et américains photographiés le 10 mai 2020. (DADO RUVIC / REUTERS)

"Seule une victoire totale, incluant pleinement l'Afrique, pourra venir à bout de cette pandémie", soulignait la tribune cosignée par dix-huit dirigeants africains (dont dix chefs d'Etat) et européens, publiée le 15 avril 2020 dans le Financial Time, en faveur "d'une mobilisation de la communauté internationale pour affronter les conséquences de la crise sanitaire et économique causée en Afrique par la pandémie". Le sommet sur le financement des économies africaines, qui se tient le 18 mai 2021 à Paris, est la réponse du président français Emmanuel Macron, cosignataire de l'appel. L'hôte de l'Elysée "souhaite que des solutions nouvelles et ambitieuses soient trouvées pour que l'Afrique puisse faire face à ce choc sans précédent, et retrouver la croissance", indique un communiqué de la présidence française. 

Le poids du service de la dette 

La communauté internationale se mobilise ainsi pour prêter main forte à un continent qui, pour la majorité des pays, avait déjà avant la pandémie "des besoins de développement colossaux", rappelait dans une note publiée le 12 mai Abebe Aemro Selassie, le directeur du département Afrique du Fonds monétaire international (FMI). "La situation est contrastée d’un pays à l’autre, mais à l’échelle de l’Afrique subsaharienne, la dette publique a gonflé pour s’établir à près de 58% du PIB en 2020 : un chiffre record depuis ces vingt dernières années." Une situation préoccupante parce que "la charge d’intérêts augmente de façon régulière". La question du "financement et du traitement de la dette" est aujourd'hui largement évoquée. Depuis l'année dernière, le président sénégalais Macky Sall et ses pairs de l'Union africaine plaident pour une annulation pure et simple.

En 2020, "les paiements d’intérêts ont atteint le taux alarmant de 20% des recettes fiscales à l’échelle régionale et dépassaient un tiers (de celles-ci) dans un certain nombre de pays, accaparant ainsi une part des ressources déjà maigres qui auraient pu être utilisées pour répondre à des besoins sociaux et de développement cruciaux". Selon le FMI, "les besoins de financements supplémentaires de l’Afrique subsaharienne s’élèvent à 890 milliards de dollars d’ici la fin de 2023", mais il lui faut encore trouver 290 milliards de dollars.

Faible mobilisation des ressources fiscales

Si leur endettement mobilise tant les Etats africains, c'est parce qu'ils peinent à recourir à d'autres ressources pour financer les dépenses publiques. En premier lieu, celles générées par les recettes fiscales. "Une amélioration de (leur) mobilisation constitue souvent le principal levier pour faire face aux tensions sur les dépenses tout en maintenant la dette publique à un niveau viable", rappelle Abebe Aemro Selassie. 

Ces recettes représentent "16% du PIB africain", selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), alors que la contribution de ces dernières dans les pays développés atteint "33%". "Le taux de recouvrement est limité par l’ampleur du secteur informel et le grand nombre de petites entreprises, explique la Cnuced dans son dernier rapport sur les flux financiers illicites en Afrique. De plus, un système d’imposition favorisant les entreprises multinationales qui exploitent des ressources naturelles et payent l’impôt dans les pays où elles ont leur siège, entraîne un rétrécissement de la matière imposable, en particulier dans les pays tributaires des ressources naturelles." Résultat : les Etats africains peinent à faire jouer ce levier qui, avec la pandémie, présente à l'heure actuelle un risque social et politique. D'après le FMI, "plus de 32 millions de personnes ont sombré dans la pauvreté"  en Afrique subsaharienne. 

Une affaire de bonne gouvernance 

Dans un tweet railleur avant le sommet de Paris, l'économiste camerounais Célestin Monga préconisait de s'attaquer aux flux financiers illicites – liés aux activictés criminelles, à l'évasion fiscale et à la corruption – qui appauvrissent le continent. Les fuites de capitaux ont été estimés à 88,6 milliards de dollars par an par la Cnuced. Une évaluation qui serait bien en deça de la réalité.  

(Avant de partir en voyages exotiques à l'étranger pour quémander un pardon de la dette et plus d'argent, rappelez-vous ceci : chaque année, 87 milliards de dollars (3,7% du PIB de l'Afrique) quittent le continent (...). En 2000-2015, les flux illicites en provenance d'Afrique ont totalisé 836 milliards de dollars.)

"Financer les besoins de dépenses publiques supplémentaires, maîtriser la forte hausse de la dette publique (et) mobiliser davantage de recettes fiscales" est "le trilemme" auquel doivent faire face les responsables africains, selon le directeur du département Afrique du FMI. La communauté internationale peut les soulager "en fournissant des ressources qui permettront d’atténuer les difficultés posées par le trilemme que ce soit sous la forme de dons, de financements à des conditions concessionnelles, d’une prolongation de l’initiative de suspension du service de la dette du G20 ou dans certains cas, de l’application d’un traitement de dette au titre du cadre commun correspondant (des règles ont été définies par le G20 et le Club de Paris)", affirme Abebe Aemro Selassie. "Mais c’est à l’Afrique subsaharienne de réaliser l’essentiel des efforts" , insiste-t-il, en faisant "des réformes audacieuses" qui passent, entre autres, par "une transparence accrue et des réformes de la gouvernance" en matière de dépenses publiques.

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