Cet article date de plus de cinq ans.

Erythrée: le port de Massawa va-t-il retrouver son lustre d’antan?

Depuis le spectaculaire rapprochement avec l’Ethiopie, les Erythréens, isolés du monde par le régime d’Issaias Afeworki, se mettent à espérer une ouverture de leur pays. Le port de Massawa (centre) pourrait ainsi retrouver un regain d’activité. Aujourd’hui en pleine décrépitude, la «perle de la mer Rouge» fut longtemps considérée comme le second port de la Corne de l’Afrique.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
L'entrée du port de Massawa (centre de l'Erythrée) le 22 juillet 2018 (REUTERS/Tiksa Negeri)
Port de Massawa (CC BY-SA 3.0 (Wikipedia))

Dans le séculaire port érythréen de Massawa (ou Massaoua, selon une autre orthographe) sur la mer Rouge, les rues sont calmes. Si calmes que le bruit des pas des passants résonne entre les immeubles de la vieille ville, qui tombe en ruines. Laquelle a séduit le poète français Arthur Rimbaud lors de son passage en 1880. Et qu’il aurait mentionnée avec ces vers: «Et à l’aurore, armés d’une ardente patience/nous entrerons aux splendides villes»

Mais depuis, des décennies de conflits, de sanctions internationales et de politiques isolationnistes ont étouffé la cité portuaire. Ses quais sont encore bordés par les décombres des bâtiments bombardés durant la longue guerre d'indépendance (1961-1991) contre l'Ethiopie. Mais le processus de réconciliation, enclenché début juillet 2018 entre les deux voisins de la Corne de l'Afrique, pourrait ramener l'agitation d'antan sur les pontons et dans les bars locaux.

Avec le port d'Assab, plus au Sud, Massawa pourrait bientôt voir circuler des biens en provenance d'Ethiopie, qui avait perdu tout accès à la mer avec l'indépendance de l'Erythrée en 1993. Les Erythréens espèrent que cette paix retrouvée insufflera un nouveau dynamisme à l'économie de leur nation, l'une des plus isolées au monde.

Ruines d'un bâtiment dans la cité portuaire de Massawa (centre de l'Erythrée) le 22 juin 2018 ( REUTERS/Tiksa Negeri)

«Rien du tout»
«Pas de gens, pas de clients, rien du tout», déplore Yohannis Primo Gebremeskel, le propriétaire de l'hôtel Grand Dahlak, construit, selon son site internet, «dans le style vénitien-turc-arabe (caractéristique) du vieux Massawa». L’établissement est considéré comme le plus luxueux des environs: une suite y coûte 121 euros la nuit. Sur le site de notation tripadvisor, 32% des internautes qui avaient laissé une opinion au 31 juillet 2018, le jugeaient «très bon», 43% «moyen» et 14% «médiocre»

L’hôtel n'accueille plus aujourd’hui que de rares visiteurs. Mais il regarde désormais l'avenir avec optimisme. «C'est bien que nous soyons (à nouveau) ensemble», dit son propriétaire en évoquant un processus de paix encore inimaginable il y a quelques mois. «Pour l'Ethiopie et aussi pour l'Erythrée, c'est une grosse opportunité. Je pense que les Ethiopiens viendront ici chaque semaine», espère-t-il.
           
Autrefois appelée la Perle de la mer Rouge, Massawa, carrefour commercial où sont venus Arabes, Chinois et Européens, a été occupée par différents empires au cours des siècles: portugais (au XVIe), ottoman (XVI-XVIIIe), italien (1885-1941). La ville abrite ce que les historiens présentent comme le plus ancien édifice musulman d'Afrique, la mosquée de Sheikh Hamal: celle-ci aurait été édifiée en 630. Elle aurait été reconstruite en 1885 après un incendie (ou, selon une autre version, en 1897 après un tremblement de terre) et en 1921 après un violent séisme ayant ravagé la majorité des bâtiments de la ville.

La vieille ville de Massawa foisonne d'hôtels et de magasins construits à l’époque des empires coloniaux. Mais aussi de maisons anciennes traditionnelles.

Dans une rue de la vieille ville de Massawa le 22 juillet 2018 (MAHEDER HAILESELASSIE TADESE / AFP)

Port de transbordement pour les marchandises éthiopiennes
Plusieurs dizaines d'années après que l'Erythrée eut été incorporée à l'Ethiopie en 1962, le port a été le lieu d'une bataille décisive de la guerre d'indépendance, appelée la Seconde bataille de Massawa. Aux portes de la ville, trois tanks, abîmés par les obus, commémorent aujourd’hui l'Opération Fenkil (1991). Les rebelles érythréens avaient alors pris d'assaut la jetée reliant au continent l'île sur laquelle est située la vieille ville. Cette bataille a mené à la victoire finale sur les Ethiopiens. Et à l’indépendance.
           
Par la suite, Massawa a d'abord continué à servir comme lieu de transbordement pour les produits éthiopiens. Mais la guerre de 1998-2000 et ses quelque 80.000 morts y ont mis fin.
           
L'hostilité entre Asmara et Addis-Abeba a ensuite prévalu pendant près de deux décennies. L'Ethiopie refusant d'appliquer les conclusions d'une commission internationale indépendante qui avait délimité en 2002 le tracé de la frontière commune. Pour contrer la menace éthiopienne, le président érythréen, Issaias Afeworki, a mis en place un féroce système de dictature. Jusqu'à faire de son pays l'un des plus fermés au monde, parfois appelé la Corée du Nord des sables. Une situation qui a rebuté les investisseurs étrangers. Et provoqué l’effondrement de l'économie érythréenne.

Les sanctions adoptées par l'ONU à l'égard de l'Erythrée en 2009, en raison du soutien présumé d'Asmara aux islamistes somaliens shebabs, n'ont fait qu'aggraver la situation.

Café de bord de mer à Massawa (Erythrée) (MAHEDER HAILESELASSIE TADESE / AFP)

La fin de «l’époque des crises»?
La Banque africaine de développement estime la croissance de l'économie érythréenne à 3,4% en 2017. Cette croissance tient pour beaucoup à la mine de Bisha, où sont exploités de l'or, du cuivre et du zinc. Les minerais sont exportés via le port de Massawa. A côté de ces exportations, l’équipement portuaire se contente bien souvent de n’importer que des biens de consommation.

«Comment le port pourrait-il être fonctionnel quand la majeure partie du monde ne peut pas commercer avec lui et que (les Erythréens) ont très peu (de choses) à vendre?», s'interroge l’universitaire américain Seth Kaplan (cité par l’AFP). Aux dires des habitants, une dizaine de navires accostent chaque mois. Mais il n’y en a parfois aucun.

Issaias Afeworki a évoqué la fin de «l'époque des crises» dans la Corne de l'Afrique. Toutefois, il n'a encore envoyé aucun signe aux investisseurs internationaux. D’ores et déjà, Ethiopian Airlines envisage d'ouvrir des lignes vers Massawa et Assab. La Perle de la mer Rouge veut donc croire que la paix retrouvée ramènera commerçants et visiteurs.

Proue d'un navire face à des édifices en ruine dans la cité portuaire de Massawa le 17 octobre 2011. (IPON-BONESS/SIPA)



Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.